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Les Beaubien, promoteurs fonciers au cœur du Mile End et d’Outremont

17 septembre 2019
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Trois générations de Beaubien ont contribué à modeler le visage actuel du Plateau Mont-Royal. La famille a également joué un rôle essentiel dans la création et le développement d’Outremont.

Beaubien - annonce

Annonce de journal de Louis Beaubien pour ceux qui voudraient s’établir sur sa propriété du Mile End.
Le Prix Courant, vol 2, n° 12, 25 mai 1888, p. 15.
Au XIXe siècle, la famille Bagg possède, à l’ouest du chemin Saint-Laurent, des terres qui resteront essentiellement consacrées à l’agriculture et à la villégiature jusqu’à la fin du siècle; ainsi, les fermes nommées « Mile End » et « Black Gate » ne commenceront à être loties qu’après 1890. Du côté est, par contre, la famille Beaubien intervient dans un territoire où se trouve déjà un village, qui se scindera en trois municipalités distinctes. L’ancien hameau de la Tannerie des Bélair est devenu officiellement Côte-Saint-Louis en 1846. Deux autres villages en émergeront : Saint-Jean-Baptiste en 1861 et Saint-Louis-du-Mile-End, en 1878. Dans ce dernier cas, l’action de la famille Beaubien a été décisive.

Pierre Beaubien et la côte Saint-Louis

Pierre Beaubien

Photo en noir et blanc d’un homme d’âge mûr de la bourgeoisie, assis, portant un complet.
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Le premier Beaubien, Pierre (1796-1881), est médecin et politicien. Diplômé de la Sorbonne, il est un des fondateurs de l’école francophone de médecine de Montréal. Mais c’est son activité de promoteur foncier qui nous intéresse ici : au milieu du XIXe siècle, il est parmi les plus grands propriétaires de Montréal, possédant de vastes terres à Côte-Sainte-Catherine, Côte-Saint-Louis et Côte-des-Neiges, là où se trouve l’actuel cimetière catholique.

Pierre Beaubien acquiert une première partie de ses terres en 1842. Elle correspond essentiellement à deux vastes propriétés : la « terre de Sainte-Catherine » — au cœur de ce qui deviendra la municipalité d’Outremont — et la « terre des carrières », située au nord de l’ancien fief Closse. La terre des carrières est une longue bande étroite du coteau Saint-Louis : ses limites actuelles correspondent au sud, à l’avenue du Mont-Royal; au nord, à la rue de Castelnau; à l’ouest, au boulevard Saint-Laurent; et à l’est, à l’avenue Coloniale.

Deux ans plus tard, en 1844, Pierre Beaubien élargit son territoire lorsqu’il s’associe à deux autres politiciens, Louis-Hippolyte La Fontaine, futur premier ministre du Canada, et Joseph Bourret, alors maire de Montréal, pour faire l’acquisition de l’arrière-fief La Gauchetière, qui est adjacent et dont la frontière est correspond à l’actuelle avenue de l’Hôtel-de-Ville. Pierre Beaubien complète ses acquisitions au Mile End en 1845, lorsqu’une bande de terrain qui va jusqu’à l’actuelle avenue Henri-Julien, et qui appartenait à Jacob Wurtele, est vendue aux enchères.

Après la période troublée qui a culminé avec les rébellions de 1837 et 1838, Montréal, devenu capitale du Canada, est de nouveau en pleine croissance. Les promoteurs sont donc de plus en plus nombreux à espérer que les faubourgs de la ville s’étendent au nord de la côte à Baron, la dénivellation située entre les actuelles rues Ontario et Sherbrooke. Au cours des décennies suivantes, plusieurs projets qui ont contribué à donner son visage actuel au sud du Plateau Mont-Royal seront mis en chantier. On passe alors de l’époque des maisons villageoises, surtout construites en bois le long des chemins de communication, aux lotissements planifiés, quadrillés régulièrement par des rues et des maisons de briques en rangée construites en série.

En 1844, toutefois, rien ne laisse présager que les terres acquises par le docteur Beaubien au nord de l’actuelle avenue Mont-Royal sont appelées à s’urbaniser à court terme. Le secteur est alors quasi désert et, en plus, peu propice à l’agriculture : le sol est peu profond, rocailleux et parsemé de marécages. La principale activité qui y est pratiquée est l’extraction de la pierre.

La famille Beaubien va avoir recours à toute une stratégie pour mettre en valeur ce territoire, stratégie qui s’étendra sur 3 générations et plus de 80 ans. Ce plan de développement urbain repose sur deux axes : la formation d’un ensemble institutionnel paroissial et l’implantation d’une gare.

À cette époque, la paroisse de Montréal, administrée par les Sulpiciens, est un vaste territoire qui englobe tout le Plateau Mont-Royal actuel et bien plus encore. Malgré l’expansion urbaine, ses frontières n’ont pas été revues depuis 1721. Conscient du problème, l’évêque de Montréal, monseigneur Ignace Bourget, veut rapprocher l’église de ses fidèles et encadrer plus étroitement les milliers de paysans qui viennent s’établir en ville à la recherche de travail. Une telle démarche passe donc par le morcellement de la paroisse de Montréal et sa réorganisation en des unités plus petites qui correspondent aux nouvelles banlieues.

C’est vers 1846 que monseigneur Bourget décide de démembrer la paroisse de Montréal, soit deux ans après que Pierre Beaubien a complété ses acquisitions dans le Mile End. Au printemps 1848, Pierre Beaubien annonce son intention de faire don à l’évêque d’une série de lots adjacents à la carrière située au cœur de ses propriétés pour y installer un établissement religieux. La transaction sera conclue le 3 novembre 1849.

Louis Beaubien

Photo d’un homme d’âge mûr portant une moustache.
Bibliothèque et Archives Canada. PA-207584.
Plusieurs établissements seront créés par l’évêque : école, église, institut pour les sourds-muets, asile et couvent. Un noyau villageois, distinct de celui de Côte-Saint-Louis situé plus à l’est, se développera donc dans les alentours, le long du chemin Saint-Laurent. Il appartiendra alors au fils de Pierre, Louis Beaubien (1837-1915), d’y poursuivre le développement. Député et ministre à l’Assemblée législative du Québec, il utilisera son influence politique pour obtenir, en 1877, l’implantation d’une gare au milieu des terres familiales (à l’intersection des actuelles rues Bernard et Saint-Dominique).

Les querelles sur l’emplacement de la gare seront l’un des facteurs qui causeront la sécession de la partie ouest de Côte-Saint-Louis : le village de Saint-Louis-du-Mile-End est créé en 1878. Au cours des décennies suivantes, la gare attirera de nombreuses industries, particulièrement au début du XXe siècle. La famille Beaubien vendra alors des milliers de « lots à bâtir » sur ses anciennes fermes; on y construira les duplex et triplex qui abriteront les familles ouvrières travaillant dans les manufactures.

Les Beaubien et la création d’Outremont

Famille Beaubien 1914

Famille nombreuse de différentes générations posant à l’extérieur devant un gros arbre
Collection de la famille Beaubien
D’une génération à l’autre, la famille Beaubien développe ses projets immobiliers selon un double axe : dans le Mile End, elle sera toujours un « propriétaire absent » et n’y installera jamais ses résidences. À Outremont, par contre, la « terre de Sainte-Catherine » sera le fondement d’un tout autre modèle de développement immobilier : d’abord ferme commerciale et maison de campagne, elle devient la résidence principale de Louis Beaubien en 1866. En 1875, il joue le rôle-clef pour y créer le village d’Outremont. Louis Beaubien, passionné d’agriculture et d’élevage, y implantera une ferme modèle et un « haras national ».

Louis Beaubien confiera la suite à deux de ses fils : Joseph (1865-1949) et Charles-Philippe Beaubien (1870-1949). Le premier sera maire d’Outremont pendant 40 ans. Sous sa gouverne, le village perd son caractère champêtre et devient l’une des banlieues les plus cossues de Montréal. Charles-Philippe, avocat et sénateur, s’occupera, lui, des affaires du Mile End jusqu’à l’annexion par Montréal en 1910.

Cet article est tiré des textes La famille Beaubien et La famille Beaubien et la gare du Mile End, rédigés par Yves Desjardins en 2014 et disponibles sur le site Internet de Mémoire du Mile End.

Référence bibliographique

DESJARDINS, Yves. Histoire du Mile End, Québec, Septentrion, 2017, 355 p.