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Lucie Morrissette, au cœur du Chaînon pendant plus de 70 ans

23 août 2023

Associée puis directrice du Chaînon, Lucie Morrissette semblait destinée dès l’enfance à défendre et servir son prochain. Au sein de l’organisation, elle s’y consacre depuis sept décennies.

Lucie Morrissette a seulement 20 ans en 1952 lorsqu’elle décide de quitter sa ville natale et d’engager sa vie entière comme Associée à l’Institut Notre-Dame-de-la-Protection, qui deviendra Le Chaînon en 1978. En 1965, lors du départ de la fondatrice, Yvonne Maisonneuve, c’est elle qui reprend le flambeau de la direction pour les 20 années suivantes. Toujours active en 2023, elle continue à soutenir l’organisme en partageant sa joie de vivre, sa mémoire et sa sagesse.

Lucie Morrissette, plus de 70 ans voués au Chaînon

Lucie Morrissette, plus de 70 ans voués au Chaînon

Avec la participation de Lucie Morrissette. Extraits d’une entrevue faite en 2022 pour le film Femmes courage, écrit et réalisé par Isabelle Hébert et produit par La Fondation Le Chaînon en 2023.  

Montage : Kalina Bertin Transcription et sous-titrage : SETTE inc. Durée : 5 min 46 s 

Une jeunesse de dévouement

« Tôt dans ma vie, j’ai été attirée par les Mouvements d’Action Catholique et à l’intérieur de ces groupes, je m’arrêtais surtout à celles qui étaient moins chanceuses que moi. » ― Lucie Morrissette, Associée, 1971

Lucie Morrissette 2

De nombreuses jeunes femmes et quelques prêtres posent pour une photo. Ils sont debout et organisés en quatre rangées.
Archives Le Chaînon
En 1932, alors qu’Yvonne Maisonneuve répond à l’appel de son âme et s’engage à servir les plus démunies, une enfant du nom de Lucie Morrissette voit le jour à Saint-Jean-de-Matha dans le comté de Joliette. Quelques mois plus tard, ses parents s’installent au Cap-de-la-Madeleine. Dès son enfance, la personnalité de Lucie, dévouée et dotée d’un profond sens de la justice sociale, est évidente. Sa route sera sillonnée de moments clés qui la mèneront vers l’œuvre d’Yvonne Maisonneuve. Notamment, Lucie se surprend à dépasser sa grande timidité et à faire preuve de courage et d’aplomb quand il s’agit de défendre des maltraités dans la cour d’école et, fréquemment, elle ose dérober à l’épicerie paternelle des boîtes de biscuits cassés pour les remettre à une famille aux ressources financières très limitées. Puis un jour, en écoutant à la radio une émission sur la Cour juvénile (renommée Cour du bien-être social en 1950), elle ressent un vif appel intérieur à se consacrer à ces enfants.

Jeune adolescente, Lucie seconde sa sœur aînée Lili sur qui repose la prise en charge de la maisonnée durant la longue maladie de leur mère. Lucie a 14 ans lors du décès de sa mère. Bien qu’elle soit submergée par le soutien à fournir à sa famille et par son travail de commis à l’épicerie de son père, elle trouve du temps pour s’impliquer dans des œuvres qui lui tiennent à cœur, la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC) et, par la suite, la Jeunesse ouvrière catholique (JOC). Ces associations accordent un rôle d’avant-plan aux jeunes, une première dans l’organisation cléricale. La devise Voir, juger, agir permet aux jeunes d’aiguiser leur sens de l’observation des situations, d’apprécier un problème et d’y apporter des solutions chrétiennes et humaines. Lucie y fait l’apprentissage de l’action communautaire et sociale.

La rencontre déterminante avec Yvonne Maisonneuve

« Tout de suite, j’ai senti que c’était ma place, que quelqu’un avait besoin de moi. Après un séjour de trois semaines à la Maison d’accueil, j’entrais chez les Associées. Mlle Maisonneuve m’avait reçue elle-même lors de mon stage à 101. Toute sa personne m’avait fascinée. Ses attentions à chacune, sa vivacité mêlée à une conversation très profonde... déjà elle prenait place dans ma vie. » ― Lucie Morrissette, Associée, 1971

Lucie Morrissette 3

Dépliant. Titre : Drames quotidiens d’une grande ville! Photo de couverture : une femme tenant une fillette par la main, les deux portent un maigre bagage et sont devant un édifice. Photo au verso : maison de l’organisme sur la rue De La Gauchetière.
Archives Le Chaînon
En 1951, Lucie souffre d’épuisement physique. Obligée de se reposer, elle a beaucoup de temps pour méditer sur son avenir qu’elle n’entrevoit ni à travers le mariage ni à travers la vie religieuse. Une de ses amies, dirigeante de la JOC, lui conseille de rencontrer le père Yvon Poirier du monastère Notre-Dame-du-Cap. Connaissant bien la personnalité de Lucie, celui-ci est convaincu que sa place est à l’Institut Notre-Dame-de-la-Protection, la communauté séculière d’Yvonne Maisonneuve à Montréal. Il sent qu’elle y trouverait la joie de l’aide sociale tout en restant en dehors du cadre rigide des communautés religieuses. Bien que Lucie résiste à cette proposition, à l’évocation de la métropole, le père Poirier lui laisse le dépliant de l’organisme, intitulé Drames quotidiens d’une grande ville! Pendant quelques mois, une fois seule le soir, Lucie sort et relit le dépliant qu’elle cache sous les vêtements dans son armoire. Les études de cas l’émeuvent profondément.

Sentant que c’est sa place, elle débarque à Montréal en avril 1952, le jour de la fête d’Yvonne Maisonneuve. Âgée de 20 ans, elle vient explorer l’atmosphère de la Maison d’accueil située sur la rue De La Gauchetière. Enflammée par la mission, fascinée par la personnalité unique d’Yvonne, elle est traversée d’une grande joie qui confirme son choix. De son côté, son père croit enterrer sa fille vivante et songe qu’il ne l’a pas élevée pour qu’elle apprenne à quêter et à vivre de la Providence. Mais Lucie embrasse la cause de tout son être et, après un court stage, elle choisit de dédier sa vie entière pour servir les plus démunies, tout comme le groupe de femmes laïques à l’âme missionnaire de l’Institut. Lucie Morrissette devient la 24e Associée catholique de l’organisme.

Vie en communauté et vie spirituelle

« J’aimais tout : la vie de famille, la sincérité et la vérité entre les paroles et les actes. J’étais portée à vérifier si c’était possible d’être aussi vrai et quand j’ai pu constater la véracité de cette vie, cela m’a amenée à m’engager à plein à tous points de vue, soit dans mon idéal apostolique et spirituellement. » ― Lucie Morrissette, Associée, 1971

Lucie Morrissette 4

Deux femmes sur une mobylette.
Archives Le Chaînon
Profondément portée par la joie de servir, bien préparée à cette œuvre sociale par son adolescence avec la JEC et la JOC, Lucie embrasse tous les aspects de cette vie communautaire. Pendant des années, elle s’occupera avec tendresse du service de l’Accueil aux fillettes, et prendra soin avec d’autres Associées des dizaines d’orphelines ou de filles retirées de leur famille, âgées de 7 à 17 ans, que l’organisme héberge à long terme. À ses débuts, voyant le manque de nourriture, Lucie se propose d’elle-même pour aller quêter des légumes, convaincue qu’elle peut tout apprendre. Partant à vélo avec Carmen, une des fillettes, munie de gros sacs de cuir, elle s’émeut de la réponse positive des cultivateurs. Heureuses de pouvoir fournir de bons produits frais aux enfants, les deux cueillent, jour après jour, dans les rangées de légumes qu’on leur indique.

L’équipe des Associées se dépasse constamment, telles des mamans comblant de jour et de nuit les besoins des résidantes. Afin de préserver un équilibre, les membres de l’équipe sont fortement incitées à s’astreindre à une journée de solitude par semaine. Ces moments servent à recharger leurs batteries, reposer leur corps et nourrir leur foi en la mission. Cette journée de silence sauve littéralement Lucie, car il lui arrive régulièrement, devant l’intensité de la tâche, d’être accablée par un état de stress aigu, alors nommé « température nerveuse ». De plus, bien que son premier objectif visât simplement à aider ceux et celles qui avaient besoin d’elle, Lucie découvre rapidement en elle un grand désir de développer sa vie intérieure. Sa consécration se nourrissant de la dépendance totale en la Divine Providence, les temps de silence, les prières quotidiennes et cette journée de recueillement hebdomadaire lui permettent de laisser le « Seigneur » entrer dans sa vie et de bien équilibrer sa vie active et passive.

Vingt années à la direction

« La qualité de l’accueil, c’est ce à quoi Yvonne Maisonneuve tenait peut-être le plus. Elle nous en reparlait presque tous les matins, aux petites conférences qu’elle nous donnait. » ― Lucie Morrissette, Associée

Lucie Morrissette

Une femme souriante portant des lunettes et un haut bleu avec des fleurs.
Archives Le Chaînon
Peu de temps après son arrivée, Lucie est remarquée pour son sens de l’organisation et son dévouement, et Yvonne Maisonneuve la place à ses côtés pour l’assister à la direction. Lors du départ de celle-ci, en 1965, toutes les Associées définitives prennent part à un vote secret pour nommer une remplaçante. Lors du décompte, le cardinal Paul-Émile Léger affirme que Lucie sera la nouvelle directrice, car elle est désignée à l’unanimité par ses pairs. Elle accepte d’endosser bénévolement, à 33 ans, et pour les 20 prochaines années, le poste de directrice générale. L’Associée Mary Trautman jouera un rôle important en devenant son bras droit dans cette tâche. Pierrette Angers sera elle gardienne du service aux dames hébergées.

« Quand on voit une femme arriver démolie, blessée par la vie, et qu’on la voit partir avec le sourire et tout le nécessaire pour se reconstruire une vie, c’est tout un salaire. » ― Lucie Morrissette, Associée

Étant totalement fidèle aux valeurs de l’œuvre et admirative de l’esprit qu’Yvonne Maisonneuve a su implanter, notamment accueillir les femmes comme si elles étaient leurs sœurs, Lucie relève avec brio le défi d’adapter l’organisme aux grands changements sociétaux. Sa réussite repose sur son don pour s’entourer d’une équipe brillante et solidaire qui mène à bien tous les aspects des services. De plus, elle délègue avec sagesse et s’appuie avec confiance sur celles et ceux qui travaillent autour d’elle. Elle et ses collaboratrices font preuve de vision, de souplesse et d’écoute afin de préserver l’essence du climat familial de la Maison d’accueil et d’un accueil malléable et personnalisé, car c’est l’organisme qui s’adapte aux besoins des personnes et non l’inverse, les difficultés des femmes prenant divers visages.

Tandis qu’au départ, Yvonne Maisonneuve hébergeait des mères célibataires, alors appelées « filles-mères », des enfants maltraités, des femmes sans ressources, la Maison accueille, sous la direction de Lucie, des femmes violentées, toxicomanes, souffrant d’extrême pauvreté ou de problèmes de santé mentale. De plus, à cause de la laïcisation des services sociaux, et notamment de l’arrivée de bénévoles et de salariés parmi l’équipe fondatrice des Associées, le nom d’« Institut Notre-Dame-de-la-Protection » n’avait plus de sens. C’est sous l’administration de Lucie qu’est adoptée, après de multiples propositions, l’appellation « Le Chaînon ».

L’engagement d’une vie

« La participation du public a fait que nous avons réussi notre mission et qu’elle se poursuit encore chaque jour. On ne peut pas arrêter, car ça continue Le Chaînon. » ― Lucie Morrissette, Associée

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Deux rangées de femmes, deux sont en fauteuils roulants, deux tiennent un cadre montrant une femme. Décorations de Noël.
Archives Le Chaînon
En 2023, à l’âge de 91 ans, Lucie maintient son engagement en offrant quelques heures par semaine au Chaînon. Ceux et celles qui la croisent ne cessent d’être touchés par la chaleur qu’elle dégage et d’être attendris par son sourire contagieux. Ses yeux pétillent de joie et démontrent qu’elle adore sa vie. Elle qui, depuis 70 ans, s’est dédiée sans jamais recevoir de salaire, est aujourd’hui richement entourée par sa famille, ses amis, le groupe des Associées et d’anciennes résidantes. Bien qu’ayant maintenant dépassé la soixantaine, certaines fillettes dont elle a pris soin avec amour et tendresse dans les années 1950 et 1960 continuent à communiquer avec celle qu’elles nomment toujours « tante Lucie » et à lui rendre visite. Celle-ci ressent fréquemment de la fierté en constatant le chemin que ces femmes ont parcouru et se considère « grand-mère » de leurs multiples enfants.