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Guido Nincheri, le Michel-Ange de Montréal

02 juin 2017
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Après des études en art à Florence, Guido Nincheri s’établit à Montréal et devient un décorateur d’églises prestigieux. Ses œuvres magnifiques ornent de nombreux lieux de culte en Amérique du Nord.

Guido Nincheri

Portrait de Guido Nincheri tenant des pinceaux.
Guido Nincheri, par le photographe Paul Provencher. Musée Dufresne-Nincheri et famille Nincheri.
C’est le déclenchement de la Première Guerre mondiale qui nous vaut l’installation à Montréal de l’artiste italien Guido Nincheri. Né à Prato, en Toscane, en 1885, Nincheri étudie à l’Académie des beaux-arts de Florence, où il se perfectionne pendant 12 ans. Il s’intéresse particulièrement à la peinture, l’architecture et la décoration. Sa spécialité est le dessin d’ornement, qu’il étudie avec le professeur Adolfo de Carolis, renommé pour sa peinture décorative. En 1913, il épouse la jeune Giulia Bandinelli, âgée de 16 ans (il en a 28), avec qui il décide de partir pour l’Argentine, en passant par l’Amérique du Nord. Après un arrêt à New York, le couple se trouve à Boston lorsque la guerre éclate. Pas question de revenir au pays natal ni de continuer vers l’Argentine. Le séjour américain se prolonge durant six mois, période pendant laquelle Nincheri trouve du travail à la Boston Opera House, où il peint des décors de scène. Des amis de la famille lui parlent en bien de Montréal, une ville francophone en pleine expansion qui l’attire par son côté latin. C’est ainsi que le couple arrive en sol québécois en 1914.

Cette même année, Nincheri est embauché par l’artiste français Henri Perdriau, avec qui il s’initie à l’art du vitrail. Doué, il participe à la fabrication de la verrière de la bibliothèque de l’Assemblée nationale à Québec. Perdriau devient le parrain de Gabriel, le premier fils de Nincheri, né en 1914.

Une reconnaissance bien méritée

Guido Nincheri - Vitrail

Détail d'un vitrail de Guido Nincheri.
Musée Dufresne Nincheri.
Dans les années qui suivent, Nincheri se construit une solide réputation grâce à la qualité exceptionnelle de ses nombreuses productions. Il pratique l’art de la fresque italienne, ou buon fresco, une technique très peu utilisée au pays. Ses peintures et ses vitraux portent la marque indéniable de son éducation artistique à Florence. On le surnomme le Michel-Ange de Montréal!

Il occupe son propre atelier, au 1832, boulevard Pie-IX, à partir de 1925. Avec quelques employés, dont son fils Gabriel, il y travaillera pendant une soixantaine d’années. En échange de ce local prêté par les frères Oscar et Marius Dufresne, Nincheri assure la décoration intérieure de leur vaste résidence. Le Château Dufresne, situé à l’angle des rues Pie-IX et Sherbrooke, abrite aujourd’hui la plus importante collection d’œuvres profanes de Nincheri. Le maître y peint plusieurs fresques, à la manière des symbolistes et des préraphaélites, illustrant des allégories et des scènes inspirées de la mythologie.

Même s’il excelle dans la peinture décorative, qu’il a pratiquée aussi dans des restaurants et des cinémas, Nincheri se spécialise dans les arts religieux et offre essentiellement ses services au clergé. Dans les années 1920, il se déplace entre Montréal et plusieurs villes du Québec, au gré des contrats. L’un des plus imposants est celui de la création des vitraux de la cathédrale de l’Assomption, à Trois-Rivières. L’église compte 125 fenêtres, dont certaines mesurent plus de sept mètres de haut! En 1933, le pape Pie-XI lui décerne le titre de Commandeur de l’ordre de Saint-Sylvestre pour souligner sa contribution à l’art religieux au Canada. Il a déjà à cette époque 28 décors et 175 vitraux d’église à son actif au pays. À sa mort, il en aura produit plus de 2000, dispersés à travers 9 provinces canadiennes et 6 états américains.

L’œuvre religieuse de Nincheri est monumentale, et plusieurs églises de la région de Montréal portent la trace du maître, que ce soit sous la forme de peintures, de fresques ou de vitraux. Sans le savoir, vous avez peut-être déjà admiré son travail dans l’une de ces églises parmi tant d’autres : Saint-Viateur d’Outremont, Notre-Dame-du-Rosaire, Saint Michael’s and Saint Anthony’s, Notre-Dame-de-Grâce, Saint-Jean-Baptiste, Sainte-Madeleine d’Outremont, Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours, Saint-Rédempteur et l’Oratoire Saint-Joseph.

Deux églises marquantes : Saint-Léon-de-Westmount et Notre-Dame-de-la-Défense

Le curé de l’église Saint-Léon-de-Westmount, l’abbé Oscar P. Gauthier, voulait en faire « la plus belle église de l’Amérique du Nord ». Qui d’autre que Nincheri pouvait s’attaquer à sa décoration? Il y travaille de 1928 à 1944, remodelant l’intérieur de l’église, qui est considérée aujourd’hui comme le grand œuvre de l’artiste. Il dessine le mobilier, les bronzes et les fresques. Pour qualifier ses vitraux, les spécialistes parlent de « puissante construction de l’espace », « de savants effets de profondeur », « de spectaculaires mouvements de masse et d’atmosphère onirique ». Planifiez une visite par une belle journée ensoleillée!

L’aventure de la décoration de l’église Notre-Dame-de-la-Défense, dans le quartier de la Petite Italie, se termine mal pour Nincheri. Sa grande fresque de l’abside est l’une de ses œuvres les plus connues, parce qu’elle comporte un élément inusité : on y voit Mussolini, à cheval, aux pieds du pape Pie-XI. Peinte entre 1930 et 1933, la fresque honore un traité entre le Saint-Siège et l’Italie, signé en 1929 par Mussolini et le pape. Lorsque la guerre est déclarée en 1939, Nincheri est accusé de fascisme. Comme d’autres membres de la communauté italo-canadienne, il est arrêté en 1940 par la Gendarmerie royale du Canada et interné au camp de Petawawa. Là, il rencontre un autre prisonnier célèbre, Camillien Houde. Il en profite pour faire son portrait. Le dessin sera utilisé lors de la campagne électorale de 1944 qui ramènera Houde à la mairie de Montréal.

Giulia, l’épouse de Nincheri, réussit à faire libérer son mari au bout de trois mois, grâce aux croquis originaux de l’artiste. Mussolini n’y figure pas. Nincheri n’a guère eu le choix de l’ajouter en cours de travaux, faute de quoi les doyens de la paroisse lui auraient retiré ce très lucratif contrat, en pleine crise économique. Couverte durant la guerre, l’image de Mussolini est aujourd’hui restaurée à son état d’origine.

En route vers le Rhode Island

Après la mésaventure de Petawawa, les Nincheri quittent le Québec pour s’installer dans le Rhode Island, d’abord à Woonsocket, puis à Providence. L’artiste ne ferme pas son atelier du boulevard Pie-IX pour autant. Ses employés y assurent la production et le maître fait régulièrement la navette entre les États-Unis et Montréal. Il poursuit son œuvre dans de multiples églises nord-américaines. On dit que, à voir les résultats de son travail, sa réputation se répandait de paroisse en paroisse.

En 1972, Nincheri est nommé Chevalier de la République d’Italie. Il meurt peu de temps après, à 87 ans, le 1er mars 1973, à Providence. En 1992, il reçoit de manière posthume le titre de Grand bâtisseur de Montréal, lors du 350e anniversaire de la ville. Malgré ces honneurs et la qualité de ses œuvres, le plus prolifique des artistes religieux d’Amérique du Nord reste malheureusement encore très mal connu à Montréal, où il fut l’une des personnalités marquantes de la communauté italienne.

Références bibliographiques

LAROCHE, Ginette, Pierlucio PELLISSIER et Michèle PICARD. Guido Nincheri. Un artiste florentin en Amérique, Montréal, Atelier d’histoire d’Hochelaga-Maisonneuve, 2001, 56 p. 

MICILLO VILLATA, Sylvana. Guido Nincheri maître verrier, les vitraux des églises montréalaises, Montréal, Société de diffusion du patrimoine artistique et culturel des Italo-Canadiens, 1995, 79 p.

MONTRÉAL EN QUARTIERS. « Atelier Guido Nincheri », [En ligne], Montréal en quartiers. [http://www.memorablemontreal.com/print/batiments_menu.php?quartier=7&batiment=281&section=Array&menu=histoire].

GOUVERNEMENT DU QUÉBEC. CULTURE ET COMMUNICATIONS. « Fiche : Nincheri, Guido », [En ligne], Répertoire du patrimoine culturel du Québec. [http://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=7819&type=pge#.V2G6VaLHo4A].

Site du musée Dufresne-Nincheri, [En ligne]. [http://www.chateaudufresne.com/].

BÉRUBÉ, Martin. « Nincheri, le Michel-Ange de Montréal », [En ligne], ProposMontréal, 22 septembre 2014. [http://proposmontreal.com/index.php/nincheri-le-michel-ange-de-montreal/].

FISHER, Luke. « Guido Nincheri (Profile) », [En ligne], The Canadian Encyclopedia, 4 mars 2015. [http://www.thecanadianencyclopedia.ca/en/article/guido-nincheri-profile/].

RIEL-SALVATORE, Gabriel. « L’œuvre profane de Guido Nincheri au Château Dufresne », [En ligne], Panoram Italia magazine, 31 janvier 2012. [https://www.panoramitalia.com/fr/arts-culture/fine-arts/l-oeuvre-profane-de-guido-nincheri-au-chateau-dufresne/679/].

COLUMBUS CENTRE. « Entrevue avec Roger Boccini Nincheri », [En ligne], Columbus Centre, 21 juillet 2011. [http://www.italiancanadianww2.ca/fr/collection/details/icea2011_0065_0001].