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Carlos d’Alcantara, un comte devenu horticulteur

02 novembre 2021

Au début du XXe siècle, Carlos d’Alcantara immigre par amour à Montréal, où il concrétise son rêve d’horticulture. Aujourd’hui, ses descendants entretiennent toujours la tradition familiale.

Carlos d’Alcantara

Photo en noir et blanc en gros plan d’un homme portant la moustache.
Collection privée Marcel d’Alcantara
Vivant dans son pays une histoire d’amour impossible, le comte belge Carlos d’Alcantara décide d’immigrer au Canada. Il y est à l’origine d’une lignée d’horticulteurs et de fleuristes perpétuée présentement par la cinquième génération!

Carlos d’Alcantara est né le 9 octobre 1869. Il est fils d’Adhémar d’Alcantara, comte belge propriétaire du château de Lembeke dans les Flandres, et de Madeleine de Gauchechart, fille d’un comte français. Son prénom rappelle celui d’un oncle mort à 22 ans en 1867 en tentant de défendre le pape contre les républicains de Garibaldi.

Carlos étudie le droit et exerce la profession d’avocat. À sa majorité, il devient le bourgmestre de Lembeke. Dans ses temps libres, il s’occupe de la roseraie, du jardin et des serres du château. Vers 1900, il fait la rencontre d’une ancienne ballerine d’origine française, Claire-Laure Catteau. Celle-ci accouche le 12 juin 1901 d’une fille nommée Lucy Fernande Catteau. Aucun nom de père n’est indiqué sur le certificat de naissance. Grâce à des tests ADN passés par des descendants de la famille, nous apprendrons à l’automne 2020 que Lucy Fernande est fort probablement la fille naturelle de Carlos.

Claire-Laure Catteau

Photo en noir et blanc en médaillon d’une femme prenant la pose.
Collection privée Micheline d’Alcantara
Les fréquentations d’un comte et d’une roturière, « fille-mère » de surcroît, ne reçoivent pas l’approbation des parents de Carlos. Les pressions sont fortes pour qu’il quitte Claire afin d’en épouser une autre, une noble de préférence. N’écoutant que son cœur, Carlos choisit celle qu’il aime plutôt que sa famille. Il décide alors d’immigrer au Canada où il arrive en septembre 1903 avec Claire-Laure et sa fille. La première chose que fait Carlos est d’épouser Claire-Laure le 21 octobre 1903 à l’église Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Ce faisant, il donne le nom d’Alcantara à l’enfant née hors mariage, prénommée désormais Lucie. Cinq fils naîtront de cette union : Joseph, Jules, Jacques, Paul et Pierre.

Un rêve botanique persistant

Carlos s’installe bientôt dans la ville de Maisonneuve où il sera agent, restaurateur, épicier, agent immobilier et même ouvrier de la chaussure selon le recensement de 1911. Mais le rêve de Carlos est de cultiver ses fleurs et ses propres légumes. Un premier pas est franchi en février 1915 lorsqu’il loue un étal de fruits et légumes au nouveau marché Maisonneuve. Il aimerait bien retourner en Belgique pour que ses parents puissent financer son projet de construire ses propres serres. Mais la Belgique est occupée par les Allemands. Il ne pourra faire ce voyage qu’en mai 1919, une fois la guerre terminée. Il revient de Belgique avec une certaine somme d’argent et des semences de cantaloup (à ne pas confondre avec le melon brodé très populaire au Québec) et de melon noir des Carmes. Carlos d’Alcantara va introduire cette culture au Québec. Au lieu de vendre ses melons dans les marchés publics, il en garde l’exclusivité et offre les fruits aux grands hôtels de Montréal, comme le Ritz-Carlton et l’hôtel Mont-Royal.

Peu avant de partir pour la Belgique, il a déménagé dans le quartier Mercier où il loue une maison et un grand terrain au 8940, rue Notre-Dame Est pour qu’il puisse cultiver des fleurs et des légumes du printemps à l’automne en utilisant, entre autres, la technique des couches chaudes et froides. En octobre 1925, son rêve d’être propriétaire se réalise lorsqu’il achète la maison Brouillet dit Bernard (8976, rue Notre-Dame Est) et la moitié ouest du quadrilatère délimité par les voies Notre-Dame, Desmarteau, Bellerive et Pierre-Bernard. Il y fait construire deux immenses serres séparées par une chaufferie le long du boulevard Pierre-Bernard. Sa production est vendue dans tous les marchés de l’est de Montréal. Cependant, atteint d’un cancer, il meurt le 8 octobre 1926, la veille de son 57e anniversaire. Sa chère Claire en meurt de chagrin le 23 janvier de l’année suivante.

Serres - Carlos d'Alcantara

Photo en noir et blanc montrant l’intérieur d’une serre sur la longueur avec des plantes à fleurs au milieu et deux hommes de chaque côté.
Collection privée Marcel d’Alcantara
La situation est complexe parce que des cinq fils de Carlos, seul l’aîné Joseph est majeur. Pierre, le cadet de la famille, n’a que 12 ans. De plus, Carlos avait accumulé une dette importante. Joseph d’Alcantara va assumer le rôle de chef de famille et de directeur de l’entreprise en refusant de baisser les bras. Il redonne à ses frères les connaissances que son père lui a transmises avant de mourir. Grâce à un dur labeur en pleine crise économique des années 1930, les frères d’Alcantara réussissent à effacer les dettes de Carlos, à développer l’entreprise en ajoutant de nouvelles serres et en introduisant, comme d’autres serristes, les plantes à bulbe venues de Hollande et les plantes arbustives de Belgique, comme l’hydrangée, l’azalée et le rosier.

Il semble que Lucie d’Alcantara se soit peu intéressée à l’horticulture. À peine majeure, elle s’installe en 1922 dans Maisonneuve et travaille assurément dans une des nombreuses manufactures de ce quartier. Elle rencontre Pierre Depessemier qu’elle épouse en juin 1923 alors qu’elle est enceinte de trois mois. De plus, Carlos d’Alcantara n’a rien prévu pour elle dans son testament. La maison et l’entreprise doivent être divisées en deux parties : une moitié à Claire et l’autre à ses cinq fils.

Les grandes étapes de la vie d’un chrétien (baptême, première communion, confirmation, mariage, service funèbre) sont des occasions d’offrir des fleurs. Plusieurs églises et autres institutions religieuses de Montréal deviennent d’excellents clients des frères d’Alcantara de même que les grands hôtels du centre-ville. La boutique de la rue Notre-Dame Est est prise d’assaut lors des grandes fêtes religieuses, comme Pâques et Noël, auxquelles s’ajouteront après la Seconde Guerre des fêtes profanes, comme la Saint-Valentin et la fête des Mères.

Les frères fleuristes s’éloignent

Dany Gaudet

Photo couleur d’un homme et d’une femme qui sourient en gros plan. Tous deux portent des lunettes.
Collection privée Dany Gaudet
Une fois la Seconde Guerre terminée, trois frères d’Alcantara demandent leur part d’héritage pour aller établir ailleurs leurs serres et leur commerce de fleurs : Pierre s’installe à Saint-Lambert en 1945, Paul, au coin des voies Sherbrooke Est et Langelier en 1946 et Jules, au coin des rues Sherbrooke Est et Moreau en 1951. Les deux derniers frères, Joseph et Jacques, continueront de travailler ensemble jusqu’en 1968, année où Jacques prendra sa retraite. Après le départ de Jacques, Joseph demeure le président de l’entreprise jusqu’à son décès en 1987. Son fils aîné Marcel prendra la relève.

Marcel d’Alcantara doit gérer la décroissance de l’entreprise à cause de nouvelles réalités socio-économiques. Mercier perd 40 % de sa population entre 1966 et 1996. Les grandes surfaces et les supermarchés se mettent à vendre des fleurs et des accessoires lorsque vient le printemps à des prix de plus en plus difficiles à concurrencer pour les horticulteurs. Le contexte religieux a beaucoup changé : la fréquentation des églises est en déclin, des paroisses ferment, le nombre de mariages, de naissances et de baptêmes diminue; toutes ces occasions de vendre des fleurs s’amenuisent. Marcel d’Alcantara achète de plus en plus de fleurs à de petits producteurs au lieu de les produire lui-même. Il est également difficile de trouver des employés qualifiés.

En 1999, Marcel d’Alcantara en vient à la conclusion qu’il est temps de vendre l’entreprise vieille de plus de 70 ans. Le terrain est acheté par des promoteurs qui s’empresseront de construire des appartements en copropriété. Heureusement, la maison Brouillet dit Bernard, datant du début XIXe siècle, ne sera pas démolie. Parce qu’elle n’est plus visible de la rue Notre-Dame, la Ville de Montréal doit modifier l’adresse municipale qui est maintenant le 325, avenue Pierre-Bernard.

En 1996, Micheline d’Alcantara, fille de Marcel, et Dany Gaudet, sa petite-fille, qui travaillaient jusque-là avec Marcel, décident d’ouvrir leur boutique de fleuriste à Longueuil. En 2001, elles reviennent à Montréal en s’établissant dans l’ancien commerce de Paul d’Alcantara, au coin des voies Sherbrooke et Langelier. Aujourd’hui, la boutique de Dany Gaudet, Fleuriste Dames d’Alcantara, est située sur la rue Sherbrooke Est en face du cimetière le Repos Saint-François-d’Assise. Sans délaisser la fleuristerie traditionnelle, les arrangements contemporains y sont inspirés par l’art floral européen qui allie émotion, pureté, mouvement en utilisant des plantes et fleurs moins connues ou d’autres éléments végétaux. Dany Gaudet constitue aujourd’hui la cinquième génération d’horticulteurs et de fleuristes de la famille d’Alcantara, plus de 100 ans après l’installation de Carlos d’Alcantara rue Notre-Dame dans Mercier.

Pour reconnaître l’apport de Carlos d’Alcantara à l’horticulture québécoise, la Ville de Montréal a décidé en 2013 de nommer un parc du faubourg Contrecœur, le parc Carlos-d’Alcantara.

Grâce à l’apport financier de Fleuriste Dames d’Alcantara, l’auteur André Cousineau a pu écrire une histoire de la famille d’Alcantara dans l’œuvre intitulée Une histoire d’amour plus que centenaire, De Carlos d’Alcantara aux Dames d’Alcantara.

Référence bibliographique

COUSINEAU, André. Une histoire d’amour plus que centenaire, De Carlos d’Alcantara aux Dames d’Alcantara, Montréal, Les Éditions Histoire Québec, Collection Atelier d’histoire Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, 2021.