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Augustin Frigon et la naissance de Radio-Canada

01 juin 2020
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On doit à Augustin Frigon, ingénieur en génie électrique méconnu, la création de la station CBF-Montréal, le réseau francophone de la société publique Radio-Canada alors toute nouvelle.

Souvent snobé par les intellectuels de son époque et généralement peu connu aujourd’hui, le Montréalais Augustin Frigon (1888-1952) est pourtant l’une des figures les plus importantes de l’histoire de la radiodiffusion au Canada. Fort de sa formation d’ingénieur électricien, il est amené à occuper des postes de plus en plus importants, notamment comme professeur et directeur à l’École Polytechnique de Montréal, puis comme directeur général de la Société Radio-Canada. N’ayant laissé que peu d’écrits au cours de sa carrière, ses contributions immenses ont quelque peu été oubliées par la mémoire collective.

Une brillante carrière à l’École Polytechnique

Augustin Frigon

Caricature du visage d’un homme avec de gros sourcils et une moustache.
Archives de la Ville de Montréal. CA M001 BM001-05-P0732.
À la fin du XIXe siècle, Augustin Frigon et sa famille habitent au 333, rue Sanguinet, entre les rues Ontario et Sherbrooke. Adolescent, il va fréquenter deux institutions d’éducation assez reconnues du secteur : d’abord l’Académie commerciale catholique de Montréal, puis l’École Polytechnique de Montréal, qui vient d’emménager dans ses nouveaux locaux sur la rue Saint-Denis, dans l’immeuble qui abrite aujourd’hui le pavillon Athanase-David de l’UQÀM. Il passe aussi un an à étudier au Massachusetts Institute of Technology à Boston, ce qui lui vaudra un diplôme d’ingénieur électricien à son retour en 1911. Plus tard, au début des années 1920, Frigon se rend à Paris où il obtient une bourse et un doctorat ès sciences de la prestigieuse université de la Sorbonne.

À son retour à Montréal en 1923, fort d’un parcours brillant dans un domaine en pleine expansion, il se voit confier le rôle de directeur de l’École Polytechnique, qu’il occupe jusqu’en 1935. Figure désormais bien connue du milieu académique, Frigon exerce une influence positive sur l’institution. Sa présence contribue à rehausser considérablement la réputation de Polytechnique, reconnue comme l’une des meilleures écoles au Canada.

Augustin Frigon à la Commission Aird (1928)

Commission Aird

Photo en noir et blanc de quatre hommes en complet, trois sont debout et un est assis devant.
Fonds des documents historiques de l’École Polytechnique de Montréal, donation des Archives de l’Association des familles Frigon.
Au courant de ses premières années comme directeur, Frigon est appelé à plusieurs reprises à travailler dans l’univers de la radiodiffusion. La radio est une nouvelle technologie dans les années 1920 : les premières stations de radio commerciale sont inaugurées en 1922. La réception est souvent brouillée par de multiples interférences. Dès 1923, Frigon est chargé par le Comité national de recherches du Canada (CNRC) de travailler sur la cause des bruits parasites. Les milieux politique et radiophonique reconnaissent ses talents d’ingénieur.

Quelques années plus tard, en 1928, on choisit donc Frigon pour siéger comme membre de la Commission Aird sur la radiodiffusion au Canada. La Commission a pour but de dresser un portrait de la situation de la radio à l’époque. La nouvelle technologie est alors peu encadrée : il y a peu de contrôle gouvernemental sur le contenu diffusé par les différentes stations de radio privées. À Montréal, près de 40 % des ménages possèdent un récepteur radio à la fin de la décennie, et certains récepteurs arrivent à capter les stations américaines. Plusieurs s’inquiètent de l’influence néfaste du contenu des États-Unis sur l’identité et la culture canadiennes. D’autant plus que plusieurs stations canadiennes commencent à copier les formules américaines!

La Commission dépose son rapport en 1929, déclarant que « la plupart des programmes radiodiffusés proviennent de sources extra-canadiennes. Or, [...] la réception continuelle de ce genre de programmes tend à modifier la mentalité de la jeunesse de chez nous, de façon à lui inculquer un idéal et des opinions qui ne sont pas canadiennes ». On suggère donc, entre autres choses, de nationaliser la radiodiffusion, sur un modèle similaire à la BBC en Grande-Bretagne. Cette mesure permettrait un contrôle de la qualité des émissions, en plus de pouvoir les adapter au public canadien. Les bases idéologiques de la création de Radio-Canada sont ainsi établies.

Frigon, bâtisseur du réseau francophone de Radio-Canada

Augustin Frigon vers 1946

Photo en plan buste d’un homme portant des lunettes et une moustanche.
Fonds des documents historiques de l’École Polytechnique de Montréal
Il faudra plusieurs années pour voir les suggestions du rapport de la Commission Aird devenir réalité. En 1932, le gouvernement Bennett adopte la loi concernant la radiodiffusion. On crée ainsi la Commission canadienne de la radiodiffusion (CCR), une sorte de précurseur de Radio-Canada dont le succès sera plutôt mitigé. On lui reproche entre autres le contrôle du gouvernement fédéral au détriment des nécessités des différentes provinces. Au terme de nombreuses consultations pour tenter de régler les multiples problèmes qui sont observés au sein de la CCR, une seconde mouture de la loi sur la radiodiffusion est adoptée en 1936, créant une nouvelle société publique en remplacement de la CCR. Ce serait Augustin Frigon qui aurait suggéré le nom de « Radio-Canada », dont chaque mot peut se prononcer aisément en français ou en anglais.

Convaincu par Maurice Duplessis, alors premier ministre du Québec, Frigon accepte d’abord un poste de directeur général adjoint au sein de la nouvelle société. Il sera plus tard promu au poste de directeur général. Dans le cadre de ses différentes fonctions, il est chargé de penser et de créer le réseau francophone de la nouvelle société : la station CBF de Montréal, inaugurée en 1937. Les studios sont situés à la fin des années 1930 au 1231, rue Sainte-Catherine Ouest, au centre-ville. La métropole devient en quelque sorte le quartier général francophone de Radio-Canada, alors que Toronto en devient le pendant anglophone.

Augustin Frigon 1944

Photo en noir et blanc d’une assemblée d’hommes en complet prenant la pose derrière une table. Six sont assis et dix-sept sont debout.
Fonds des documents historiques de l’École Polytechnique de Montréal, donation des Archives de l’Association des familles Frigon.
Frigon s’assure de proposer un contenu spécifiquement conçu pour le public canadien-français qui, selon lui, est bien différent du public canadien-anglais. Soucieux de préserver la fonction éducative de la radio, Frigon va inaugurer Radio-Collège (1941-1956), l’une des émissions les plus marquantes du réseau à ses débuts. On y diffuse des cours donnés par les intellectuels montréalais et québécois les plus influents de leur époque. Démontrant l’importance de cette initiative, certains historiens y voient un prélude à la Révolution tranquille des années 1960.

Pour des raisons de santé, Frigon doit quitter la direction de la société en 1950. Son bilan est éclatant : environ 82 % du contenu original canadien de Radio-Canada provient à l’époque du réseau francophone. Augustin Frigon meurt en juillet 1952, quelques semaines avant l’inauguration de la première chaîne de télévision de la société, CBFT. L’arrivée de cette nouvelle technologie marque le début d’une nouvelle ère pour Radio-Canada.

Merci à Alain Dufour de la Société québécoise de collectionneurs de radios anciens d’avoir contribué à la vérification du contenu de cet article.

Références bibliographiques

CANUEL, Alain. Augustin Frigon et la Radio Nationale au Canada, Scientia Canadensis, vol. 19, no 48, 1995, p. 29-50.
https://www.erudit.org/fr/revues/scientia/1995-v19-scientia3120/800393ar...

GAGNON, Robert et Pierre FRIGON. Augustin Frigon. Sciences, techniques et radiodiffusion, Montréal, Boréal, 2019, 248 p.

PETIT, Kim. Le projet pédagogique de Radio-Collège dans la décennie 1940. La conservation des institutions scolaires traditionnelles et la promotion des sciences, Mémoire (M.A.), Université de Sherbrooke, 2008. http://www.disten.com/radiocollege/Kim_Petit.pdf