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Yvonne Maisonneuve, mère du Chaînon

08 décembre 2022

Par l’œuvre d’une vie, la fondatrice de l’association Le Chaînon a secouru des générations de Montréalaises dans le besoin. Sa mission se poursuit, selon les valeurs qu’elle a transmises.

« Quand on a rien à donner, on donne de soi. » — Yvonne Maisonneuve, fondatrice, lors d’une conférence le 27 mars 1951

Pionnière de la charité sociale consacrée aux femmes, Yvonne Maisonneuve, surnommée « Mère Yvonne », est la fondatrice de l’Institut Notre-Dame-de-la-Protection, renommé Le Chaînon depuis 1978. Se vouant cœur et âme à son œuvre pendant plus de 30 ans (de 1932 à 1965), elle a fait émerger les valeurs et les assises d’un accueil unique et bienveillant qui perdure jusqu’à ce jour.

Sa jeunesse et la recherche de sa mission

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Femme avec des lunettes, regard contemplatif.
Archives Le Chaînon
Yvonne Maisonneuve est née le 20 avril 1903 et a grandi dans le quartier Côte-des-Neiges. Elle est âgée de 11 ans lorsque sa mère, Maria Renaud, meurt subitement à la maison. À la sortie des funérailles, elle apprend qu’étant l’aînée de la famille, elle devra traverser son chagrin en assumant l’imposante charge de la maisonnée composée de ses trois petites sœurs, de sa grand-mère et de son père. À la fin de l’été, une tante vient à sa rescousse et lui permet de poursuivre ses études dans un pensionnat.

Son père, Camille Maisonneuve, forgeron et voiturier, est absent de l’aurore au crépuscule pour pourvoir aux besoins de sa famille. Rapidement, il cherche une nouvelle épouse et une maman pour ses filles. Une de ses belles-sœurs accepte de laisser l’habit religieux pour revêtir ce rôle. À la suite de cette union, la famille s’agrandit chaque année et Yvonne abandonne le pensionnat pour l’école paroissiale et pour être ainsi présente le soir pour aider sa belle-mère avec ses jeunes demi-frères. De plus, elle soigne, jusqu’à leur décès, sa grand-mère et sa sœur Juliette, les deux très malades, et, passant outre le jugement social et la désapprobation de son entourage, elle visite les familles pauvres de son quartier.

Ces responsabilités, loin de la décourager, tracent son chemin de vie. Dotée d’une grande sensibilité, très pieuse, elle désire servir. Habitée par la conviction que la Providence la guide, elle écoute les signes. Elle cumule diverses expériences qui cimenteront sa future grande œuvre : un travail de secrétariat et de comptabilité chez un oncle, l’implication dans des œuvres charitables et l’accompagnement à l’orgue de célébrations religieuses à l’église paroissiale.

Elle cherche sa voie d’abord du côté des communautés religieuses. À 19 ans, elle fait un essai au cloître des Servantes du Saint-Sacrement à Chicoutimi mais, faute d’une santé régulière et parce qu’elle est dotée d’un tempérament ardent, elle se voit refuser l’admission. Puis, pendant deux ans et demi, elle s’engage avec les Oblates franciscaines de Saint-Joseph. Sans y trouver sa réelle place, elle se forme toutefois à des compétences essentielles pour son futur, l’aide aux convalescents pauvres et, sous la supervision de mère Lavallée, elle apprend à quêter. À travers ces essais infructueux, elle décline également, au grand dam de ses parents, une proposition de mariage intéressante. Continuant d’être habitée par la misère des pauvres, elle y voit le signe que son existence et sa foi doivent être consacrées à des actions concrètes dans le monde.

Le projet du comité des dames patronnesses

« Au jour de l’An, papa m’appelle au téléphone; il m’avait retracée; sa voix était pleine de larmes : “Ma pauvre Yvonne, j’ai eu beaucoup de peine de ton départ, mais c’est le jour de l’An et, malgré tout, tu es encore ma fille; je ne veux pas que nous restions ainsi en désaccord... As-tu de quoi manger, au moins?” » — Yvonne Maisonneuve, fondatrice

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Immeuble de trois étages jumelé. Escaliers extérieurs et voiture stationnée devant.
Archives Le Chaînon
C’est en 1932, au cœur des années éprouvantes de la grande crise économique, que surgit l’appel pour sa voie ultime. Yvonne Maisonneuve a 29 ans lorsque Hélène Lemoyne la presse d’accepter la direction d’un futur foyer. Cette femme pieuse d’Outremont, habile organisatrice et dévouée aux œuvres de charité, fait partie d’un comité de dames patronnesses, Le Secours aux chômeuses à collet blanc. Depuis le début de la crise, ces femmes aident des jeunes filles, en payant ici et là de quoi les loger, mais leurs dons demeurent insuffisants, et l’étau se resserre pour les jeunes chômeuses, car plusieurs foyers appropriés, manquant de ressources, se voient dans l’obligation de fermer leurs portes. Devant ce constat, ces dames ont à cœur de leur offrir un endroit sécuritaire. Cependant, comme elles sont mariées, il n’est pas question de prendre en charge un projet de cette envergure, mais de simplement y participer par philanthropie.

Le célibat de Yvonne Maisonneuve et son profond dévouement envers son prochain font d’elle la personne clé pour concrétiser le projet. Yvonne hésite, car sa famille désapprouve fortement cette étrange vocation. Néanmoins, le matin du 18 décembre 1932, profitant de l’absence des siens, elle se déracine du nid familial pour répondre à l’appel de son être et s’installe au 366, avenue Fairmount Ouest, dans la paroisse Saint-Viateur de Montréal. Le logement est payé par le comité des dames afin d’aider la locataire qui accepte que le lieu soit transformé en foyer d’accueil pourvu que sa place soit assurée.

S’élever en plongeant dans la misère

« Petit à petit, les dames apportèrent des lits et autres meubles indispensables; elles me donnaient de l’argent pour pourvoir aux besoins de mes pauvres, mais pas assez, je dus donc commencer à quêter quoique nous n’ayons pas la permission de le faire! Ma grande peur était de rencontrer des gens qui me connaissaient... Vous comprendrez que l’orgueil gigotait encore pas mal fort en dedans. » — Yvonne Maisonneuve, fondatrice

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Une femme riant, portant le voile, assise à une table avec cinq enfants.
Archives Le Chaînon
Le projet est vertigineux et demande une profonde abnégation. Munie d’un maigre bagage et d’économies totalisant 40 dollars, Yvonne Maisonneuve amorce un véritable plongeon au cœur de la misère, son seul salaire sera celui de la joie de servir. Elle passe ses premières nuits sur un matelas par terre, des caisses de bois servent de chaises, les dons amassés par les dames du comité sont insuffisants et ne parviennent même pas à couvrir le strict minimum. Issue d’un milieu où les ressources ont toujours été au rendez-vous, Yvonne apprend à quêter quotidiennement nourriture, charbon, vêtements et autres produits pour répondre aux besoins des jeunes femmes démunies qui atterrissent au refuge.

Ses journées sont longues et éprouvantes. Seule pour assumer toutes les tâches, revenue le soir à la maison avec les provisions, elle prépare les repas du lendemain en compagnie de ses pensionnaires. La reconnaissance de celles-ci et leur émerveillement devant les dons obtenus remplissent le cœur d’Yvonne et lui insufflent le courage de traverser les épreuves. Au milieu de cette pauvreté extrême, elle se sent utile et comprend mieux les problèmes de ses protégées. Pour mieux les servir, elle fait le vœu de vivre dans la réalité des démunis et tourne sans cesse ses actions vers les autres. À l’occasion, il lui arrive de se faire une place dans le hangar afin de laisser son lit à une jeune fille qui se présente en urgence à la maison déjà débordante.

Les embûches qui précisent son œuvre

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Deux rangées de femmes, portant le même costume et le même voile, posent pour la photo.
Archives Le Chaînon
Malgré la débrouillardise dont fait preuve Yvonne Maisonneuve et les nombreuses embûches qu’elle surmonte avec brio, certaines dames du comité, inconscientes des difficultés rencontrées sur le terrain, colportent des médisances sur son compte. Heureusement, plusieurs personnes importantes appuient son dévouement et la survivance du refuge : le père Hamelin, curé de la paroisse Saint-Viateur, le président de la Société de Saint-Vincent de Paul de Montréal, l’avocat et futur juge Laramée et mesdames Lemoyne et Gravel. Grâce à ces deux dames qui lui demeurent loyales, un nouveau comité de dames patronnesses est créé, condition essentielle pour l’ouverture d’une œuvre de bienfaisance. En avril 1933, après des semaines houleuses, c’est la grande envolée de sa mission, Yvonne emménage à quelques pas, au 384, avenue Fairmount Ouest, et elle y fonde sa Maison d’accueil. Guidée par sa foi, cherchant une inspiration pour le nom de son organisme, elle voit avec évidence qu’il devra se nommer « Notre-Dame-de-la-Protection » lorsqu’elle aperçoit un médaillon de la Vierge Marie portant ce nom.

Une personnalité dévouée et visionnaire

« Yvonne parvenait à donner à chaque femme qui lui parlait l’impression qu’elle était importante, unique même, et qu’elle avait un contact privilégié avec elle. Elle était chaleureuse et enveloppante, comme les Italiens. Ce n’était pas quelqu’un qui parlait fort, mais elle avait un ton de voix décidé. Nous, les Associées, nous nous sentions toutes comme ses filles […] En un mot, elle nous impressionnait et on la vénérait. » — Lucie Morrissette, Associée

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Une femme, les mains jointes, debout au milieu d’une assemblée de personnes assises, regarde vers sa droite.
Archives Le Chaînon
Yvonne Maisonneuve devient rapidement la maman des résidantes. De nature simple et sincère, dotée d’une écoute profondément accueillante et dévouée, elle tisse avec amour l’ambiance d’une maison familiale. Femme d’action sociale avec un sens inné de l’organisation et d’une générosité sans limites, elle a la témérité de vouloir vivre en respectant à la lettre l’unique commandement du fils de Dieu : tu aimeras ton prochain comme toi-même. La prière lui permet de maintenir une grande énergie et de se consacrer sans relâche à des corvées.

À partir de 1938, sa joie de servir, sa vision de l’amour envers les pauvres et sa foi en la Providence attirent de nombreuses jeunes femmes qui, comme elle, s’engagent de tout leur cœur et consacrent leur vie à aider les personnes défavorisées. Ces femmes bénévoles, appelées les « Associées », vivent en communauté et prononcent des vœux sans être religieuses. Elles sont considérées comme des missionnaires urbaines et partagent avec leur « Mère Yvonne » le dur labeur de quête, de soins et d’accueil.

Retrait de la vie publique et préparation à l’ultime voyage

« Pour être capable d’aimer et de donner, il faut être aimé d’abord. Or, notre fondatrice nous aimait beaucoup et nous la sentions sincère, cela nous donnait des ailes. » — Rolande Bernier, Associée, 1971

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Valise ouverte contenant vêtements pliés, croix, petite note.
Archives Le Chaînon
En 1965, après avoir été maître à bord plus de 30 ans, Yvonne Maisonneuve se retire de la vie publique. Elle passe le flambeau de la direction à Lucie Morrissette, une Associée engagée et fidèle depuis 1952. Les assises et les valeurs de l’organisme qu’elle a fondé dans un tout petit logement sont alors bien ancrées et des dizaines d’Associées poursuivent l’œuvre.

Après avoir tout donné de sa personne, Yvonne reçoit ce qu’elle a tant offert. Elle passe les dernières années de sa vie dans une maison où quelques Associées prennent soin d’elle. Cette femme remarquable, qui s’est tant dévouée pour Jésus et qui a vécu sous le précepte le plus élevé de l’amour, s’éteint le matin de Noël 1980. Son testament spirituel révèle qu’elle était habitée par un fort sentiment de gratitude d’avoir été guidée vers cette sublime vocation de « servante des pauvres » et d’avoir eu la grâce insigne de les aimer comme ses enfants bien-aimés! Elle précise que ses 33 années de dévouement et de labeur au service du prochain ont été les plus belles de sa vie!

Femme d’exception, d’une qualité d’abnégation inégalable, habitée d’une vision indéfectible et d’un dévouement rare, elle est perçue, par le groupe qui vécut avec elle jusqu’à la fin, comme une sainte. En témoigne leur déférence envers ses vestiges, ses mèches de cheveux, sa jaquette et divers objets ayant été touchés par leur « Mère ».

Murale Yvonne Maisonneuve

Toits de la ville, avec la murale d’un portrait de femme en couleurs, sur un des murs en briques.
Archives Le Chaînon

Yvonne Maisonneuve a voué sa vie entière à la cause des femmes marginalisées et à l’amélioration de leurs conditions de vie. Alors que la société change, que les œuvres charitables et sociales s’adaptent et se modernisent, l’essence de son accueil unique et familial traverse le temps. Son œuvre demeure, à ce jour, incomparable et inestimable.

Afin d’honorer cette femme remarquable, en septembre 2017, le parc Hutchison-Avenue-des-Pins change de nom pour celui du parc Yvonne-Maisonneuve. Et, au mois d’octobre 2022, à l’occasion des festivités entourant le 90e anniversaire du Chaînon, une murale la représentant, réalisée par l’artiste Kevin Ledo, est créée en son honneur au 4382, rue Saint-Urbain près de l’avenue Mont-Royal. Ainsi Yvonne Maisonneuve continuera longtemps d’illuminer la ville et de veiller sur les femmes de Montréal.

L’élaboration de cet article a bénéficié du soutien du Laboratoire d’histoire et de patrimoine de Montréal de l’Université du Québec à Montréal, notamment grâce à l’expertise de l’historien Martin Petitclerc. Merci à Sylvie Bourbonnière, directrice générale de La Fondation Le Chaînon, pour sa relecture, de même qu’à Lucie Morrissette, Fernande Themens et Jeannine Gagné.

Références bibliographiques

Archives

Les archives de l’Association d’entraide Le Chaînon.

Monographies

BAILLARGEON, Denyse. Brève histoire des femmes au Québec, Montréal, Boréal, 2012, 288 p. 

BAILLARGEON, Denyse. « Pratiques et modèles sexuels féminins au XXe siècle jusqu’à l’avènement de la pilule », Une histoire des sexualités au Québec, Jean-Philippe Warren (dir.), Montréal, VLB éditeur, 2012, p. 17-31.

BIZIER, Hélène-Andrée. Une histoire des Québécoises en photos, Montréal, Fides, 2006, 319 p.

HALPERN, Sylvie. Le Chaînon : La maison de Montréal, Montréal, Stanké, 1998, 238 p.

LÉVESQUE, Andrée. Résistance et transgression, Montréal, Remue-Ménage, 1995, 157 p.