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La fonderie Darling Bros.

20 janvier 2016

En 1888, les trois frères Darling tentent leur chance dans un secteur en pleine expansion : la métallurgie. Ils seront bientôt à la tête du plus important complexe industriel de Griffintown.

Localisation: 745, rue Ottawa

C’est en 1888 qu’Arthur Jarvie Darling (1863-1915) et ses deux frères, George et Frank, ouvrent la fonderie Darling Brothers Ltd. Forts de leurs expériences respectives de machiniste et d’ingénieur pour la Grand Trunk Railway Co. et la Canadian Pacific Railway Co., ils ont décidé de tenter leur chance dans un secteur en pleine expansion : la métallurgie.

Le choix du site de leurs installations se fait sans trop de difficultés. Toute l’industrie métallurgique montréalaise, dont le nombre de fonderies est passé de 8, en 1851, à 20, en 1890, est concentrée dans le faubourg Sainte-Anne (qu’on appelait aussi Griffintown), tout juste à l’ouest du Vieux-Montréal et surtout à l’entrée du canal de Lachine. C’est à l’intersection des rues Queen et Ottawa que les frères Darling font construire le premier bâtiment de ce qui deviendra rapidement le plus important complexe industriel du secteur. J.R. Gardiner, l’architecte-ingénieur de la compagnie, dessine cette première bâtisse, complétée en 1889, un an après la fondation de la Darling. Répondant aux exigences de l’industrie (c’est à dire de vastes espaces décloisonnés et des planchers d’une solidité à toute épreuve), la première fonderie de la Darling se dresse toujours au 735 de la rue Ottawa. C’est là que se rendaient chaque matin les ouvriers mouleurs résidants pour la plupart dans les rues avoisinantes. Ils y produisaient une multitude de pièces industrielles, de l’extracteur d’huile à la poulie d’embrayage, grâce à la technique de la fonte au sable.

Construction d’un complexe industriel

La demande pour les produits de la Darling est si forte au début du XXe siècle, et particulièrement au cours de la Première Guerre mondiale, qu’une seconde fonderie est érigée en 1918 au 745 de la rue Ottawa. La Darling fournit alors à de nombreux fabricants d’équipement des pièces destinées aux armées des pays alliés. Le nouveau bâtiment, surnommé le Serpent à cause de l’imposant système de cheminées qui le coiffe, est typique de l’architecture industrielle du début du XXe siècle : structure en béton, parement en brique et large fenestration. Bientôt, cet espace ne suffit plus pour la compagnie. L’ensemble de l’industrie métallurgique, dans les années qui précèdent la crise de 1929, connaît alors son apogée. La Darling, portée par l’enthousiasme de cet âge d’or, décide de s’agrandir sur la rue Prince à l’arrière de l’immeuble de bureaux qu’elle s’était fait construire en 1909 sur la rue Ottawa. Cet ajout au complexe industriel de la Darling, qui sert d’atelier d’usinage des pièces, est construit en 1927 et agrandi en 1938 de deux étages. La structure apparente en béton de ce dernier bâtiment se rapproche du style architectural de celui de l’American Can Company, situé sur le boulevard Pie-IX dans le quartier Maisonneuve.

La compagnie emploie alors, malgré la crise des années 1930, près de 200 ouvriers. C’est le plus important employeur du quartier et le plus grand complexe industriel métallurgique à Montréal. Et pourtant, la fonderie des frères Darling demeure une entreprise de taille moyenne.

Un siècle d’activité

Fonderie Darling - Projet Courte-Pointe, 2012

Installation de Philippe Allard et Justin Duchesneau sur la place publique de la Fonderie Darling.
2012, Courte-Pointe, Philippe Allard, Justin Duchesneau, Installation Place Publique de la Fonderie Darling, 2012 © Guy L'Heureux.
Depuis le dernier sursaut d’activité lié à la Seconde Guerre mondiale, la demande de machinerie et d’objets en fonte a diminué considérablement. Comme pour l’ensemble de l’industrie manufacturière du vieux Griffintown et de tout le sud-ouest de la ville, la Darling ne survit pas à la fermeture du canal de Lachine en 1969. Rachetée en 1971 par l’américaine Pumps & Softener, qui y fabrique ses produits industriels, la vieille Darling n’est plus que l’ombre d’elle même. C’est finalement en 1991 que la fonderie ferme ses portes après 101 ans de feu, de fer et de fumée, alors que la production est déménagée à Toronto et Buffalo.

Pendant 10 ans, le complexe de la Darling est laissé à l’abandon. Le regroupement d’artistes Quartier Éphémère, ayant développé en France la pratique de la récupération de bâtiments industriels vacants pour en faire des lieux de création et d’exposition, s’implique dans la sauvegarde des bâtiments de la Darling à partir d’avril 2001. Le regroupement obtient alors l’autorisation et les subventions nécessaires afin d’installer dès l’année suivante un centre d’arts visuels dans la plus vieille partie du complexe. Le travail des architectes de l’Atelier In Situ (prix de l’Ordre des architectes du Québec 2003) et la mise en valeur faite par Quartier Éphémère ont été une réussite sur toute la ligne. Inaugurée en 2006, la deuxième phase du projet correspond à la rénovation de l’ancien entrepôt de la fonderie, situé au 735, rue Ottawa. On ajoute aux salles d’exposition déjà existantes 10 ateliers individuels de création, 5 locaux de production ainsi que 2 ateliers-résidences. Au terme de ce dernier réaménagement, 3500 m2 d’espace industriel ont été convertis pour faire place aux arts visuels. Ce changement radical de vocation, qui aurait certainement été très difficile à imaginer pour les ouvriers mouleurs de la Darling en 1888, est à l’image de la renaissance de Griffintown depuis les années 2000.

Fonderie Darling

Édifice ayant abrité la fonderie Darling
Photo de Jean-Paul Ganem, Variations, 2014 (https://www.flickr.com/photos/art_inthecity/14878255350/)

Cet article est paru dans le numéro 40 du bulletin imprimé Montréal Clic, publié par le Centre d’histoire de 1991 à 2008.