Usages
Les vocations et appropriations
Les Amérindiens sont les premiers à s’approprier la montagne comme lieu de chasse, de cueillette et de sépulture. Puis, au 17e siècle, on assiste à l’implantation au pied du mont Royal du Fort de la montagne, qui est à la fois résidence et institution religieuse. Cette construction donne le ton aux aménagements et influence les bourgeois de la cité dans leur désir d’avoir eux aussi leur domaine privé, pour voir et être vus.
Les Molson, McTavish, Allan et McGill implantent leurs villas et dépendances sur de vastes terrains, entre bois à flanc de montagne et pâturages sur de faibles pentes. Ces résidences cossues côtoient les auberges et les maisons de ferme qui se dressent le long des premiers chemins.
Le caractère pittoresque du lieu suscite de plus en plus une appropriation par les communautés religieuses et par les mieux nantis. Le développement du domaine des Sulpiciens (Grand Séminaire), l’implantation de l’Hôtel-Dieu et du couvent des Religieuses Hospitalières de Saint-Joseph, la création du Collège Notre-Dame et des deux cimetières, au milieu du 19e siècle, marquent le caractère institutionnel et religieux de la montagne.
Dans le troisième quart du 19e siècle, la fonction éducationnelle se manifeste par la création de l’Université McGill. Quant à l’Hôpital Royal Victoria, son premier pavillon apparaît au pied de la montagne tout près de l’Hôtel-Dieu de Montréal. Au même moment, on construit le Séminaire de philosophie sur la partie la plus élevée du domaine des Sulpiciens. Des sorties de chasse à courre s’organisent sur la montagne dès 1828, et en 1876, le parc du Mont-Royal est inauguré. De grands événements festifs d’hiver et d’été se tiennent au parc du Mont-Royal et à Fletcher’s Field (devenu aujourd’hui le parc Jeanne-Mance).
Dans le premier quart du 20e siècle s’amorcent les projets institutionnels les plus ambitieux, avec la construction de l’Oratoire Saint-Joseph et de la maison mère des Sœurs des Saints-Noms-de-Jésus-et-de-Marie. Les premiers ensembles résidentiels de prestige en hauteur, témoins de la densification urbaine, font aussi leur apparition. La Ville de Westmount crée le parc Summit afin d’assurer la conservation de ce milieu naturel.
L’implantation du Collège Jean-de-Brébeuf et de l’Université de Montréal marque l’usage lié au savoir dans le deuxième quart du 20e siècle. La fonction hospitalière poursuit son développement par la construction de l’Hôpital Général et de l’Hôpital Shriners sur le flanc sud du mont Royal, dans la seconde moitié du 20e siècle. De 1975 à aujourd’hui, les hôpitaux et les universités consolident leurs campus par l’ajout de bâtiments. Dans les cimetières, de nouveaux modes d’inhumation introduisent d’autres types de constructions et d’aménagements. Des propriétés institutionnelles liées aux communautés religieuses sont en mutation; le projet de conversion du Séminaire de philosophie en un complexe résidentiel en est un exemple. La création récente d’un parc sur le sommet d’Outremont scelle la vocation collective de la colline du même nom.
Portrait actuel
Cinq grandes vocations témoignent de l’identité de la montagne : le sacré, la santé, le savoir, les parcs et espaces verts, de même que le résidentiel. La présence des communautés fondatrices sur la montagne symbolise les idéaux qui ont présidé à la fondation de Montréal : la religion, l’éducation et les institutions sociales.
Le sacré et les parcs
Leur répartition géographique sur la montagne ne résulte pas du hasard. Trois grands ensembles paysagers d’importance, le parc du Mont-Royal (190 hectares), le cimetière Notre-Dame-des-Neiges (138 hectares) et le cimetière Mont-Royal (65 hectares), occupent le cœur de la montagne. Les activités de récréation, d’inhumation et de recueillement profitent ainsi de l’intimité procurée par l’entre-monts.
Ces trois ensembles à dominante végétale, avec leur propre réseau de circulation et leurs aménagements distinctifs, permettent des usages publics et semi-publics dans des ambiances paysagères de grande qualité. Par exemple, depuis ses débuts, le cimetière Mont-Royal se présente comme un lieu de promenade; la randonnée et l’observation des oiseaux et des arbres y sont encouragées. Les cimetières occupent 27 % du Site patrimonial déclaré du Mont-Royal (Mont-Royal). La vocation sacrée, représentée par les propriétés de l’Oratoire Saint-Joseph et des Religieuses Hospitalières de Saint-Joseph, équivaut à 2,6% du territoire.
Le parc du Mont-Royal détient 25% de la superficie du site patrimonial. Depuis sa création, l’intérêt qu’on lui porte ne s’est jamais démenti. Ce grand parc demeure un formidable lieu de convergence, largement approprié par la population pour y pratiquer une gamme d’activités de promenade, de détente, de ressourcement, de rassemblement, de fête et de contact avec la nature au gré des saisons.
Au parc du Mont-Royal s’ajoutent le parc Summit, forêt urbaine et sanctuaire d’oiseaux, et le récent parc sur le sommet d’Outremont. La vocation parc occupe désormais les trois sommets, ainsi que les flancs sud et est de la montagne, permettant d’ancrer une image forte dans la ville. Des parcs de quartier situés en périphérie, lieux d’exercice ou de promenade, créent des coulées végétales (par exemple les parcs Thérèse-Casgrain et Percy-Walters) ou forment des espaces dégagés offrant un recul par rapport à la montagne (par exemple les parcs Jeanne-Mance et Rutherford). À eux seuls, les parcs et espaces verts représentent 35% du Mont-Royal.
La santé et le savoir
Les hôpitaux se concentrent sur le flanc sud en bordure des avenues des Pins et Cedar, et les deux universités, l’une anglophone, l’autre francophone, occupent chacune leur partie de montagne : l’Université McGill sur le flanc sud, avec une superficie de 31,5 hectares, et l’Université de Montréal sur le flanc nord, avec une superficie deux fois plus grande, soit 63,9 hectares.
Des institutions situées en périphérie des cimetières et du parc du Mont-Royal donnent l’impression d’y être enclavées : l’Institut neurologique de Montréal, l’Hôpital Royal Victoria, la partie haute du campus de l’Université McGill avec le stade Percival-Molson et les résidences étudiantes, l’Hôpital Shriners, le Manège militaire, l’Université de Montréal et l’École de musique Vincent-d’Indy. Le paysage de ces institutions se trouve grandement défini par la présence voisine des vastes espaces verts, des bois et de la topographie accidentée du parc et des cimetières. De loin, on les perçoit avec la masse végétale enveloppante en arrière-plan.
D’autres institutions se trouvent en aval des grandes voies de ceinture, dont le cœur du campus de l’Université McGill, l’Hôpital Général, le Collège Notre-Dame, le Collège Jean-de-Brébeuf, HEC Montréal, la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal et l’Hôtel-Dieu. Cette présence institutionnelle ponctue la périphérie de la montagne avec de vastes terrains gazonnés ou boisés, une organisation spatiale parfois complexe et des bâtiments à l’architecture monumentale. Alors que les institutions d’enseignement occupent 14% du Mont-Royal, les institutions reliées à la santé cumulent 3,2% du territoire. En effet, elles se trouvent sur de plus petits terrains qu’elles occupent densément.
Le résidentiel
Comme les institutions, des résidences encerclent la montagne. Quelques développements résidentiels jouxtent le parc du Mont-Royal et les cimetières. Les développements les plus invasifs sont ceux des rues Redpath-Crescent et Hill Park Circle et de l’avenue Duchastel, près du cimetière Mont-Royal. Cependant, l’occupation résidentielle se concentre en aval des chemins de ceinture. Une plus forte occupation résidentielle s’infiltre au cœur de la montagne par la coulée du chemin de la Côte-Des-Neiges et s’étale sur les flancs de la colline de Westmount. Les résidences se présentent sous différentes formes : maisons isolées, jumelées, en rangée, duplex, triplex, conciergeries et tours à appartements. Les développements résidentiels de grande densité, construits après la Seconde Guerre mondiale, entrent en conflit, par leur hauteur et leur gabarit, avec la silhouette de la montagne. Quant aux résidences plus anciennes, dont les grandes villas du Mille carré doré, elles reprennent à une échelle plus réduite les grandes caractéristiques paysagères des institutions.
L’esprit du lieu et l’attachement à la montagne
L’esprit du lieu de la montagne prend forme à partir de composantes matérielles variées (bâtiments, lieux aménagés, sites archéologiques, éléments construits, œuvres d’art) qui participent à la construction de son sens. Les valeurs, savoirs, rites, fêtes et festivals, tout comme les récits et les témoignages, contribuent aussi à forger des significations rattachées au mont Royal. Certains espaces sont associés à la tenue d’activités culturelles traditionnelles. Puisque le paysage de la montagne résulte notamment des activités qui s’y déroulent, il englobe non seulement des éléments visibles, mais aussi une dimension intangible.
Le caractère même de la montagne, la transformation de son paysage dans le temps et l’esprit avec lequel il a été investi en font un lieu unique. Les usages et les différentes formes d’appropriation traduisent des choix individuels et collectifs qui sont le reflet de la société montréalaise. Pratiques sociales, rituels et événements se répètent parfois de génération en génération et se chargent de mémoire, contribuant à notre attachement à la montagne.
La montagne prend une dimension sacrée à travers des endroits particuliers et des symboles religieux. Les cimetières sont des lieux de recueillement où se déroulent des processions autour de personnages célèbres, des rites funéraires reliés aux communautés catholiques, protestantes et autres. Des sépultures préhistoriques attestent le choix de la montagne comme lieu sacré par les Amérindiens.
Assez abrupte pour susciter un appel vers son sommet, la montagne favorise l’élévation de l’esprit et le ressourcement intérieur. L’Oratoire Saint-Joseph constitue un lieu traditionnel de rassemblement pour des fêtes religieuses et des pèlerinages. Toute la montagne prend également un sens sacré par l’attachement manifesté pour la préserver.
La création du parc du Mont-Royal, le décret d’arrondissement historique et naturel, tout comme la création d’organismes d’intérêt, témoignent d’une forte appropriation populaire, d’une conscience collective et d’un souhait partagé de protéger et prendre soin de la montagne.
La montagne témoigne de l’évolution de pratiques sociales, de la messe dominicale d’autrefois aux rassemblements autour des tam-tams. Depuis le 19e siècle, elle est le lieu de grands événements populaires : carnavals d’hiver, congrès eucharistiques, visites royales, fêtes mémorables de la Saint-Jean-Baptiste, grands tours cyclistes.
Relativement peu élevée et située au cœur de la ville, la montagne est largement accessible et de nombreux visiteurs y convergent été comme hiver. Les balades à vélo et en auto ont remplacé les promenades en traîneau ou à cheval. Mais si certains moyens de locomotion ont changé, la montagne est toujours un lieu de promenade recherché pour marcher dans les sentiers ombragés, faire un pique-nique, prendre l’air, se ressourcer et apprécier cette oasis de calme. Ces différentes activités font en sorte que nombre de Montréalais et de Québécois portent en eux des souvenirs du mont Royal.
Assez haute pour dominer les alentours, la montagne attire le regard et est un lieu privilégié pour voir la ville depuis que les premiers établissements ont conquis ses versants.
Été comme hiver, on fréquente le mont Royal. On y pratique la raquette sur des sentiers dans les bois, la glissade sur certains versants et le patin sur le lac aux Castors.
Les cimetières, catholique et protestant, étaient des lieux de promenade importants avant la création du parc du Mont-Royal. Au milieu du 19e siècle, les brochures et les guides touristiques présentent le cimetière Mont-Royal comme un lieu de promenade fort recherché. Le cimetière Notre-Dame-des-Neiges permettait également des activités de marche, de contemplation et d’observation. Ils sont toujours des lieux de promenade appréciés des Montréalais et sont devenus des lieux recherchés pour l’observation des oiseaux.
Traits dominants
- Un domaine public et semi-public au cœur de la montagne, ceinturé de domaines privés.
- Cinq grandes vocations, témoins de l’histoire de l’occupation de la montagne : sacré, santé, savoir, parcs et espaces verts, résidentiel.
- Une vocation sacrée amorcée avec les Amérindiens par la présence de vestiges de sépultures, exprimée ensuite par les cimetières et le couvent des Religieuses Hospitalières de Saint-Joseph et marquée par l’Oratoire Saint-Joseph.
- La vocation du savoir répartie en deux institutions universitaires, les universités de Montréal et McGill occupant chacune un pôle sur deux flancs opposés de la montagne (flanc nord et flanc sud), et en deux institutions collégiales, Jean-de-Brébeuf et Notre-Dame (flanc nord).
- Une vocation « parc » au cœur de la montagne, complétée par de petits parcs et espaces verts près des quartiers.
- Trois sommets, trois parcs : une image forte dans la ville.
- Des activités très diversifiées qui traduisent l’importante appropriation de la montagne par la population.
- Des institutions de santé comprenant les hôpitaux Hôtel-Dieu, Royal Victoria, Général et Shriners, concentrées en ensembles denses.
- Des institutions limitrophes au parc et aux cimetières qui sont marquées par la présence de la montagne.
- La présence d’institutions en aval des grandes voies de ceinture qui ponctuent la périphérie.
- Une vocation résidentielle diversifiée : en petits ensembles directement en contact avec les cimetières et le parc, et en plus grands ensembles ceinturant le pied de la montagne, ainsi que le long de la coulée du chemin de la Côte-des-Neiges.
Consultez la section Usage de l'Atlas du paysage du mont Royal.