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Au pied de la montagne, l’Hôtel-Dieu de Montréal

06 mai 2022

Fondé au XVIIe siècle, puis établi en 1861 dans le futur quartier Milton Parc qu’il a fortement marqué, l’Hôtel-Dieu a été au service de la santé des Montréalais pendant près de 380 ans.

Hôtel-Dieu 1

Gravure en noir et blanc montrant un large bâtiment dont la partie centrale est surmontée d’un dôme. L’édifice se trouve derrière un mur de pierre. Au premier plan, une rue sur laquelle circulent des calèches et des piétons. Le trottoir est bordé d’arbres
BAnQ numérique
Au XXIe siècle, Montréalais et Montréalaises situent l’Hôtel-Dieu de Montréal au pied du mont Royal à l’extrémité nord du quartier Milton Parc et non loin de l’ancien Mille carré doré où étaient regroupées les grandes fortunes du Canada. Pourtant, c’est dans le secteur actuel du Vieux-Montréal que naît l’Hôtel-Dieu au XVIIe siècle, lorsqu’il est fondé par Jeanne Mance. Ce n’est qu’au milieu du XIXe siècle qu’il sera déplacé près de la montagne.

Ce déménagement est notamment dû à des incendies à répétition (1695, 1721 et 1734), mais aussi au fait que la ville prend de l’ampleur. Les religieuses hospitalières de Saint-Joseph, dépositaires de l’Hôtel-Dieu depuis le décès de Jeanne Mance, sont de plus en plus à l’étroit dans l’hôpital de la rue Saint-Paul. Dans un geste mûrement réfléchi, la communauté, à la recherche d’un espace verdoyant et d’air pur pour le rétablissement des malades, prend la décision de plier bagage et de monter au nord de la rue Sherbrooke, au mont Sainte-Famille, aux limites de la ville à cette époque.

Un déménagement préparé

Hôtel-Dieu 2

Peinture en couleur montrant une scène extérieure. Se trouvant sur une montagne, le point de vue est en hauteur sur une ville dont on distingue les plus grandes structures au loin. Il y a deux personnages et des bestiaux au premier plan.
Musée McCord, M2004.29.1
Le terrain où sera construit le nouvel Hôtel-Dieu est une possession des Hospitalières depuis un certain temps. Comme bien d’autres communautés religieuses, elles ont reçu la propriété à la suite d’une donation. Les frères Benoît et Gabriel Basset, fils du notaire Bénigne Basset et frères de Marie, une hospitalière décédée à un jeune âge, font don de cette propriété terrienne et d’une résidence à la communauté en 1730. En échange, les Hospitalières doivent prendre en charge les frères Basset. De forme étroite, le terrain de 150 arpents s’étend du sud de la rue Sherbrooke jusqu’à proximité de l’actuelle rue Jean-Talon au nord. Les Hospitalières l’exploitent bien avant l’implantation du nouvel Hôtel-Dieu. Elles y pratiquent l’agriculture, mais aussi l’extraction de sable et de pierre faisant de la Terre-de-la-Providence, nom donné par les religieuses qui changera pour le mont Sainte-Famille sous l’influence de l’évêque Ignace Bourget, l’une des premières carrières de Montréal.

La construction de l’Hôtel-Dieu, selon les plans de l’architecte Victor Bourgeau, a lieu entre 1859 et 1861. Les Hospitalières profitent de l’occasion pour se procurer auprès de Stanley Clark Bagg deux parcelles de terre se trouvant de part et d’autre de la terre donnée par les Basset. L’espace ainsi créé sera utile aux ajouts qui seront faits dans les années à venir. Destiné aux religieuses, aux pauvres et aux orphelins, l’Hôtel-Dieu est composé de deux ensembles distincts : le couvent et l’hôpital lui-même. Les deux parties sont jointes par la chapelle qui se trouve au centre et dont l’entrée fait face à la rue Sainte-Famille, offrant ainsi une perspective majestueuse sur l’un des premiers bâtiments institutionnels implantés dans ce secteur de la ville.

À ce moment, les pourtours du mont Royal à la hauteur de la rue Sherbrooke ne sont que très peu habités. Quelques villas bourgeoises s’y trouvent, bien qu’elles se concentrent davantage autour de l’Université McGill. Lorsqu’elles prennent la décision d’installer l’Hôtel-Dieu au mont Sainte-Famille, les Hospitalières font lotir la parcelle de terre au sud de Sherbrooke de part et d’autre de ce qui devient la rue Sainte-Famille. Elles imposent des conditions de vente aux futurs propriétaires. Sur les lots d’un peu plus de quinze mètres en façade, les acheteurs devront ériger une maison en pierre de deux étages, sans compter le sous-sol et les combles, et un arbre doit être planté à l’avant de la résidence. Ainsi, la communauté s’assure d’avoir une perspective uniforme dont le point focal est la chapelle, à l’extrémité nord de la rue Sainte-Famille. L’objectif étant de mettre en valeur le dôme de la chapelle. Culminant à 42 mètres au-dessus du niveau de la rue, celui-ci est visible à des lieues à la ronde et demeure un élément extraordinaire du paysage montréalais à l’époque. Il s’agit alors d’un aménagement urbain unique à Montréal. En déménageant l’Hôtel-Dieu au mont Sainte-Famille, les Hospitalières entreprennent donc l’urbanisation de tout un secteur de la ville dont la population croît rapidement.

Un hôpital moderne pour une ville moderne

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Reproduction colorisée d’une photographie montrant une salle rectangulaire où se trouvent plusieurs lits en rangée. Les lits sont entourés de voilages et une chaise se trouve au pied de chacun.
BAnQ numérique
Au milieu du XIXe siècle, les soins médicaux sont surtout pratiqués à domicile. Les hôtels-Dieu admettent une clientèle plus pauvre n’ayant pas les moyens de s’offrir les services d’un médecin. Les patients indigents y sont accueillis dans des salles communes et soignés gratuitement. Lors du déménagement, le nouvel espace regroupe, outre l’hôpital et le couvent, l’orphelinat dont s’occupent les Hospitalières. Ainsi, lorsqu’il ouvre ses portes en 1861, l’Hôtel-Dieu compte 210 lits : 150 pour les pauvres et 60 pour les orphelins. C’est plus du double qu’en 1842 alors qu’il compte 100 lits et 6 fois plus qu’en 1822 alors que seulement 33 lits sont disponibles. Ces salles communes sont réparties le long des trois premiers étages de l’aile est, tandis que le dernier niveau sert d’entrepôt. Fait à noter, chaque étage possède son propre accès à la chapelle.

Afin de soigner les malades, les Hospitalières établissent une entente, en 1850, avec l’École de médecine et de chirurgie de Montréal, fondée en 1843. Les étudiants de l’École, supervisés par des médecins qualifiés, pourront avoir un accès exclusif aux salles communes comme lieu de pratique. En échange de quoi, ils offrent gratuitement leurs services aux personnes souffrantes. Le déménagement au mont Sainte-Famille ne remet pas en question cette association qui perdure jusqu’en 1890 alors que l’École fusionne avec la Faculté de médecine de la succursale montréalaise de l’Université Laval de Québec.

La population croissante de Montréal entraîne, inévitablement, une augmentation du nombre de personnes à soigner. De plus, la recherche en médecine permet le développement de spécialisations, comme la neurologie, nécessitant des espaces adéquatement équipés pour répondre à la demande. Entre 1886 et 1939, plusieurs ajouts et transformations sont faits. C’est ainsi que sont successivement construits certains pavillons : Le Royer (1942), Jeanne-Mance (1950) et De Bullion (1952). À la fin du XXe siècle, l’Hôtel-Dieu est passé d’un hôpital spacieux à un complexe hospitalier qui s’étend sur pratiquement tout un pâté de maisons. Ces additions font d’ailleurs se déplacer le pôle principal de l’hôpital de l’avenue des Pins à la rue Saint-Urbain.

Si initialement l’Hôtel-Dieu est destiné aux moins nantis, il n’en dessert pas moins une clientèle locale qui est en mesure de payer pour les services qu’elle reçoit. En 1871, afin d’accommoder celle-ci, deux chambres individuelles, au coût de un dollar par jour, sont rendues disponibles. Celles-ci deviennent de plus en plus nombreuses au fil des années. En 1902, une annexe est construite où sont aménagées une soixantaine de chambres individuelles et semi-individuelles. Il s’agit d’une source de revenus supplémentaire pour les Hospitalières qui pratiquent une certaine économie de la survivance au sein de l’établissement. Par ailleurs, jusqu’au début des années 1930, l’Hôtel-Dieu est pratiquement autosuffisant. La chapelle servira aussi périodiquement à différentes congrégations dont l’église paroissiale n’est pas encore disponible au culte. Certaines communautés immigrantes, comme celle provenant du Portugal, y pratiquent aussi ses dévotions pendant un temps.

Les infirmières de l’Hôtel-Dieu, héritières de Jeanne Mance

Hôtel-Dieu 4

Photo en noir et blanc montrant un malade alité. D’un côté se trouvent deux infirmières et de l’autre deux médecins.
BAnQ numérique, Fonds Armour Landry, P97,S1,D10947.
Les Hospitalières sont, jusqu’au milieu du XXe siècle, des religieuses cloîtrées bien que cela n’ait pas été l’objectif initial des fondateurs de la congrégation, Jérôme Le Royer de la Dauversière et Marie de la Ferre. Cela n’empêche pas les religieuses, accompagnées des médecins et des étudiants de l’École de médecine et de chirurgie de Montréal, d’assurer le traitement des patients. Pour le personnel soignant, le malade doit être considéré dans son ensemble. Le physique étant aussi important que la santé mentale ou le spirituel. Cette philosophie, héritière des enseignements de Jeanne Mance, est transmise à toutes les nouvelles infirmières, religieuses et laïques, qui se joignent à l’équipe de soins au cours des années. Elle transparaît dans la devise latine de l’École, Charitas et Scientia, signifiant « charité et connaissance ».

Au début du XXe siècle, les infirmières, laïques, sont formées à l’École Jeanne-Mance de l’Hôtel-Dieu. C’est le début d’une véritable professionnalisation de ce métier. Si la formation dure d’abord deux ans jusqu’en 1908, elle passe à trois par la suite, et ce, jusqu’à sa fermeture en 1970. Ce sont environ 300 infirmières en devenir, 100 par année, qui étudient au sein de cet établissement. Âgées d’environ 17-18 ans, les jeunes filles qui postulent doivent être recommandées. Une fois admises, elles suivent des cours théoriques, mais aussi pratiques et de déontologie. L’enseignement se fait d’abord par des infirmières hospitalières puis en tandem avec des laïques diplômées de l’école. Des médecins et autres professionnels de la santé offrent également des conférences. L’uniforme des étudiantes, blanc de la tête aux pieds, permet de rapidement les distinguer dans les couloirs de l’hôpital. Une médaille indique à quelle année elles appartiennent. À la suite d’une période d’essai de trois mois, l’étudiante se voit confier de plus en plus de responsabilités au fur et à mesure que sa formation progresse. À la fin, elle a même un « service », c’est-à-dire des patients à charge. En 1963, l’école est ouverte aux hommes. Lorsque l’école ferme ses portes et que l’enseignement des sciences infirmières passe aux cégeps, l’École Jeanne-Mance de l’Hôtel-Dieu peut se targuer d’avoir diplômé 3000 infirmières et 24 infirmiers.

La fin de l’Hôtel-Dieu au pied de la montagne

Hôtel-Dieu vue aérienne

Photographie aérienne montrant un quartier fortement urbanisé. À gauche de l’image, il y a un grand espace gazonné à côté duquel la structure cruciforme de l’Hôtel-Dieu est visible ainsi que les nouveaux pavillons modernes construits un peu plus au nord.
BAnQ Vieux-Montréal, Fonds Armour Landry, P97, S1,D11103-11103
Graduellement, la société québécoise se laïcise. Fait qui se confirme au sortir de la Révolution tranquille des années 1960, alors que l’État s’arroge les sphères d’activités autrefois chasse gardée du monde religieux, comme l’éducation et les soins. L’Hôtel-Dieu de Montréal n’échappe pas à cette vague. En 1964, il est constitué en corporation civile. Les Hospitalières demeurent néanmoins présentes dans les différentes instances gérant l’hôpital. Cinq ans plus tard, l’hôpital est affilié à l’Université de Montréal. Il devient, en 1996, l’un des trois pôles de soins du Centre hospitalier universitaire de l’Université de Montréal (CHUM) avec l’hôpital Notre-Dame (fondé en 1880) et l’hôpital Saint-Luc (fondé en 1908). L’Hôtel-Dieu devient ainsi un centre ambulatoire universitaire. Cet important changement administratif sonne le glas des soins aux patients par les religieuses qui sont tranquillement éclipsées par des civils. En 1999, le gouvernement du Québec décide de regrouper les trois hôpitaux au sein d’un mégacomplexe hospitalier. C’est en 2005 que le choix s’arrête sur le site 1000, rue Saint-Denis, à quelques jets de pierre de l’ancien hôpital Saint-Luc.

Les heures de l’Hôtel-Dieu au pied du mont Royal sont comptées et les patients quittent le site en 2017. La conclusion de la construction du nouveau CHUM en 2021 marque la fin du regroupement des trois hôpitaux. L’Hôtel-Dieu ferme officiellement ses portes après près de 380 années d’existence. En 2021, les gouvernements et les citoyens sont à la recherche d’une nouvelle vocation pour cet édifice patrimonial plus que centenaire afin de lui assurer une pérennité dans le quartier.

Merci à Dany Fougères pour la relecture de cet article et au Laboratoire d’histoire et de patrimoine de Montréal pour son soutien à la recherche. Merci aussi à Richard Phaneuf et à Charlotte Thibault de la Communauté Milton Parc pour leur relecture.

Victor Bourgeau, l’architecte du religieux

Natif de Lavaltrie, Victor Bourgeau (1809-1888) fera une carrière florissante à titre d’architecte du milieu religieux au Québec pendant la seconde moitié du XIXe siècle. Au cours des années 1820, il travaille auprès de son oncle comme apprenti menuisier et charpentier dans sa région natale avant de faire ses premières armes en solo à Boucherville en 1839. Influencé par John Ostell, architecte et homme d’affaires canadien né à Londres, il réalise les plans de sa première œuvre architecturale religieuse, l’église Saint-Pierre-Apôtre de Montréal, en 1851.

L’église plaît tellement à monseigneur Ignace Bourget, évêque de Montréal entre 1840 et 1876, qu’il embauche Bourgeau comme conseiller architectural officiel de l’évêché. Cette faveur lui permettra de penser des églises et des cathédrales aux quatre coins du Québec, incluant la cathédrale Marie-Reine-du-Monde de Montréal, dont les plans sont librement inspirés de la basilique Saint-Pierre de Rome et dont la construction s’amorce en 1875. L’ensemble conventuel de l’Hôtel-Dieu de Montréal est le premier réalisé par Victor Bourgeau au cours de sa carrière.

Références bibliographiques

COHEN, Yolande. Profession infirmière, une histoire des soins dans les hôpitaux du Québec, Les Presses de l’Université de Montréal, 2000, 322 p.

DAIGLE, Johanne. « Devenir infirmière : les modalités d’expression d’une culture soignante au XXe siècle », Recherches féministes, vol. 4, no 1, 1991, p. 67-86.

GAGNON, Hervé. Soigner le corps et l’âme. Les Hospitalières de Saint-Joseph et l’Hôtel-Dieu de Montréal, XVIIe-XXe siècles, Sherbrooke, GGC Éditions, 2002, 97 p.

GAUMOND, Catherine, et Roseline BOUCHARD. « L’enseignement des soins infirmiers des Religieuses Hospitalières de Saint-Joseph », Patrimoine immatériel religieux du Québec, 2009.

GAUTHIER, Élaine, et Françoise CARON. Énoncé de l’intérêt patrimonial – Le site de l’Hôtel-Dieu de Montréal, Montréal, Ville de Montréal – Patrimoine Montréal, mai 2016, 60 p.