Bien plus qu’un tavernier haut en couleur, Charles McKiernan fut une figure des luttes sociales à Montréal. Poète et philanthrope, il a notamment soutenu les grévistes du canal de Lachine en 1877.
Originaire d’Irlande, Charles McKiernan nait en 1835 dans une famille catholique. Il s’enrôle à un jeune âge dans l’armée britannique et devient sergent. Apprécié par ses pairs, il est reconnu pour sa capacité à leur trouver nourriture et gîte lorsque les temps sont durs, ce qui lui vaut le surnom de Joe Beef. McKiernan participe à la guerre de Crimée avant d’être affecté à Montréal en 1864. Il s’occupe de la cantine de l’île Sainte-Hélène puis obtient sa décharge de l’armée en 1868.
La taverne de Joe Beef
Charles McKiernan, dit Joe Beef
Charles McKiernan s’installe alors à Montréal avec sa famille et ouvre sa taverne nommée The Crown and Sceptre sur la rue Saint-Claude. Aussi connu sous les noms de Joe Beef’s Canteen et de Great House of the Vulgar People, l’établissement déménage en 1875 dans la rue de la Commune à l’angle de la rue de Callière. Située près du port et du quartier irlandais de Griffintown, la taverne devient rapidement un lieu de sociabilité et de soutien pour les travailleurs du port, pour les ouvriers irlandais ainsi que pour les chômeurs.
Reconnu pour son désir de venir en aide aux plus démunis, McKiernan fournit la nourriture à tous ceux qui se présentent à sa taverne, même s’ils sont sans le sou. La nuit, un employé de son auberge patrouille dans les rues du Vieux-Montréal pour offrir le gîte gratuitement à tous les marins et les sans-abris. Joe Beef s’attire la sympathie des travailleurs lorsqu’il aide, en 1877, les ouvriers du canal de Lachine en grève. Afin de les encourager à tenir bon, le matin du 20 décembre, il leur fournit 3000 pains et 500 gallons de soupe et offre l’hébergement à ceux qui en ont besoin. La taverne de Joe Beef sert ainsi de filet social aux travailleurs montréalais dans le besoin à la fin du XIXe siècle.
Un personnage engagé
Charles McKiernan, dit Joe Beef - Cantine
Les Montréalais plus aisés sont nombreux à ne pas voir l’œuvre de Charles McKiernan d’un bon œil. Pour plusieurs d’entre eux, la taverne de Joe Beef est un lieu de débauche dans lequel l’alcool coule à flots et où se retrouvent les criminels. Le clergé, la police et les ligues antialcooliques dénoncent le commerce de Joe Beef. Ils critiquent également l’athéisme du tavernier qui affirme ne croire ni en Dieu ni au Diable et qui se moque bien du mouvement de tempérance qui prend de l’ampleur à Montréal à la fin du XIXe siècle. En 1879, Charles McKiernan publie un manifeste satyrique pour se défendre, entre autres, contre les attaques de John Redpath Dougall qui l’accuse de vendre de l’alcool dans son établissement. Il en profite au passage pour critiquer le clergé et les policiers qui se préoccupent très peu, selon lui, de la situation des travailleurs.
Poète à ses heures, Charles McKiernan publie dans les journaux des textes qui dénoncent les conditions de travail des ouvriers qui fréquentent sa taverne. Les journaux, tant anglophones que francophones, s’intéressent à lui. À sa mort, en 1889, de larges foules se recueillent devant la Canteen pour lui dire un dernier adieu. Une large procession composée d’un grand nombre d’admirateurs suit ensuite sa dépouille jusqu’au cimetière du Mont-Royal, où il est enterré.
Cet article est paru dans le numéro 22 du bulletin imprimé Montréal Clic, publié par le Centre d’histoire de 1991 à 2008. Il a été remanié en 2015 par Annick Brabant.
YOUNG, Brian. A Respectable Burial : Montreal’s Mount Royal Cemetery, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2003, p. 76-78.
DELOTTINVILLE, Peter. « Joe Beef of Montreal: Working-Class Culture and the Tavern 1869-1889 », Labour/Le Travail, Halifax, vol. 8-9, 1981-1982, p. 9-40.