Fondé au XVIIe siècle, puis établi en 1861 dans le futur quartier Milton Parc qu’il a fortement marqué, l’Hôtel-Dieu a été au service de la santé des Montréalais pendant près de 380 ans.
Hôtel-Dieu 1
Ce déménagement est notamment dû à des incendies à répétition (1695, 1721 et 1734), mais aussi au fait que la ville prend de l’ampleur. Les religieuses hospitalières de Saint-Joseph, dépositaires de l’Hôtel-Dieu depuis le décès de Jeanne Mance, sont de plus en plus à l’étroit dans l’hôpital de la rue Saint-Paul. Dans un geste mûrement réfléchi, la communauté, à la recherche d’un espace verdoyant et d’air pur pour le rétablissement des malades, prend la décision de plier bagage et de monter au nord de la rue Sherbrooke, au mont Sainte-Famille, aux limites de la ville à cette époque.
Un déménagement préparé
Hôtel-Dieu 2
La construction de l’Hôtel-Dieu, selon les plans de l’architecte Victor Bourgeau, a lieu entre 1859 et 1861. Les Hospitalières profitent de l’occasion pour se procurer auprès de Stanley Clark Bagg deux parcelles de terre se trouvant de part et d’autre de la terre donnée par les Basset. L’espace ainsi créé sera utile aux ajouts qui seront faits dans les années à venir. Destiné aux religieuses, aux pauvres et aux orphelins, l’Hôtel-Dieu est composé de deux ensembles distincts : le couvent et l’hôpital lui-même. Les deux parties sont jointes par la chapelle qui se trouve au centre et dont l’entrée fait face à la rue Sainte-Famille, offrant ainsi une perspective majestueuse sur l’un des premiers bâtiments institutionnels implantés dans ce secteur de la ville.
À ce moment, les pourtours du mont Royal à la hauteur de la rue Sherbrooke ne sont que très peu habités. Quelques villas bourgeoises s’y trouvent, bien qu’elles se concentrent davantage autour de l’Université McGill. Lorsqu’elles prennent la décision d’installer l’Hôtel-Dieu au mont Sainte-Famille, les Hospitalières font lotir la parcelle de terre au sud de Sherbrooke de part et d’autre de ce qui devient la rue Sainte-Famille. Elles imposent des conditions de vente aux futurs propriétaires. Sur les lots d’un peu plus de quinze mètres en façade, les acheteurs devront ériger une maison en pierre de deux étages, sans compter le sous-sol et les combles, et un arbre doit être planté à l’avant de la résidence. Ainsi, la communauté s’assure d’avoir une perspective uniforme dont le point focal est la chapelle, à l’extrémité nord de la rue Sainte-Famille. L’objectif étant de mettre en valeur le dôme de la chapelle. Culminant à 42 mètres au-dessus du niveau de la rue, celui-ci est visible à des lieues à la ronde et demeure un élément extraordinaire du paysage montréalais à l’époque. Il s’agit alors d’un aménagement urbain unique à Montréal. En déménageant l’Hôtel-Dieu au mont Sainte-Famille, les Hospitalières entreprennent donc l’urbanisation de tout un secteur de la ville dont la population croît rapidement.
Un hôpital moderne pour une ville moderne
Hôtel-Dieu 3
Afin de soigner les malades, les Hospitalières établissent une entente, en 1850, avec l’École de médecine et de chirurgie de Montréal, fondée en 1843. Les étudiants de l’École, supervisés par des médecins qualifiés, pourront avoir un accès exclusif aux salles communes comme lieu de pratique. En échange de quoi, ils offrent gratuitement leurs services aux personnes souffrantes. Le déménagement au mont Sainte-Famille ne remet pas en question cette association qui perdure jusqu’en 1890 alors que l’École fusionne avec la Faculté de médecine de la succursale montréalaise de l’Université Laval de Québec.
La population croissante de Montréal entraîne, inévitablement, une augmentation du nombre de personnes à soigner. De plus, la recherche en médecine permet le développement de spécialisations, comme la neurologie, nécessitant des espaces adéquatement équipés pour répondre à la demande. Entre 1886 et 1939, plusieurs ajouts et transformations sont faits. C’est ainsi que sont successivement construits certains pavillons : Le Royer (1942), Jeanne-Mance (1950) et De Bullion (1952). À la fin du XXe siècle, l’Hôtel-Dieu est passé d’un hôpital spacieux à un complexe hospitalier qui s’étend sur pratiquement tout un pâté de maisons. Ces additions font d’ailleurs se déplacer le pôle principal de l’hôpital de l’avenue des Pins à la rue Saint-Urbain.
Si initialement l’Hôtel-Dieu est destiné aux moins nantis, il n’en dessert pas moins une clientèle locale qui est en mesure de payer pour les services qu’elle reçoit. En 1871, afin d’accommoder celle-ci, deux chambres individuelles, au coût de un dollar par jour, sont rendues disponibles. Celles-ci deviennent de plus en plus nombreuses au fil des années. En 1902, une annexe est construite où sont aménagées une soixantaine de chambres individuelles et semi-individuelles. Il s’agit d’une source de revenus supplémentaire pour les Hospitalières qui pratiquent une certaine économie de la survivance au sein de l’établissement. Par ailleurs, jusqu’au début des années 1930, l’Hôtel-Dieu est pratiquement autosuffisant. La chapelle servira aussi périodiquement à différentes congrégations dont l’église paroissiale n’est pas encore disponible au culte. Certaines communautés immigrantes, comme celle provenant du Portugal, y pratiquent aussi ses dévotions pendant un temps.
Les infirmières de l’Hôtel-Dieu, héritières de Jeanne Mance
Hôtel-Dieu 4
Au début du XXe siècle, les infirmières, laïques, sont formées à l’École Jeanne-Mance de l’Hôtel-Dieu. C’est le début d’une véritable professionnalisation de ce métier. Si la formation dure d’abord deux ans jusqu’en 1908, elle passe à trois par la suite, et ce, jusqu’à sa fermeture en 1970. Ce sont environ 300 infirmières en devenir, 100 par année, qui étudient au sein de cet établissement. Âgées d’environ 17-18 ans, les jeunes filles qui postulent doivent être recommandées. Une fois admises, elles suivent des cours théoriques, mais aussi pratiques et de déontologie. L’enseignement se fait d’abord par des infirmières hospitalières puis en tandem avec des laïques diplômées de l’école. Des médecins et autres professionnels de la santé offrent également des conférences. L’uniforme des étudiantes, blanc de la tête aux pieds, permet de rapidement les distinguer dans les couloirs de l’hôpital. Une médaille indique à quelle année elles appartiennent. À la suite d’une période d’essai de trois mois, l’étudiante se voit confier de plus en plus de responsabilités au fur et à mesure que sa formation progresse. À la fin, elle a même un « service », c’est-à-dire des patients à charge. En 1963, l’école est ouverte aux hommes. Lorsque l’école ferme ses portes et que l’enseignement des sciences infirmières passe aux cégeps, l’École Jeanne-Mance de l’Hôtel-Dieu peut se targuer d’avoir diplômé 3000 infirmières et 24 infirmiers.
La fin de l’Hôtel-Dieu au pied de la montagne
Hôtel-Dieu vue aérienne
Les heures de l’Hôtel-Dieu au pied du mont Royal sont comptées et les patients quittent le site en 2017. La conclusion de la construction du nouveau CHUM en 2021 marque la fin du regroupement des trois hôpitaux. L’Hôtel-Dieu ferme officiellement ses portes après près de 380 années d’existence. En 2021, les gouvernements et les citoyens sont à la recherche d’une nouvelle vocation pour cet édifice patrimonial plus que centenaire afin de lui assurer une pérennité dans le quartier.
Merci à Dany Fougères pour la relecture de cet article et au Laboratoire d’histoire et de patrimoine de Montréal pour son soutien à la recherche. Merci aussi à Richard Phaneuf et à Charlotte Thibault de la Communauté Milton Parc pour leur relecture.
Natif de Lavaltrie, Victor Bourgeau (1809-1888) fera une carrière florissante à titre d’architecte du milieu religieux au Québec pendant la seconde moitié du XIXe siècle. Au cours des années 1820, il travaille auprès de son oncle comme apprenti menuisier et charpentier dans sa région natale avant de faire ses premières armes en solo à Boucherville en 1839. Influencé par John Ostell, architecte et homme d’affaires canadien né à Londres, il réalise les plans de sa première œuvre architecturale religieuse, l’église Saint-Pierre-Apôtre de Montréal, en 1851.
L’église plaît tellement à monseigneur Ignace Bourget, évêque de Montréal entre 1840 et 1876, qu’il embauche Bourgeau comme conseiller architectural officiel de l’évêché. Cette faveur lui permettra de penser des églises et des cathédrales aux quatre coins du Québec, incluant la cathédrale Marie-Reine-du-Monde de Montréal, dont les plans sont librement inspirés de la basilique Saint-Pierre de Rome et dont la construction s’amorce en 1875. L’ensemble conventuel de l’Hôtel-Dieu de Montréal est le premier réalisé par Victor Bourgeau au cours de sa carrière.
COHEN, Yolande. Profession infirmière, une histoire des soins dans les hôpitaux du Québec, Les Presses de l’Université de Montréal, 2000, 322 p.
DAIGLE, Johanne. « Devenir infirmière : les modalités d’expression d’une culture soignante au XXe siècle », Recherches féministes, vol. 4, no 1, 1991, p. 67-86.
GAGNON, Hervé. Soigner le corps et l’âme. Les Hospitalières de Saint-Joseph et l’Hôtel-Dieu de Montréal, XVIIe-XXe siècles, Sherbrooke, GGC Éditions, 2002, 97 p.
GAUMOND, Catherine, et Roseline BOUCHARD. « L’enseignement des soins infirmiers des Religieuses Hospitalières de Saint-Joseph », Patrimoine immatériel religieux du Québec, 2009.
GAUTHIER, Élaine, et Françoise CARON. Énoncé de l’intérêt patrimonial – Le site de l’Hôtel-Dieu de Montréal, Montréal, Ville de Montréal – Patrimoine Montréal, mai 2016, 60 p.