Après des études en art à Florence, Guido Nincheri s’établit à Montréal et devient un décorateur d’églises prestigieux. Ses œuvres magnifiques ornent de nombreux lieux de culte en Amérique du Nord.
Guido Nincheri
Cette même année, Nincheri est embauché par l’artiste français Henri Perdriau, avec qui il s’initie à l’art du vitrail. Doué, il participe à la fabrication de la verrière de la bibliothèque de l’Assemblée nationale à Québec. Perdriau devient le parrain de Gabriel, le premier fils de Nincheri, né en 1914.
Une reconnaissance bien méritée
Guido Nincheri - Vitrail
Il occupe son propre atelier, au 1832, boulevard Pie-IX, à partir de 1925. Avec quelques employés, dont son fils Gabriel, il y travaillera pendant une soixantaine d’années. En échange de ce local prêté par les frères Oscar et Marius Dufresne, Nincheri assure la décoration intérieure de leur vaste résidence. Le Château Dufresne, situé à l’angle des rues Pie-IX et Sherbrooke, abrite aujourd’hui la plus importante collection d’œuvres profanes de Nincheri. Le maître y peint plusieurs fresques, à la manière des symbolistes et des préraphaélites, illustrant des allégories et des scènes inspirées de la mythologie.
Même s’il excelle dans la peinture décorative, qu’il a pratiquée aussi dans des restaurants et des cinémas, Nincheri se spécialise dans les arts religieux et offre essentiellement ses services au clergé. Dans les années 1920, il se déplace entre Montréal et plusieurs villes du Québec, au gré des contrats. L’un des plus imposants est celui de la création des vitraux de la cathédrale de l’Assomption, à Trois-Rivières. L’église compte 125 fenêtres, dont certaines mesurent plus de sept mètres de haut! En 1933, le pape Pie-XI lui décerne le titre de Commandeur de l’ordre de Saint-Sylvestre pour souligner sa contribution à l’art religieux au Canada. Il a déjà à cette époque 28 décors et 175 vitraux d’église à son actif au pays. À sa mort, il en aura produit plus de 2000, dispersés à travers 9 provinces canadiennes et 6 états américains.
L’œuvre religieuse de Nincheri est monumentale, et plusieurs églises de la région de Montréal portent la trace du maître, que ce soit sous la forme de peintures, de fresques ou de vitraux. Sans le savoir, vous avez peut-être déjà admiré son travail dans l’une de ces églises parmi tant d’autres : Saint-Viateur d’Outremont, Notre-Dame-du-Rosaire, Saint Michael’s and Saint Anthony’s, Notre-Dame-de-Grâce, Saint-Jean-Baptiste, Sainte-Madeleine d’Outremont, Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours, Saint-Rédempteur et l’Oratoire Saint-Joseph.
Deux églises marquantes : Saint-Léon-de-Westmount et Notre-Dame-de-la-Défense
Le curé de l’église Saint-Léon-de-Westmount, l’abbé Oscar P. Gauthier, voulait en faire « la plus belle église de l’Amérique du Nord ». Qui d’autre que Nincheri pouvait s’attaquer à sa décoration? Il y travaille de 1928 à 1944, remodelant l’intérieur de l’église, qui est considérée aujourd’hui comme le grand œuvre de l’artiste. Il dessine le mobilier, les bronzes et les fresques. Pour qualifier ses vitraux, les spécialistes parlent de « puissante construction de l’espace », « de savants effets de profondeur », « de spectaculaires mouvements de masse et d’atmosphère onirique ». Planifiez une visite par une belle journée ensoleillée!
L’aventure de la décoration de l’église Notre-Dame-de-la-Défense, dans le quartier de la Petite Italie, se termine mal pour Nincheri. Sa grande fresque de l’abside est l’une de ses œuvres les plus connues, parce qu’elle comporte un élément inusité : on y voit Mussolini, à cheval, aux pieds du pape Pie-XI. Peinte entre 1930 et 1933, la fresque honore un traité entre le Saint-Siège et l’Italie, signé en 1929 par Mussolini et le pape. Lorsque la guerre est déclarée en 1939, Nincheri est accusé de fascisme. Comme d’autres membres de la communauté italo-canadienne, il est arrêté en 1940 par la Gendarmerie royale du Canada et interné au camp de Petawawa. Là, il rencontre un autre prisonnier célèbre, Camillien Houde. Il en profite pour faire son portrait. Le dessin sera utilisé lors de la campagne électorale de 1944 qui ramènera Houde à la mairie de Montréal.
Giulia, l’épouse de Nincheri, réussit à faire libérer son mari au bout de trois mois, grâce aux croquis originaux de l’artiste. Mussolini n’y figure pas. Nincheri n’a guère eu le choix de l’ajouter en cours de travaux, faute de quoi les doyens de la paroisse lui auraient retiré ce très lucratif contrat, en pleine crise économique. Couverte durant la guerre, l’image de Mussolini est aujourd’hui restaurée à son état d’origine.
En route vers le Rhode Island
Après la mésaventure de Petawawa, les Nincheri quittent le Québec pour s’installer dans le Rhode Island, d’abord à Woonsocket, puis à Providence. L’artiste ne ferme pas son atelier du boulevard Pie-IX pour autant. Ses employés y assurent la production et le maître fait régulièrement la navette entre les États-Unis et Montréal. Il poursuit son œuvre dans de multiples églises nord-américaines. On dit que, à voir les résultats de son travail, sa réputation se répandait de paroisse en paroisse.
En 1972, Nincheri est nommé Chevalier de la République d’Italie. Il meurt peu de temps après, à 87 ans, le 1er mars 1973, à Providence. En 1992, il reçoit de manière posthume le titre de Grand bâtisseur de Montréal, lors du 350e anniversaire de la ville. Malgré ces honneurs et la qualité de ses œuvres, le plus prolifique des artistes religieux d’Amérique du Nord reste malheureusement encore très mal connu à Montréal, où il fut l’une des personnalités marquantes de la communauté italienne.
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