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La rue Notre-Dame Est, une Petite-Syrie au début du siècle

19 janvier 2016

En 1925, marcher sur la rue Notre-Dame Est, de Saint-Laurent à Berri, c’était découvrir la Petite-Syrie, authentique cœur de la vie commerciale et culturelle de la communauté syro-libanaise.

Rue Notre-Dame 1911

Photographie d'une enfilade de bâtiments en pierre abritant des commerces, dont « Laundry » et « A. Martin Bijoutier & Opticien ». 
Montréal : Commerces de la rue Notre-Dame / Edgar Gariépy . - 1911, Archives de la Ville de Montréal, BM42-G0825_pl-ver.
Au début du XXe siècle, et jusqu’aux années 1940, la rue Notre-Dame Est était une véritable Petite-Syrie, cœur de la vie commerciale et culturelle de la communauté syro-libanaise. On peut imaginer une rue où tout, depuis l’apparence jusqu’aux bruits et aux odeurs, est distinctif : les conversations qui se déroulent en arabe; les livres, les journaux et les revues en arabe sur les comptoirs des magasins; le cliquetis des pièces de trictrac (tawli) au Syrian National Club; la douce odeur du pain syrien d’Abouessa; les arômes des mets syro-libanais émanant de la cuisine d’Afifi; les échos des chants liturgiques du rite byzantin de la cathédrale Saint-Nicolas. La culture syro-libanaise de Montréal était plus visible et publique ici que partout ailleurs, bien que la communauté soit aussi présente autour du square Viger et de l’intersection des rues Saint-Denis et Craig (aujourd’hui Saint-Antoine).

Magasin Aboud

Magasin Aboud
Collection privée famille Aboud.
En 1925, un Montréalais qui marchait rue Notre-Dame vers l’est, de la rue Saint-Laurent à la rue Berri, pouvait aisément repérer une trentaine de commerces appartenant à des immigrants syro-libanais et exploités par eux. On y trouvait des détaillants, des grossistes et des importateurs d’aliments, des merceries, des commerces de nouveautés et de menus articles, sans compter les restaurants, les manufactures de vêtements, un barbier, un tailleur et deux confiseurs.

Les commerçants syriens ont pignon sur rue

C’est le tournant du XXe siècle qui marque le début de la vie commerciale syrienne rue Notre-Dame Est. Les archives montrent que vers 1899-1900, plusieurs entreprises de tissus et d’articles de mercerie appartenant à des Syriens y ont pignon sur rue : Hochar et Malouf, Rameh, Bosshanna et Couri, Tabah, Goora. Non loin de là, on trouve les Aboud, Abdelnour, Boosamra, Hoosan et Kattini-Malouf Brothers. Au cours des deux décennies suivantes, la présence des commerces syriens rue Notre-Dame prend de l’ampleur. Elle culmine avant la Crise, à la fin des années 1920. Puis elle commence à décliner progressivement à partir des années 1930. La société C & A Anbar, qui vend des tissus et des articles de mercerie, est la dernière à disparaître de ce quartier, vers le milieu des années 1980.

Rue Notre-Dame - incendie 1930

Photographie de pompiers éteignant l'incendie de la cathédrale, dont la façade est endommagée.
Incendie à la cathédrale St. Nicholas, rue Notre-Dame, Montréal, QC, vers 1930, Musée McCord, MP-1978.107.105.

Du côté sud de la rue Notre-Dame, près de la rue Berri, s’élevait la cathédrale Saint-Nicolas, la première église orthodoxe construite par la communauté syrienne au Canada, en 1910. Le déclin commercial aura raison de la cathédrale Saint-Nicolas, qui déménagera plus au nord, sur la rue De Castelnau.

De l’autre côté de la rue et un peu plus à l’ouest, au numéro 203, se trouvait le Syrian Oriental Café, ouvert vers 1919 par Elias Thomas. Ce café devint rapidement le lieu de rassemblement des marchands syriens et de leurs clients, fournisseurs et associés. Quelques années plus tard, on l’a rebaptisé Syrian National Club. On retrouvait aussi des restaurants tenus par des Syriens. Le restaurant Hoosan, sur la rue Bonsecours, le snack-bar de Lubbos et la salle à manger d’Afifi. Dans son appartement, cette dernière servait tous les jours des repas du « vieux pays » aux commerçants de la rue Notre-Dame.

Gabrielle Roy évoque les mille et une nuits

Rue Notre-Dame 192-

Photographie d'une enfilade de bâtiments à fenêtres le long de la rue Notre-Dame, et d'un angle de rue, vus de l'ouest.
Rue Notre-Dame Est angle Saint-Laurent vers l'est . - [192-], Archives de la Ville de Montréal, VM94-Z428.
C’est aussi rue Notre-Dame qu’Aboosamra Kouri déménage son commerce en 1904. Portant le nom de son propriétaire, Aboosamra Kouri inc., l’épicerie en gros a été fondée en 1892. Elle est située à l’angle nord-est de l’intersection des rues Bonsecours et Notre-Dame, quand les enfants en reprennent la direction, à la mort du père en 1934. En 1941, l’écrivaine Gabrielle Roy a noté les impressions que le commerce lui avait laissées lors d’une promenade : « Derrière le marché de poissons, s’ouvre une petite rue où règne une forte odeur de cacahuètes, de noix du Brésil et de bananes. Tous les aliments pour la table des riches semblent avoir été entreposés ici : huîtres de l’Île-du-Prince-Édouard, thé de Ceylan, ananas de San Salvador, olives de Palestine. Aboosamra Kouri, au nom des mille et une nuits, étale, rue Notre-Dame Est, une vitrine de banquet. »

Ensemble, commerçants et travailleurs, acheteurs et vendeurs, clients et négociants, tant hommes que femmes, ont fait de cette partie de la rue Notre-Dame le centre de la vie économique syro-libanaise.

Cet article a été réalisé à partir des recherches et des textes de Brian Aboud, rédigés pour le Centre d’histoire de Montréal, dans le cadre de l’exposition temporaire Min Zamaan — Depuis longtemps, présentée au Centre d’histoire de Montréal du 10 octobre 2002 au 8 juin 2003. Il est paru dans le numéro 44 du bulletin imprimé Montréal Clic, publié par le Centre d’histoire de 1991 à 2008.