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La fondation de la paroisse ukrainienne Saint-Michel

02 juin 2017

Montréal est communément reconnue pour être « la ville aux cent clochers ». Plus que des lieux de culte, plusieurs de ses églises sont souvent le cœur de la vie communautaire immigrante.

Église Saint-Michel

L’église Saint-Michel telle qu’elle est en 2016, rue D’Iberville à Montréal.
Archives de la paroisse Saint-Michel
Pour les Ukrainiens croyants arrivés à Montréal au début du XXe siècle, la vie religieuse et communautaire s’organise d’abord au sein de paroisses existantes. Un immigrant arrivé en juin 1912 et installé dans l’ancien quartier Frontenac (Hochelaga-Maisonneuve), Mykhaylo Chypchar, raconte d’ailleurs avoir été surpris d’assister à une messe donnée en ukrainien dans l’église Saint-Antoine par un prêtre francophone, le père Desmarais. Sans le savoir, M. Chypchar arrive au moment où s’organise la première paroisse catholique ukrainienne à Montréal.

L’immigration ukrainienne au Canada

À la fin du XIXe siècle, les immigrants d’Europe de l’Est débarquent par milliers dans le port de Montréal. Ils répondent à l’appel du gouvernement canadien qui est à la recherche de main-d’œuvre pour ses industries et de gens pour peupler les territoires de l’Ouest. Montréal fait alors office de lieu de transit important, mais aussi de terre d’accueil.

Paroisse St-Michel

Les fidèles de la paroisse Saint-Michel se réunissent devant leur église pour souligner la venue de Mgr Nycétas Budka, premier évêque catholique ukrainien du Canada. À l’arrière des fidèles se trouve la petite église.
Archives de la paroisse Saint-Michel
À cette époque, de nombreux Ukrainiens sont de passage à Montréal le temps d’amasser les fonds nécessaires afin de continuer leur périple vers l’Ouest. D’autres décident de rester et s’installent dans les quartiers Pointe-Saint-Charles, Frontenac, Lachine et aux abords de la rue Saint-Laurent. Ils travaillent généralement comme journaliers pour différentes industries, comme le Grand Tronc, la fonderie Stelco ou l’usine Vickers.

Ces nouveaux résidants sont en quête de repères dans cette ville encore étrangère. Le lieu de culte est, la plupart du temps, le cœur des communautés en développement. La fondation de la paroisse ukrainienne Saint-Michel, dans la rue D’Iberville près de la rue Hochelaga, en est l’un des nombreux exemples.

La fondation de la paroisse Saint-Michel

Congrès eucharistique 1910

Procession religieuse lors du Congrès eucharistique de 1910.
Archives de la paroisse Saint-Michel
En 1910, à Montréal, se déroule le Congrès eucharistique, grand rassemblement religieux catholique international. Pour l’occasion, le métropolite (titre honorifique de l’Église catholique-grecque) Andrej Sheptytsky d’Ukraine est de passage dans la métropole. Il constate que la population ukrainienne est dispersée dans plusieurs paroisses. Il demande aux résidants ukrainiens de le rencontrer rue Brown (désormais Florian) dans le quartier Frontenac. Perché sur le balcon du domicile d’un résidant, M. Myrvitsky, il appelle les Ukrainiens à se mobiliser et à fonder leur propre paroisse. En retour, il promet de leur envoyer un prêtre d’Ukraine. Dans ses mémoires, M. Myrvitsky se souvient :

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Écolières et leur enseignant posant devant leur école.
Archives de la paroisse Saint-Michel
From the balcony of my home the Metropolitan spoke to the assembled in French and Ukrainian, blessed my family and said that he recognized in me the person who would organize the Ukrainians in Montreal and that he would try to visit us again. (Depuis le balcon de ma maison, le métropolite s’est adressé à l’assemblée en français et en ukrainien, il a béni ma famille et il a dit qu’il voyait en moi la personne qui organiserait la communauté ukrainienne à Montréal, il a ajouté qu’il essaierait de nous rendre visite à nouveau.)

Grâce à la collaboration des clergés montréalais et ukrainien ainsi que celle de la communauté, la paroisse se met progressivement en place. En 1911, l’arrivée du premier prêtre ukrainien en consacre la fondation. En 1913, les fondateurs procèdent à l’achat d’un terrain au coin des rues Hochelaga et D’Iberville. Dès les premiers instants, la vie paroissiale attire des résidants éloignés du quartier Frontenac, dont plusieurs de Pointe-Saint-Charles et de Lachine. Le père Monczak, curé de la paroisse entre 1969 et 1990, raconte : Virtually the whole Ukranian life in Montreal and Quebec in the pioneer era was centred around St-Micheal’s parish and was under its spiritual leadership. (Pendant la période des premières installations, la vie de pratiquement l’ensemble des Ukrainiens de Montréal et du Québec s’organisait autour de la paroisse Saint-Michel et était sous son autorité spirituelle.)

La construction de l’église est retardée par la Première Guerre mondiale et la difficulté des fondateurs à financer le projet. Jusqu’à l’inauguration de la bâtisse, les messes se tiennent à l’église Saint-Antoine, autrefois située dans la rue Plessis. La paroisse catholique-grecque ruthène de Saint-Michel est finalement consacrée en 1917. L’église n’a qu’un sous-sol et un rez-de-chaussée. Terminé en 1954, l’édifice de briques grises aux grandes tourelles se trouve toujours dans la rue D’Iberville en 2016.

Merci au révérend Ihor Oshchipko, curé de la paroisse Saint-Michel-Archange, d'avoir collaboré à la recherche au contenu de cet article.

Qui sont les Ukrainiens de Montréal?

École danses ukrainiennes

Troupe de danses traditionnelles ukrainiennes de la paroisse Saint-Michel.
Archives de la paroisse Saint-Michel

Au début du XXe siècle, l’Ukraine est partagée entre les Empires austro-hongrois et russe. Les Ukrainiens qui arrivent à Montréal s’identifient alors à leur région d’origine ou à leur appartenance religieuse. En 1910, le métropolite ukrainien Andrej Sheptytsky peine à repérer ses compatriotes qui sont inscrits dans les registres d’immigration selon leur territoire d’origine et non comme Ukrainiens, ainsi qu’en témoigne M. Myrvitsky : Metropolitan Sheptytsky […] as he later told me, found Galicians, Ruthenians, Russians, Uniates, Greek catholics and all other kinds. (Comme il me l’a dit plus tard, le métropolite Sheptytsky a trouvé des Galiciens [d’Europe orientale], des Ruthènes, des Russes, des uniates [membres des Églises chrétiennes orientales en communion avec l’Église de Rome], des catholiques grecs et des personnes de toutes sortes d’autres origines.)

L’internement des Ukrainiens

Durant la Première Guerre mondiale, étant donné leur origine austro-hongroise, les Ukrainiens sont identifiés comme « étrangers ennemis ». Des hommes et des familles, surtout de Montréal, sont déplacés dans des camps d’internement. Un camp se trouve dans la rue Saint-Antoine et le plus important, à Spirit Lake, en Abitibi. Le père Ambrose Redkevych, prêtre de la paroisse Saint-Michel en 1915, écrit dans ses registres :

False informations from ennemies resulted 60 families, along with women and children, being taken from Montreal and placed in detention at Spirit Lake. In addition to these, some 1,500 men were also taken from Montreal and incarcerated in Spirit Lake (…). The general condition of the colony in Montreal is onerous. (À cause de fausses informations données par l’ennemi, 60 familles, comportant des femmes et des enfants, ont été emmenées de Montréal et placées en détention à Spirit Lake. En plus de cela, environ 1500 hommes ont aussi été emmenés de Montréal et incarcérés à Spirit Lake […]. Les conditions générales de la communauté à Montréal sont pénibles.)

Des tensions au sein de la communauté

Les Ukrainiens de Montréal forment aussi un groupe hétéroclite sur le plan politique. La création d’une paroisse catholique ukrainienne au début du XXe siècle suscite l’opposition d’Ukrainiens communistes et antireligieux. Lors d’une rencontre pour la fondation de la paroisse en 1910, M. Myrvitsky, activement engagé dans la communauté, alerte la police de la présence de ceux qu’il qualifie de « ‟sons” of Karl Marx, Moscowphiles, radicals and other garbage. » (« ‟fils” de Karl Marx, sympathisants de Moscou, radicaux et autres détritus. »)

Des tensions se manifestent à nouveau dans la communauté lorsqu’en 1912 la branche montréalaise de la Fédération sociale-démocrate ukrainienne rapporte les tentatives de l’Église de nuire à la tenue d’une rencontre de travailleurs ukrainiens :

The agitation by priests who told theirs parishioners not to attempt was without success. Neither was the work of henchmen who tore down our notices and agitated against the holding of the meeting. (La campagne des prêtres qui ont dit à leurs paroissiens de ne pas y assister a été un échec. Tout comme le travail des hommes de main qui ont abattu nos écriteaux et ont perturbé la tenue de la réunion.)

 

Références bibliographiques

LEWYCKYJ, Jurij-Myroslaw. « La paroisse Saint-Michel Archange de Montréal », dans Église Catholique Ukrainienne St-Michel, Le livre du Jubilé, 1911-2011, Montréal, 2011, 254 p.

KELEBAY, Yarema Gregory. The Ideological and Intellectual Baggage of Three Fragments of Ukrainian Immigrants: a Contribution to the History of the Ukrainians in Quebec (1910-1960), Thèse (Ph. D.) (histoire), Université Concordia, 1992, xii, 277 p.

LAUZON, Gilles. Pointe-Saint-Charles. L’urbanisation d’un quartier ouvrier de Montréal, 1840-1930, Québec, Septentrion, 2014, p.143-198.