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Georges Farah-Lajoie

18 janvier 2016

Immigrant de Syrie au début du XXe siècle, Georges Farah-Lajoie entre dans la police montréalaise en 1906. Il devient graduellement un véritable personnage et, pour certains, un héros.

Georges Farah-Lajoie - famille vers 1913

Photo de la famille Farah-Lajoie. Y figurent le père à droite, la mère à gauche, et trois de leurs enfants au centre.
Collection de la famille Farah-Lajoie/Lamoureux. Tous droits réservés.
Plusieurs personnalités de la communauté syro-libanaise se sont distinguées, à divers titres, dans la société québécoise. Mentionnons par exemple René Angélil, le célèbre agent et époux de Céline Dion, la famille Rossy, propriétaire d’une chaîne de magasins du même nom, le juge Albert Malouf, qui a notamment présidé la Commission d’enquête sur le coût des installations olympiques. Au début du XXe siècle, un nom se trouve fréquemment cité dans les journaux à cause d’exploits et d’actes de bravoure : Georges Farah.

Immigrant syrien originaire de Damas, Georges Farah est arrivé à Montréal vers 1900, à l’âge de 24 ans. Il a étudié dans un collège français à Jérusalem où il a traduit son nom Farah de l’arabe au français, devenant ainsi Georges Farah dit Lajoie. Il se marie en 1902 avec une Canadienne française, Marie-Anna Chartré. Lorsqu’il meurt en mars 1941, à l’âge de 65 ans, il laisse dans le deuil, outre sa femme, cinq fils et deux filles.

Détective de la Sûreté de Montréal

Georges Farah-Lajoie - coupure de journal

Coupure de journal détaillant l'intervention du policier.
Collection de la famille Farah-Lajoie/Lamoureux. Tous droits réservés.
En 1906, Georges Farah-Lajoie devient agent au service de police de Montréal, il est tout d’abord policier, puis, à partir de 1910, il travaille à titre de détective de la Sûreté de Montréal. D’après des articles de l’époque, ses bons états de service et sa maîtrise des langues — il parle arabe, français et anglais — lui valent sa promotion.

Georges Farah-Lajoie était un enquêteur compétent qui a résolu de nombreuses affaires criminelles au cours de sa carrière. Graduellement, il est devenu un véritable personnage. Plusieurs de ses exploits et de ses actes de bravoure ont été couverts par la presse aussi bien francophone qu’anglophone. Les journaux le décrivent comme l’un des meilleurs détectives de la ville. La Presse titre « La bravoure d’un policier », on y apprend que : « Le constable syrien Georges Farah dit Lajoie du poste no 3, coin Ontario et Beaudry, vient de se signaler de nouveau en accomplissant un exploit vraiment héroïque. » Il sauve en effet une fillette « qui allait être impitoyablement broyée sous les roues d’une voiture électrique ». Un article dans un journal de langue anglaise de l’époque fait de lui « a man whom criminals fear », un homme que craignent les criminels.

L’affaire Delorme

Georges Farah-Lajoie - affiche annonçant le livre

Affiche publicitaire annonçant la parution de Ma version de l’affaire Delorme de Georges Farah-Lajoie.
Collection de la famille Farah-Lajoie/Lamoureux. Tous droits réservés.
En 1922, on lui confie une affaire qui s’avérera être la plus complexe de sa carrière : le meurtre de Raoul Delorme. Cette affaire suscita la controverse et fut largement couverte par les médias. La Presse écrivait même à la une le 15 février 1922 : « Jamais, dans les annales criminelles du Canada, un meurtre n’avait encore suscité un intérêt aussi général et considérable. » Farah-Lajoie connut ainsi une heure de gloire dans sa carrière d’enquêteur avec l’affaire Delorme, comme on l’appela alors.

L’affaire commence au matin du 7 janvier 1922 quand un corps est trouvé dans la neige dans le quartier Snowdon, à Montréal. Le sergent-détective Farah-Lajoie se voit confier la direction de l’enquête. Le corps est celui de Raoul Delorme, un étudiant en commerce et benjamin d’une famille aisée de la rue Saint-Hubert. Quelques jours plus tard, l’enquête de Farah-Lajoie l’amène à conclure que Delorme a été assassiné par son frère, l’abbé Adélard Delorme, un prêtre catholique ayant la réputation de mener grand train. Ce dernier est donc accusé de meurtre sur la base des preuves recueillies par Farah-Lajoie. L’accusation suscite évidemment la controverse, certains n’acceptant pas que l’on accuse de meurtre un prêtre de l’Église catholique romaine.

Georges Farah-Lajoie

Portrait taille de Georges Farah-Lajoie vers la fin de sa vie
Collection de la famille Farah-Lajoie/Lamoureux. Droits réservés.
Au lendemain du premier procès, au cours duquel le jury déclare l’abbé Delorme mentalement inapte à subir son procès, Farah-Lajoie publie un livre intitulé Ma version de l’affaire Delorme dans lequel il donne les détails de son enquête et met en évidence les preuves de la culpabilité d’Adélard Delorme. L’affaire sera ramenée trois fois devant les tribunaux, entre 1922 et 1924. Lors du dernier procès, le jury déclare finalement Adélard Delorme « non coupable ». Georges Farah-Lajoie fut vivement critiqué par certains dans cette affaire, alors que d’autres le considérèrent comme un héros.

Farah-Lajoie démis de ses fonctions

Farah-Lajoie poursuivit sa carrière de détective jusqu’à la fin des années 1920.  Un journal anglophone du 10 décembre 1929 nous apprend que Georges Farah-Lajoie réclame une pension de 330 $ pour 22 années de service dans la police montréalaise. Il aurait été démis de ses fonctions en 1927, après s’être présenté aux élections municipales pour devenir conseiller de Ville-Marie. Dans sa plateforme électorale, il prévoyait entre autres choses une réorganisation du service de police, ce que ses supérieurs n’auraient pas apprécié. Espérant être réintégré dans ses fonctions, Farah-Lajoie aurait donné des explications à ses supérieurs qui semblaient les satisfaire, mais on le renvoie finalement le 19 décembre parce que, après un examen médical, il aurait été jugé inapte au service. La ville refuse aussi de lui verser une pension. Il travaille ensuite à son compte comme détective privé. En 1939, il est agent spécial attaché au bureau du Procureur général à Montréal.

À sa mort, à 65 ans, les exploits passés de Georges Farah-Lajoie sont à nouveau relatés dans les journaux, comme ce complot qu’il a déjoué seul et de sa propre initiative au moment du Congrès eucharistique de 1910, empêchant ainsi la destruction du maître-autel érigé sur les flancs du mont Royal. Il laisse le souvenir d’avoir été, comme l’écrit un quotidien francophone, « l’un des plus brillants limiers qu’ait connus [Montréal] ».

Cet article a été réalisé à partir des recherches et des textes de Brian Aboud, rédigés pour le Centre d’histoire de Montréal, dans le cadre de l’exposition temporaire Min Zamaan — Depuis longtemps, présentée au Centre d’histoire de Montréal du 10 octobre 2002 au 8 juin 2003. Il est paru dans le numéro 44 du bulletin imprimé Montréal Clic, publié par le Centre d’histoire de 1991 à 2008.

Références bibliographiques

FARAH-LAJOIE, Georges. Ma version de l’affaire Delorme, Toronto, Central News, 1922, 105 p.

DANSEREAU, Dollard. Causes célèbres du Québec, Saint-Lambert, Sedes, 1990. 227 p.

FORTIN, Sylvie. Destins et défis : la migration libanaise à Montréal, Montréal, éditions Saint-Martin, 2000, 127 p. (Collection Pluriethnicité-santé-problèmes sociaux).

MONET, Jean. La soutane et la Couronne. Le procès du siècle : l’affaire Delorme, Saint-Laurent, éditions du Trécarré, 1993. 218 p.