L’histoire de l’Institution catholique des Sourds-Muets et de la communauté des sourds à Montréal est intimement liée à celle du quartier du Mile End.
À l’automne 1849, monseigneur Bourget, évêque de Montréal, fait construire un édifice pour accueillir l’Institution catholique des Sourds-Muets. Il est bâti sur un terrain donné par le docteur Pierre Beaubien, à l’actuel coin sud-est des voies Laurier et Saint-Dominique. Fondée à Montréal en novembre 1848 par l’abbé Irénée Lagorce, l’institution était auparavant logée rue Brock, au Pied-du-Courant.
Une première école pour les sourds avait été ouverte à Québec en 1831 mais fermée en 1836, faute de subsides. En 1850, l’Institution catholique des Sourds-Muets déménage dans les nouveaux locaux, plus spacieux mais inachevés. La bâtisse en pierre de trois étages est destinée à héberger l’Institution, mais aussi l’école du village Côte-Saint-Louis et une chapelle pour les offices religieux en attendant la construction d’une église — l’église Saint-Enfant-Jésus du Mile-End — à côté de l’édifice de l’Institution des Sourds-Muets.
Une institution vouée à l’intégration des sourds
Institution des Sourds-Muets
En 1856, le frère Jean-Marie-Joseph Young prend le relais de l’abbé qui, face au manque de soutien, a abandonné l’œuvre. Il va devenir l’âme de l’école pendant 40 ans et lui assurer sa pérennité. Ce jeune Français, sourd, a décidé de se joindre à la communauté des Clercs de Saint-Viateur, qui administre l’Institution. Il a fait le voyage jusqu’à Montréal avec monseigneur Bourget, qui s’était rendu en Europe pour y recruter des religieux pour son diocèse. Une autre figure, entièrement gagnée à la cause des sourds, contribuera à donner de solides assises à l’Institution : le frère Alfred Bélanger, qui dirigera l’Institution de 1863 à 1884 et de 1895 à 1900.
L’Institution catholique des Sourds-Muets est un internat scolaire et professionnel de garçons. Elle vise à intégrer les sourds à la société et à en faire de bons citoyens et de bons chrétiens. Pour mener à bien cet enseignement, l’Institution se dote d’ateliers et procède à des agrandissements successifs de ses installations sur les côtés nord et sud de la rue Saint-Louis (future avenue Laurier) au fil du développement de l’école. Les différents édifices sont reliés par une passerelle au-dessus de la rue. Sont installés des ateliers de couture, cordonnerie, reliure, imprimerie, menuiserie, peinture et une forge. Certains de ces ateliers deviennent de vraies petites entreprises. Ainsi en est-il des ateliers d’imprimerie et de reliure, les Clercs s’étant spécialisés dans l’impression de manuels scolaires.
Ateliers et agriculture
Institution des Sourds-Muets
En 1882, l’Institution se dote d’une ferme-école à Terrebonne. En 1887, elle fait l’acquisition d’une nouvelle propriété au pied du mont Royal à Outremont et y transfère la ferme-école. Alors qu’Outremont est le potager de Montréal, alimentant la ville en légumes et fruits, on se consacre essentiellement au maraîchage, en particulier la culture de la pomme de terre et de la rhubarbe. On y élève également des vaches laitières dont le lait couvre les besoins de l’Institution.
Il faudra attendre les luttes militantes des années 1970 pour qu’une culture sourde québécoise soit reconnue. Cependant, dès sa fondation, l’Institution constitue un catalyseur pour le développement d’une communauté sourde. Le frère Jean-Marie-Joseph Young, lui-même sourd, met en place, dès les années 1850, une école du dimanche à laquelle se rendent les adultes sourds de Montréal. L’Institution devient un lieu de réunion pour les adultes sourds : en 1901, le Cercle Saint-François-de-Sales est la première association de sourds officiellement fondée au Québec. Le Cercle est à l’origine une association d’anciens élèves, bénéficiant d’une salle de réunion à l’Institution, où les membres peuvent se réunir les soirs des jours de semaine et toute la journée du dimanche. Il organise des activités sociales et d’entraide.
Au tournant du XXe siècle, l’Institution est à l’étroit dans des locaux mal conçus, agrandis au fur et à mesure et sans plan d’ensemble. Les Clercs désirent déménager l’école. En 1913, l’Institution fait l’acquisition de terrains plus au nord, sur le boulevard Saint-Laurent, à l’intersection de la rue De Castelnau. Dans le contexte économique difficile de la Première Guerre mondiale, qui fait flamber les prix des matériaux, les travaux prendront près de 10 années.
Déménagement et mutations
En 1921, l’Institution des Sourds-Muets déménage enfin dans le nouvel édifice à l’architecture monumentale de style Beaux-Arts, dont les plans sont signés par les architectes Joseph-Elgide-Césaire Daoust et Louis-Zéphirin Gauthier.
À la suite du rapport Parent (1963-1964), le système éducatif québécois connait une profonde réforme. Celle-ci confie l’éducation spécialisée au niveau secondaire aux écoles polyvalentes et aux cégeps, nouvellement créés. À partir des années 1970, les élèves sourds sont intégrés progressivement au système éducatif courant et l’Institution des Sourds de Montréal (nom que prend l’Institution des Sourds-Muets en 1968) est transformée en un centre de réadaptation. En 1975, c’est la fin de l’enseignement secondaire à l’Institution et, en 1981, celle de l’enseignement primaire.
L’Institution des Sourds-Muets ne fait plus partie du patrimoine bâti du Mile End. La bâtisse originelle, rachetée par les Sœurs franciscaines missionnaires de Marie, a été remplacée dans les années 1960 par une extension de leur édifice de l’avenue Laurier. Mais, si l’on se promène dans Outremont, la toponymie témoigne de la présence des Clercs de Saint-Viateur et de leur œuvre d’éducation auprès des sourds.
Cet article est tiré du texte Institution des Sourds-Muets disponible sur le site Internet de Mémoire du Mile End.
DESJARDINS, Yves. Histoire du Mile End, Québec, Septentrion, 2017, 355 p.