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La communauté syro-libanaise à Montréal de 1882 à 1940

02 juin 2016

Quelques milliers de personnes venues de la Syrie « historique » sont entrées au Canada avant 1940. Grâce notamment au travail, ces immigrants ont créé des liens sociaux au-delà de leur communauté.

Min Zamaan - Syrian Ladies Benevolent Society

Photos individuelles en médaillon de quinze femmes et d'un homme.
Collection du Centre d’histoire de Montréal
À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle arrivent à Montréal des immigrants du Bilad al-Sham, la Syrie « géographique » ou « historique », correspondant à peu près aux territoires actuels de la Syrie, du Liban, de la Jordanie, d’Israël, ainsi qu’aux territoires palestiniens occupés de Cisjordanie et de Gaza. Selon les statistiques canadiennes sur l’immigration, environ 6000 personnes venant du Bilad al-Sham sont entrées au Canada avant 1915. On les inscrivit à titre d’Arabes, de Syriens ou de Turcs. Entre 1915 et 1940, 2400 autres personnes de cette région ont immigré au Canada.

Les motifs à l’origine de cette immigration sont attribuables à un ensemble de facteurs : les difficultés économiques et l’incertitude dans certaines régions du Bilad al-Sham; l’attrait d’une meilleure vie dans le Nouveau Monde; le souvenir des conflits intercommunautaires de 1860 au Mont-Liban et en Syrie, et la crainte qu’ils n’éclatent à nouveau; les inquiétudes au sujet de la suspension de la constitution ottomane en 1878; les attaques de 1895 et 1896 contre les chrétiens de Mardin et des régions avoisinantes. Rappelons que le XIXe siècle fut une période de changements considérables en Syrie ottomane et dans le monde.

L’attrait de l’Amérique

Cinéma Château

Façade du cinéma Le Château, situé près d'une intersection. Des personnes se trouvent sur le trottoir devant.
Archives de la Ville de Montréal.
Et puis, au fil des ans, ces départs se rattachent de plus en plus au modèle de la migration en chaîne : frères et sœurs suivent les frères, fils et filles suivent les pères, et ainsi de suite. Bien des femmes quittent leur pays en tant qu’épouse d’un immigrant revenu au pays pour se marier. De nombreux mariages sont arrangés entre les familles ou entre le futur époux et les parents de la jeune fille. Du point de vue des parents, un marchand syrien qui a réussi en Amerka est certainement un époux idéal.

Migrer en Amerka est une aventure coûteuse. Toutes sortes de dépenses jalonnent le parcours : le coût des permis de sortie et des autres documents, officiels ou non, délivrés par les autorités ottomanes; les frais demandés par les passeurs; les pots-de-vin; les frais d’hébergement à tous les arrêts; le coût des billets et du transport des bagages, etc. En cours de route, des agents de voyage et des vendeurs de billets peu scrupuleux peuvent augmenter les prix ou voler l’argent des migrants peu méfiants, les laissant sans ressources.

À la fin du périple, il y a des conditions financières à respecter : pour entrer légalement au Canada, les immigrants syriens doivent avoir en leur possession au moins 50 $ et, après 1908, 200 $. À partir de 1908, les immigrants syriens sont en effet soumis aux conditions d’entrée imposées par le gouvernement canadien à l’immigration asiatique, ainsi désignée et que le gouvernement cherche à empêcher. En dépit de ces obstacles, les Syriens continuent d’entrer au Canada, mais en plus petit nombre. La Première Guerre mondiale vient temporairement mettre un terme à toutes les vagues d’immigration. Après la guerre, le nombre d’entrées est faible et, en 1930, le gouvernement canadien adopte le règlement PC 2115 qui ferme encore davantage la porte aux Asiatiques, incluant les Syriens.

Une communauté au travail

Min Zamaan - magasin Aboud et Boosamra

Façade du magasin Aboud et Boosamra.
The Gazette, 1907, Montréal: The commercial Metropolis of Canada, Montréal: The Gazette Printing Company. Bibliothèque nationale du Québec .
À Montréal, selon le recensement de 1921, 1500 personnes sont d’origine syrienne. Parmi la population active de la première vague d’immigration syro-libanaise, la proportion de propriétaires de commerces est particulièrement élevée. En 1925-1926, Montréal compte au moins 200 commerces appartenant à des Syro-Libanais. Cependant, le groupe le plus nombreux est formé par les salariés : commis, vendeurs, livreurs, manœuvres, etc. Les Montréalais d’origine syrienne de cette époque comptent aussi des cols blancs spécialisés ainsi que des professionnels, par exemple des médecins, des avocats, un comptable, un détective, des agents d’assurance, des interprètes et des membres du clergé. Quelques-uns jouent un rôle actif dans le développement des salles de cinéma, par exemple la famille Lawand, qui exploite plusieurs cinémas. Les femmes de la classe moyenne et des familles à faible revenu participent aussi à la vie économique : elles travaillent dans le commerce de leur mari ou prennent en main les affaires si celui-ci meurt ou tombe malade, elles travaillent en usines ou comme vendeuses ambulantes, ou encore comme couturières et coupeuses pour des fabricants syriens de vêtements.

Il est un métier que les Québécois associeront aux Syriens au point d’en faire une expression. « Le Syrien s’en vient », dit-on pour signaler l’arrivée du colporteur. Au début, le rayon d’action des colporteurs se limite à Montréal et à ses environs. Mais à mesure que les immigrants arrivent, la concurrence augmente et la recherche de nouveaux marchés pousse l’activité vers les régions éloignées du Québec rural. Les grossistes de Montréal, anciens colporteurs eux-mêmes dans bien des cas, avancent de l’argent ou des marchandises aux kashshashin, les colporteurs. Un lien de dépendance s’établit alors entre les grossistes et les vendeurs ambulants, du moins jusqu’à ce que les recettes de ceux-ci deviennent régulières.

Entre intégration et tradition

Les colporteurs vont de village en village et d’une ferme à l’autre, à pied ou en charrette à cheval, avec des valises et des sacs remplis de menus articles : boutons, épingles, fils, ciseaux, dentelles, tissus, bas, stylos, objets religieux, etc. Nombreux sont ceux qui finissent par s’installer dans les villes qu’ils visitent. Dès 1910, des familles d’origine syrienne sont établies à Mont-Joli, La Pocatière, Saint-Michel-des-Saints, Rouyn, Trois-Rivières, Sherbrooke et dans d’autres petites villes et villages partout au Québec.

Le colportage est un travail difficile et exigeant, mais il a permis l’adaptation et l’intégration sociale, culturelle et linguistique des nouveaux arrivants syriens. Ce travail permettait aux immigrants d’être en contact direct avec les Québécois francophones et anglophones ainsi qu’avec les Autochtones. Il les aidait à perfectionner leur connaissance du français et de l’anglais.

Pour ces premiers immigrants, la famille et la communauté jouent un rôle central et leur permettent d’exprimer leurs particularités et de sauvegarder leurs coutumes, leurs traditions. Les mariages se font généralement entre gens de même confession ou du même lieu d’origine, aussi bien pour les premiers arrivants que pour la première génération née au Canada. Mais les immigrants du Bilad al-Sham vont peu à peu créer un éventail de liens sociaux qui vont dépasser les limites de la famille et de la communauté. Ils deviennent ces Montréalais, Québécois et Canadiens que sont aujourd’hui les Rossy, Bounadère, Aboud...

Cet article a été réalisé à partir des recherches et des textes de Brian Aboud, rédigés pour le Centre d’histoire de Montréal, dans le cadre de l’exposition temporaire Min Zamaan — Depuis longtemps, présentée au Centre d’histoire de Montréal du 10 octobre 2002 au 8 juin 2003. Il est paru dans le numéro 44 du bulletin imprimé Montréal Clic, publié par le Centre d’histoire de 1991 à 2008.  

Arabes et musulmans? Plutôt chrétiens

Contrairement à la croyance populaire, la majorité des premiers immigrants syro-libanais étaient chrétiens et non musulmans. Ils appartenaient à l’une des nombreuses Églises de rite oriental : grecque-melchite catholique, catholique maronite, orthodoxe d’Antioche (aussi appelée « syrienne » ou « grecque »), syriaque orthodoxe et catholique. Au début, les Syriens chrétiens assistaient aux offices religieux dans des maisons privées, des chapelles temporaires ou des églises catholiques romaines ou protestantes.

Au tournant du XXe siècle, les Syriens orthodoxes d’Antioche constituent le groupe de chrétiens syriens le plus important à Montréal. Entre 1905 et 1910, ils y forment deux communautés qui établiront par la suite des lieux de culte. L’un des deux groupes assiste aux offices dans la nouvelle cathédrale de la rue Notre-Dame; l’autre, dans une manufacture réaménagée de la rue Vitré. Dans les conversations quotidiennes, on appelle le premier lieu de culte « église haute » et le second « église basse ». Aujourd’hui, l’église orthodoxe d’Antioche Saint-Nicolas est située sur la rue De Castelnau et l’autre, l’église orthodoxe Saint-Georges, rue Jean-Talon Est.

Références bibliographiques

FARAH-LAJOIE, Georges. Ma version de l’affaire Delorme, Toronto, Central News, 1922, 105 p.

DANSEREAU, Dollard. Causes célèbres du Québec, Saint-Lambert, Sedes, 1990. 227 p.

FORTIN, Sylvie. Destins et défis : la migration libanaise à Montréal, Montréal, éditions Saint-Martin, 2000, 127 p. (Collection Pluriethnicité-santé-problèmes sociaux).

MONET, Jean. La soutane et la Couronne. Le procès du siècle : l’affaire Delorme, Saint-Laurent, éditions du Trécarré, 1993. 218 p.