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Les Associées, âmes et forces du Chaînon

06 mars 2023

Considérées comme des missionnaires urbaines, les Associées offrent leur vie à Dieu en prenant soin des femmes. Cet apostolat laïque requiert bien des qualités, dont énergie et désintéressement.

De sa création en 1932 jusqu’à l’arrivée des premiers salariés en 1975, le fonctionnement de l’Institut Notre-Dame-de-la-Protection (Le Chaînon depuis 1978) a reposé sur le travail apostolique et laïque de femmes à l’esprit missionnaire. Nommées les Associées, elles embrassaient la mission, comme la fondatrice Yvonne Maisonneuve, en consacrant leur vie à aider bénévolement les femmes en difficulté.

Des missionnaires urbaines

« Moi, je voulais aller me promener seule, librement et, à l’association, je l’ai toujours fait. J’aimais faire du sport, avoir du plaisir, jouer de l’accordéon. Il me semblait important de garder tout ça, et c’est bien parce que, chez les Associées, on le pouvait que j’ai prononcé mes vœux avec conviction. » — Monique Bérubé, Associée, dans Sylvie Halpern, Le Chaînon : La maison de Montréal, Éditions Stanké, 1998

Associées Chaînon

Trois femmes, habillées d’un manteau noir et d’un chapeau, se tiennent devant l’entrée d’une maison. Celle qui est à gauche tient un document et celle du milieu une valise.
Archives Le Chaînon
Lorsqu’en 1932, Yvonne Maisonneuve, future fondatrice de l’Institut Notre-Dame-de-la-Protection, accepte de diriger un refuge pour de jeunes chômeuses éprouvées par la crise économique, son souhait est de leur offrir un hébergement gratuit et sécuritaire basé sur la charité. Pour y parvenir, elle doit quêter quotidiennement le nécessaire. De plus, bien qu’il lui arrive de recevoir ici et là de l’aide ponctuelle de jeunes filles prolongeant leur séjour et qu’elle soit soutenue par un comité de dames patronnesses, elle est seule au front pour loger, nourrir et soigner les femmes qui se présentent à sa « Maison d’accueil ».

Pour répondre à l’ampleur de la tâche, Yvonne ne peut compter sur de premières collaboratrices qu’à partir de 1938. Celles-ci, inspirées par les valeurs et l’esprit de l’œuvre, désirent offrir leur vie à Dieu en servant les jeunes filles dans le besoin. Considérées comme des missionnaires urbaines, des apôtres d’un nouveau genre, elles prennent soin des femmes qui se présentent à la Maison d’accueil, mais parcourent également les rues sombres et les foyers pauvres de la grande ville à la recherche de jeunes filles et de fillettes exposées aux malheurs de tous genres afin de leur offrir, au besoin, un abri temporaire.

Reconnaissance de l’Église

Associées 1958

Quatre rangées de femmes, toutes habillées avec le même costume foncé, aux poignets et collets blancs.
Archives Le Chaînon
Les premières décennies de l’organisme s’inscrivent dans l’époque des adaptations de la vie religieuse. En 1947, Sa Sainteté Pie XII accorde un statut canonique aux nouvelles formes de sociétés pieuses avec les mêmes garanties d’avenir que dans les communautés déjà existantes. Le nombre de collaboratrices, demeuré assez modeste, augmente alors en flèche. Des prêtres se penchent sur le recrutement et des dépliants et articles de journaux trouvent leur chemin jusqu’au cœur de jeunes filles à la recherche de leur voie dans le monde. En 1950, l’archevêque de Montréal, Son Excellence Paul-Émile Léger, inspiré par le fait que l’œuvre de charité d’Yvonne Maisonneuve dépend uniquement de la Divine Providence, l’institue en Association pieuse de fidèles. Les collaboratrices sont alors nommées officiellement les « Associées catholiques Notre-Dame-de-la-Protection ».

« Ce que j’ai trouvé ici est l’essentiel, l’amitié, la compréhension, l’unité, l’égalité, la conscience de l’autre. Ces valeurs essentielles ont fait qu’à mon tour, j’ai adhéré à ces valeurs. » — Claudette, Associée, 1971

Associées uniforme

Une femme, concentrée sur son ouvrage, coud manuellement un vêtement. Elle est assise devant une machine à coudre. Derrière elle, un costume est suspendu, elle porte le même.
Archives Le Chaînon
L’appel à cet apostolat laïque cible les jeunes filles qui n’ont aucun attrait pour le mariage, celles qui cherchent la sanctification sans la communauté religieuse ainsi que celles qui, après avoir tenté l’expérience de la vie religieuse, ont dû renoncer à leur rêve, pour une raison ou une autre, par exemple, une santé insuffisante. Selon Yvonne Maisonneuve, toutes les femmes habitées d’un grand désir de rendre les âmes heureuses, de souplesse de caractère, d’un jugement sûr et comprenant bien les responsabilités de l’œuvre sont les bienvenues. Aucune dot n’est requise. Yvonne est profondément convaincue que chaque être humain recèle des qualités qui ne demandent qu’à émerger. D’ailleurs, les candidates n’ont pas besoin d’un brevet d’études, car selon leurs talents et desseins, des cours spécialisés leur seront offerts dans une école sociale : cours d’hygiène ou de psychologie, d’art ménager ou culinaire, d’orientation ou même de commerce.

Les motivations qui guident ces jeunes filles à quitter la sécurité pour s’occuper de malheureuses victimes d’un sort éprouvant sont multiples. Plusieurs témoignent que, bien qu’attirées par la vie en communauté, elles ont compris que le règlement plus souple de l’association leur convenait mieux. D’autres évoquent avoir été touchées par la joie, le respect et l’accueil inconditionnel qui régnaient à la Maison d’accueil. Mais toutes affirment avoir été impressionnées qu’une femme comme celle qui allait devenir leur « Mère Yvonne » puisse exister. Elles soulignent avoir appris auprès d’elle le vrai sens de la charité et ont eu la conviction de voir Jésus en action à travers sa joie et son dévouement envers son prochain. De plus, elles sont fortement impressionnées par la mission de servir les personnes démunies en totale dépendance en la Providence.

Les vœux de l’Associée

« Chaque personne avait une valeur au sein de l’institut, qu’elle soit dépourvue de santé et parfois moins intelligente que les autres. Notre Mère trouvait toujours quelque chose à faire au sein de la communauté, s’informait, encourageait tous ces membres, et avec une affection qui lui était bien particulière. » — Alice Dumais, Associée, 1971

Associées 3

Deux femmes attablées, portant costume et voile blanc, consultent des livres et prennent des notes. Sur le mur, une grande croix avec Jésus.
Archives Le Chaînon
En joignant l’Association, la nouvelle aspirante consacre environ six mois d’essai aux différents emplois de l’institution, suivis d’environ une année de probation, durée modulée selon les époques. Durant cette période, l’aspirante acquiert, par la prière et l’étude, la formation professionnelle désirée, une connaissance approfondie de l’Évangile et du catéchisme, ainsi qu’un sens aigu de sa responsabilité chrétienne et sociale. Après ce délai, la jeune fille est invitée à devenir Associée en prononçant des vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. Les vœux sont renouvelés annuellement selon les différentes formules adoptées entre 1951 et 1975. La nouvelle Associée garde son nom personnel, est appelée « mademoiselle » et porte un anneau.

Tout comme la fondatrice, les Associées ne reçoivent aucun salaire et mènent une vie simple. Elles vivent en communauté dans la pauvreté, prient, travaillent, mangent et prennent soin ensemble de leurs protégées dans un esprit évangélique. Elles sont logées, nourries et, après une période de trois à quatre ans de service dans l’œuvre, elles sont définitivement admises et ne pourront plus, comme le droit canon le prescrit pour les communautés, être renvoyées pour cause de santé ou pour d’autres raisons.

Moralité et délicatesse

« J’ai découvert qu’une Associée, c’est une personne qui se doit d’être disponible et calme pour affronter des situations très diverses. Et aussi, une valeur qui, je crois, est à conserver, c’est la discrétion qui me paraît essentielle dans les œuvres que nous accomplissons, faisant partie de cette dignité humaine dont nous parlons tant dans notre monde actuel. » — Colette Drainville, Associée, 1971

Associées 1956

Deux femmes habillées en noir et portant un chapeau sont sur une mobylette. Elles sont devant une maison modeste entre un petit garçon et deux fillettes.
Archives Le Chaînon
La mission qui attend l’Associée est délicate, car il lui faut de la finesse pour réconforter sans humilier et suffisamment de doigté pour entrer dans les familles et offrir du support. Cette volonté de venir en aide doit se fondre dans l’oubli de soi et s’allier à un jugement sain. Pour mieux prêter assistance aux femmes qu’elles hébergent, les Associées vivent auprès d’elles et partagent le plus possible leur quotidien : à la chapelle, au réfectoire, au travail et en récréation. En partageant un peu leur vie, elles sont plus à même de comprendre leurs problèmes, de leur apporter une aide efficace et de développer leur foi et celle de leurs protégées envers la Providence. Si une intervention supplémentaire est nécessaire, un directeur spirituel et un médecin psychiatre les secondent. Afin de pouvoir donner le bon Dieu aux autres, l’Associée doit posséder une vie intérieure intense. L’oraison, la messe, l’examen particulier, le chapelet, la lecture spirituelle, la visite au Saint-Sacrement, qui consiste à passer quotidiennement un moment devant Jésus présent dans la réserve eucharistique, les heures de silence et la journée hebdomadaire de solitude leur offrent la solide formation spirituelle indispensable pour accomplir leur travail.

L’uniforme des Associées, ni religieux ni complètement laïc, est modeste, simple et commode, permettant d’atteindre des milieux inaccessibles aux religieuses. Pour une bonne période, la robe est de couleur bleu marine, ornée d’un col et de poignets blancs, complétée par une cravate courte et un médaillon. En été, l’uniforme s’allège par des manches plus courtes. Pour les sorties, les Associées troquent le voile qu’elle porte à l’intérieur de la Maison d’accueil pour un petit chapeau et portent un manteau de saison assorti. L’habit est assez confortable pour parcourir sans encombre de longues distances à pied, à vélo, en tramway ou à mobylette; il leur permet d’aller n’importe où et à n’importe quelle heure pour secourir les jeunes filles ou les familles dans le besoin. De plus, il adoucit la tâche de la quête car, même si les Associées arrivent munies d’un permis, l’uniforme leur ouvre plus aisément les portes des donateurs et donatrices.

S’adaptant aux modes en cours, l’uniforme évolue. En 1958, le voile est retiré, en 1962, les poignets blancs sont enlevés et les chapeaux rapetissent et, en 1968, la voilette est supprimée à la chapelle. En 1971, les Associées peuvent choisir la couleur et le modèle qu’elles préfèrent et finalement, au tournant de l’année 1974, l’uniforme devient optionnel, et seulement quelques Associées choisissent de le garder.

Bascule vers le salariat

« Il a fallu — surtout les anciennes associées — faire le deuil de tout un passé. Mais nous y sommes arrivées, le Chaînon en est sorti renforcé […] Et ce qui me fascine toujours, c’est que d’une Yvonne des débuts héroïques à une Hélène aujourd’hui, notre esprit soit resté le même : intact. La façon d’être proche de l’autre, de considérer la femme qu’on accueille avec respect, de vouloir rester convaincu qu’elle est maître de sa vie. Et de penser, avant tout, à voir la personne au-delà des apparences extérieures, même les plus affligeantes. » — Jeannine Gagné, Associée, dans Sylvie Halpern, Le Chaînon : La maison de Montréal, Éditions Stanké, 1998

Associées et salariées

Douze femmes sont autour d’une table ronde sur laquelle quelques-unes collent des images sur un carton alors que d’autres observent et qu’une consulte une revue.
Archives Le Chaînon
Dans les années 1960, les organismes subventionnaires exigent la compétence scolaire, les intentions ne suffisent plus. La professionnalisation du service social, anciennement considéré comme une vocation, est bien implantée et le recrutement des Associées, tout comme les vocations religieuses, chute rapidement. Pour survivre, l’œuvre doit s’adapter aux temps modernes et compter, à partir de 1975, sur l’appui de personnes rémunérées. Ce basculement occasionne plusieurs remises en question. En 1975, les vœux deviennent optionnels et, en 1978, sous l’appellation du nouveau nom « Le Chaînon », l’organisme s’ouvre aux femmes qui désirent s’engager pleinement, mais temporairement, sans vivre sur place, dans une œuvre sociale. Cependant, peu importe leur discipline, ces femmes seront des intervenantes. Elles savent qu’elles joignent d’abord un milieu de vie, et que, plutôt que d’accomplir simplement un service, elles doivent embrasser l’accueil sans normes et sans règles.

Cette cohabitation de salariés et d’Associées bouscule les réflexions. Certaines Associées craignent que les protégées ne sentent pas qu’elles sont véritablement aimées si le personnel est payé pour le faire ou s’il ne baigne pas à temps plein dans leurs vies. Les Associées découvriront avec soulagement que les salariés ont le même profond désir de servir et que la rupture a du bon : le personnel peut se retirer, se reposer, se régénérer et revenir frais et disposé au travail. D’ailleurs, la plupart des Associées commenceront elles aussi à recevoir un salaire et à vivre en appartement.

Le Chaînon a réussi à s’adapter aux temps modernes tout en préservant ce qui le caractérise : la dévotion envers son prochain, la délicatesse, l’accueil inconditionnel et le service gratuit. En 2022, six Associées membres du groupe fondateur sont toujours vivantes, elles sont encore actives au conseil d’administration ou consultées : Lucie, Monique, Colette, Ginette, Jeannine et Fernande. Chaque année, elles renouvellent leur engagement. Si chacune agit selon des raisons personnelles, toutes le font aussi par solidarité pour la famille qu’elles forment et en tant que gardiennes des valeurs de l’œuvre.

Les Associées : missionnaires urbaines

Les Associées : missionnaires urbaines

Avec la participation de Monique Bérubé, Jeannine Gagné, Lucie Morrissette, Ginette Tanguay et Fernande Themens. Extraits d’une entrevue faite en 2022 pour le film Femmes courage, écrit et réalisé par Isabelle Hébert et produit par La Fondation Le Chaînon en 2023.  

Montage : Kalina Bertin Transcription et sous-titrage : SETTE inc. Durée : 9 min 41 s