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Griffintown, déclin et renouveau

20 janvier 2016
Charles TurgeonCharles Turgeon
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Au XXe siècle, un inexorable déclin marque Griffintown : la population quitte les taudis tandis que l’industrie s’essouffle. Pendant les années 1990 s’amorce pourtant un spectaculaire retour à la vie.

Quartier aux identités multiples, Griffintown a fait la une au début des années 2000 alors que gouvernements et entreprises privées investissaient à coup de millions dans ce coin, longtemps oublié, de la ville. Du fief Nazareth, à vocation agricole, à la nouvelle Cité du Multimédia, en passant par le fleuron de l’industrie canadienne, le faubourg a connu des transformations radicales au fil du temps. Après un long déclin a émergé un quartier neuf aux accents de haute technologie.

Détérioration des conditions de vie

Griffintown - maison 1903

Photographie d'une maison en bois typique du quartier. On remarque que son toit s'affaisse au centre.
Houses for Mr. Meredith, Montreal, QC, 1903, par William Notman & Son, Musée McCord, II-146359.
Le développement rapide du secteur au XIXe siècle n’est pas entièrement positif : beaucoup de maisons ont été construites rapidement pour loger les ouvriers des nouvelles usines. Au début des années 1900, ces maisons, manquant d’entretien, deviennent des taudis. Se pose aussi un problème de surpeuplement : les appartements sont parfois subdivisés pour accueillir d’autres familles. Au commencement du XXe siècle, 30 000 personnes s’entassent à Griffintown, un maximum jamais plus atteint.

Le secteur est mal desservi par le réseau d’aqueducs et il est régulièrement frappé par des incendies, des inondations et des épidémies. Une première grave épidémie de typhus tue ainsi 6000 Irlandais en 1847. Dès les premières années du XXe siècle, les ouvriers les plus riches commencent à quitter Griffintown et la population stagne. Beaucoup vont quand même rester en raison du faible coût des loyers et de la présence de services communautaires, surtout destinés à la communauté irlandaise.

Déclin industriel au XXe siècle

L’essoufflement se fait aussi sentir dans le domaine industriel : alors qu’un tiers des usines de Montréal se trouvaient à Griffintown en 1860, moins d’un dixième y sont établies en 1930. Hormis pendant les deux guerres mondiales, qui donnent au quartier ses dernières heures de gloire avec la production de masse de matériel de guerre, le faubourg, durement touché par la crise de 1929, subit un déclin économique.

Autoroute Bonaventure en 1966

Vue aérienne de l'autoroute Bonaventure parmi le paysage urbain montréalais, vue du sud. On aperçoit l'usine Five Roses au centre ainsi que le mont Royal en haut à gauche.
1966, Autoroute Bonaventure, par Henri Rémillard, Archives de la Ville de Montréal, VM94-B23-001.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’abandon du secteur se poursuit : seule la brasserie Dow est rénovée durant les années 1950, alors que les autres usines vieillissent rapidement. Ces industries étaient relativement viables tant qu’elles disposaient d’un débouché facile grâce au canal de Lachine. La voie maritime du Saint-Laurent, inaugurée en 1959, réduit fortement l’attrait économique du canal. Dès 1964, on ferme les écluses qui permettaient d’entrer, à partir du port, dans le canal dont la fermeture est effective en 1969. Il faudra attendre 2002 pour que des navires empruntent à nouveau le canal.

Autre coup dur, l’ouverture de l’autoroute Bonaventure en 1966 cause la destruction de 34 usines et entrepôts ainsi que d’une centaine de logements. Pendant cette décennie, les parcs de stationnements se multiplient, une réalité qui a perduré. L’activité industrielle du faubourg ne survit donc pas aux années 1970. Cet effondrement survient au moment même où tout le sud-ouest montréalais subit une désindustrialisation. Les fermetures d’usines et leur abandon, ainsi que le déménagement des compagnies, ne sont donc pas, à cette époque, caractéristiques de Griffintown.

Griffintown - démolition église Sainte-Anne

Photographie d'une paroi de l'église en démolition; des débris ornent le sol.
Mur latéral de l'église Sainte-Anne durant la démolition, Pointe-Saint-Charles, Montréal, QC, 1970, par David Wallace Marvin, Musée McCord, MP-1978.186.2482.
En outre, un profond traumatisme est survenu en 1963 : la Ville de Montréal change le zonage du quartier pour qu’il soit uniquement industriel. Pendant plusieurs décennies, les maisons détruites ne peuvent pas être remplacées par d’autres résidences. La population passe de 1600 personnes en 1966 à 800 en 1971. À partir des années 1970, des écoles et des églises sont carrément détruites (comme l’église irlandaise Sainte-Anne), ce qui décourage encore plus les familles de s’établir dans Griffintown.

Résistance et longue reconstruction

Les résidants qui restent réussissent cependant à se mobiliser pour sauver les dernières traces du passé ouvrier. Un comité de citoyens est par exemple mis sur pied durant les années 1970. Progressivement, la reconstruction du quartier s’organise : la zone sud, autour du canal de Lachine, est revitalisée à partir des années 1980 par des projets des gouvernements fédéral et provincial.

Du côté nord, l’implantation de l’École de technologie supérieure, au milieu des années 1990, relance l’activité de la rue Notre-Dame. Notons que cette institution s’installe dans les anciens locaux de la brasserie Dow, fermée en 1991. Ces grands projets publics incitent les promoteurs immobiliers à revenir dans cette zone durant les années 2000 et, par sa proximité avec le centre-ville, Griffintown redevient un secteur attirant pour les entreprises. Au début des années 2000, 6000 personnes y travaillent alors que la Ville permet à nouveau les constructions résidentielles.

Investissements et multimédia

Griffintown en 2010

Photographie couleur de Griffintown le soir, vu du sud de Montréal.
Photographie de Denis-Carl Robidoux, Centre d’histoire de Montréal.
Laissé pour compte pendant des décennies, le faubourg est probablement, au début des années 2000, le quartier de Montréal qui vit le plus intense développement. Alors que seuls quelques anciens se souvenaient de la frénésie agitant Griffintown, l’activité y a repris autour du patrimoine industriel. Des artistes et des entrepreneurs de toutes sortes ont pris d’assaut le lieu et ont recyclé les anciens bâtiments industriels, leur insufflant une seconde vie. À partir de 1998, les gouvernements investissent des centaines de millions pour revitaliser ce quartier et lui donner une nouvelle vocation : le multimédia. Dans ce cadre, des dizaines d’entreprises des nouvelles technologies occupent ce territoire, dans les locaux des vieilles usines restaurées ou dans des constructions récentes. Enfin, les résidants, eux aussi, reviennent peu à peu habiter Griffintown.

Ce qui illustre peut-être le mieux la volonté de renaissance, c’est la série de noms qui sont donnés au secteur entre les années 1960 et 1990 pour lui conférer une certaine étiquette : faubourg des Récollets, quartier des Écluses, Cité du Multimédia. Le fait qu’on revalorise le mot Griffintown au tournant du XXIe siècle est signe d’une certaine maturité : les Montréalais ont peut-être enfin accepté le riche passé de ce quartier unique, foyer historique de la communauté irlandaise et berceau de l’industrialisation montréalaise.

Cet article est a été écrit à partir d’un article paru dans le numéro 40 du bulletin imprimé Montréal Clic, publié par le Centre d’histoire de 1991 à 2008. Il a été remanié en 2015 par Anne Gombert et Charles Turgeon.

Avant-après : Griffintown

Vue aérienne de Griffintown à la fin du XIXe siècle avec l’église Sainte-Anne, le canal de Lachine et le pont Victoria en arrière-planVue aérienne récente du parc du Faubourg-Sainte-Anne, du canal de Lachine et du fleuve en arrière-plan

Vue sur le parc du Faubourg-Sainte-Anne, à l'angle des rues de la Montagne et Rioux.

Avant

1896. Vue de Montréal depuis la cheminée de la centrale de la Montreal Street Railway, QC, 1896, par Wm. Notman & Son. Musée McCord. VIEW-2942.

Après

2014. Griffintown, par Denis-Carl Robidoux. Centre d’histoire de Montréal.