Quartier industriel vibrant à la fin du XIXe siècle, la Petite-Bourgogne a hébergé plusieurs communautés culturelles au cours de son histoire.
1875 : Création de la cité de Sainte-Cunégonde
Avant d’être ainsi désignée, la Petite-Bourgogne a porté plusieurs noms. Érigé sur d’anciennes terres boisées ou agricoles, ayant appartenu à plusieurs congrégations religieuses, le secteur est au début du XIXe siècle connu sous le nom de faubourg Saint-Joseph. Les Sulpiciens y ont concédé leurs terres à des marchands et à des commerçants, qui à leur tour ont permis aux industries de s’y installer. L’ouverture du canal de Lachine en 1825 facilite ce processus : de vastes manufactures sont bâties autour du canal, notamment les ateliers de construction navale d’Augustin Cantin, à l’ouest de l’actuelle rue Canning.
Les premiers habitants de la Petite-Bourgogne
Frédéric Auguste Quesnel
L’historien Édouard-Zotique Massicotte (1867-1947) identifie neuf résidants dans le secteur en 1840 : messieurs Coderre, Quinn, Gilbert, Fortin, Courville, Brewster, Herdell, Descarries et Campbell. La plupart habitent près de l’ancien chemin du roi (aujourd’hui rue Notre-Dame); certains y travaillent, notamment au moulin de M. Brewster ou à l’hôtel de M. Courville, érigé dans une maisonnette située au coin des rues Vinet et Notre-Dame.
Vers 1850, une large partie du territoire actuel de la Petite-Bourgogne appartient à Frédéric-Auguste Quesnel puis, à sa mort, à son neveu Charles-Joseph Coursol, futur maire de Montréal dans les années 1870. Les Quesnel font construire un vaste domaine surnommé « Souvenir » situé au nord de la rue Saint-Antoine et à l’ouest de la rue Dominion, sur le site de l’actuelle autoroute Ville-Marie. Les rues Quesnel, Coursol et du Souvenir (au nord de l’autoroute) commémorent par leur nom cette période.
William Workman
La Cité de Sainte-Cunégonde se développe
Vers 1850, deux spéculateurs, Alexandre-Maurice Delisle et William Workman, achètent à la famille Quesnel la partie sud de leur terre (l’actuelle Petite-Bourgogne), puis divisent le territoire en lots afin d’y accueillir des travailleurs et leurs familles. En 1875, le secteur obtient une charte municipale et prend le nom de Sainte-Cunégonde, avant d’être annexé à Montréal en 1905. La plupart des nouveaux habitants sont des Canadiens français, mais le quartier héberge aussi plusieurs notables irlandais. Joseph Luttrell, né en Irlande en 1841, réside par exemple à Sainte-Cunégonde dès 1875 et fait partie du conseil municipal en 1877. Il ouvre une confiserie qui porte son nom, la Joseph Luttrell Co., dans la rue Albert (maintenant Lionel-Groulx). William Workman, dont une rue porte le nom aujourd’hui, devient le premier maire de Montréal d’origine irlandaise entre 1868 et 1871.
Petite-Bourgogne - Cité de Sainte-Cunégonde
En 1877, les travaux de construction de la première église catholique de la paroisse de Sainte-Cunégonde sont amorcés. La même année, le conseil de ville exempte les manufactures et industries de taxes, une des nombreuses mesures mises en place pour encourager le développement industriel du secteur. En conséquence, plusieurs usines s’installent dans le quartier, dont la Montreal Rolling Mills Co. (renommée en 1910 la Stelco), la New York Sewing Machine Inc., la Mitchell Brass Foundry et la Davidson & Co. L’historien Massicotte indique aussi qu’une première gare est installée dans la ville en 1886. Ainsi, la population passe de près de 5000 habitants en 1881 à près de 9000 en 1891. Cette rapide expansion, liée à la vigueur économique du quartier, a laissé des traces visibles dans le patrimoine architectural : banques, magasins et boutiques en témoignent encore.
Le Lovell’s Historic Report of Census of Montreal, publié en 1891, donne une bonne idée de la composition de la population de Sainte-Cunégonde pendant cette période. On y dénombre une majorité de 7089 catholiques, aux côtés de 1065 protestants et 5 juifs. Environ 6000 habitants sont d’origine canadienne-française, 1000 d’origine anglaise et 600 d’origine irlandaise. Plus faiblement représentés, Écossais, Américains, Italiens, Allemands, Norvégiens et Danois résident également dans le quartier.
La Petite-Bourgogne, hôte d’une importante communauté noire
Carte postale Rockhead's Paradise
À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, de nouveaux arrivants diversifient encore davantage la population du quartier. En raison de politiques municipales favorisant l’essor de l’industrie ferroviaire, de campagnes de recrutement ouvrier et de la proximité du chemin de fer du Grand Tronc, la Petite-Bourgogne attire à la fin du XIXe siècle plusieurs travailleurs ferroviaires noirs venus, entre autres, des États-Unis. Les hommes sont à l’époque souvent engagés comme porteurs ferroviaires, un des seuls emplois disponibles pour les Noirs. Les femmes, quant à elles, sont principalement employées comme travailleuses domestiques. Ces emplois, moins rémunérés et symboliquement moins prestigieux que les emplois de la population blanche, témoignent du racisme et des difficultés auxquelles fait face la communauté noire naissante.
De 1920 à 1940, la communauté noire de Montréal passe de 1000 à 2000 personnes. Si les communautés noires et anglophones s’installent en grand nombre dans la Petite-Bourgogne, le quartier demeure à majorité canadienne-française durant ces deux décennies. Selon l’historien Paul-André Linteau, les quartiers Saint-Henri et Petite-Bourgogne forment entre 1921 et 1941 le troisième secteur de la ville où la proportion de Canadiens français est la plus élevée. Ces données mettent en évidence la mixité et la complexité du quartier.
Un quartier industriel en déclin
Petite-Bourgogne
Le secteur sera progressivement reconstruit. Depuis la fin du XXe siècle, la Petite-Bourgogne connait un processus d’embourgeoisement, souvent caractéristique de la revitalisation d’anciens quartiers industriels. Plusieurs logements en copropriété sont construits le long du canal afin d’attirer des citoyens plus riches et plus instruits. Des habitations à loyer modique (HLM) sont également érigées. En 2000, 40 % des résidants du secteur vivaient dans les différents logements sociaux.
Par ailleurs, le quartier continue d’être une terre d’accueil pour les nouveaux arrivants. En 2014, le Centraide du Grand Montréal dénombre, dans la Petite-Bourgogne, une population de 10 000 personnes dont 36 % d’immigrants (comparativement à 33 % pour l’île de Montréal). Au centre communautaire Tyndale St-Georges, on remarque qu’un bon nombre des nouveaux immigrants vivent en milieu défavorisé et doivent faire face à une réalité socio-économique difficile. En 2014, 43 % de la population du quartier vit avec un faible revenu. Ces chiffres illustrent les défis relevés par cette communauté diversifiée.
Contribution à la recherche et à la rédaction : Matthieu Caron et Société historique de Saint-Henri.
La Petite-Bourgogne et le jazz - Oliver Jones
Établi en 1927 par le révérend Charles Humphrey Este, lui-même un immigrant des Caraïbes, le Negro Community Centre (NCC) a été développé comme centre communautaire afin d’améliorer les conditions économiques et sociales de la communauté noire à Montréal.
Initialement, le Centre agissait là où il le pouvait, c’est-à-dire dans des domiciles des membres, des églises et chez le révérend. En 1955, le NCC a fusionné avec le Iverley Community Centre et s’est installé dans l’édifice de ce dernier, rue Coursol. Le Centre était donc au cœur de la communauté noire de Montréal : il organisait, entre autres, des programmes parascolaires et des activités culturelles, tels que des cours de danse et des performances musicales notamment données par les légendes du jazz Oscar Peterson et Oliver Jones. Dans les années 1980, le Centre était l’hôte de soirées reggae et plus tard de dancehall. Le NCC a même rayonné au-delà du territoire montréalais, quand Nelson Mandela l’a visité en juin 1990.
Malgré cette importante visite, de nombreux problèmes de financement dans les années 1980 et 1990 ont conduit à la fermeture du Centre. En 1987, une partie de l’extérieur de l’édifice s’effondre. À cette détérioration visuelle et matérielle de l’édifice s’ajoute une baisse de la fréquentation du Centre. En 1989, le NCC cesse officiellement ses activités. Quinze ans plus tard, en 2014, une autre partie de l’édifice s’effondre et le NCC déclare faillite; le bâtiment est démoli en novembre. Malgré la disparition physique du NCC, son histoire continue de résonner à travers ses archives données à l’Université Concordia et rendues publiques en 2017. Le 11 avril de cette année-là, des étudiants ont présenté ces archives à l’Universal Negro Improvement Association de Montréal, redonnant à la communauté une part importante de son histoire.
BOUGIE, André. Le programme de rénovation de la Petite Bourgogne, 1965-1968 : analyse décisionnelle, Montréal, Université de Montréal, 1971.
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