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L’Accueil aux fillettes, avant la protection de la jeunesse

20 février 2023

De 1947 à 1967, l’Institut Notre-Dame-de-la-Protection, ancêtre du Chaînon, a servi de foyer à de nombreuses fillettes et jeunes filles. Les Associées prenaient alors le rôle de maman.

L’Institut Notre-Dame-de-la-Protection, devenu Le Chaînon en 1978, a hébergé, de 1947 à 1967, de nombreuses jeunes filles âgées en moyenne de 7 à 17 ans. Le service de l’Accueil aux fillettes était géré par des femmes dévouées et engagées qui remplissaient un rôle maternel auprès de ces fillettes en les éduquant, les nourrissant, les consolant et les guidant le mieux possible vers un avenir plus réjouissant.

Avant la Direction de la protection de la jeunesse

Chaînon - article 4

Une fillette assise dans un escalier, tête penchée vers l’avant, coudes sur les genoux et mains devant les yeux. Devant elle, une femme est assise plus bas, regard tourné vers l’enfant et main posée sur les genoux de la fillette.
Archives Le Chaînon
Pendant la majeure partie du XXe siècle, lorsqu’un enfant québécois souffrait de maltraitance, négligence, abus physiques ou sexuels, abandon ou troubles graves de comportement, aucune loi officielle ne le protégeait. En 1944, une loi pour la jeunesse est instaurée par le gouvernement d’Adélard Godbout sans jamais être appliquée et, en 1951, une loi permet qu’un jeune exposé à des dangers physiques et moraux soit mené devant un juge de la Cour du bien-être social. Il faudra toutefois attendre 1979 pour voir l’entrée en vigueur de la Loi sur la protection de la jeunesse, qui octroie le pouvoir à un directeur de la protection de la jeunesse d’intervenir quand les parents sont inaptes à protéger leur enfant. Cette loi exceptionnelle donne aux enfants le statut de sujet, et il n’est alors plus question de décider pour eux sans les consulter comme cela se faisait auparavant.

« J’en revois encore de ces filles qui avaient de gros problèmes. Mais à l’époque, même si on le sentait, on n’en parlait pas. Pour nous qui étions si choyés à la maison, même si nos parents n’étaient pas très riches, c’était tout un continent à découvrir. Celui de la misère, de la tristesse. C’est peut-être d’ailleurs parce que j’ai tant reçu, enfant, que j’ai été appelée à donner. » — Monique Bérubé, Associée, Le Chaînon : La maison de Montréal, 1998

C’est donc dans les décennies où très peu de ressources existaient pour les enfants pauvres, abandonnés ou dont l’inconduite des parents les exposait à divers dangers que l’Institut Notre-Dame-de-la-Protection élargit ses services pour offrir, de 1947 à 1967, un toit sécuritaire et permanent à des fillettes âgées en moyenne de 7 à 17 ans. L’accueil au sein de l’organisme est dicté par les besoins des protégées et par beaucoup de souplesse à leur égard, il arrive donc que des fillettes plus jeunes soient recueillies et que les jeunes filles ne se sentant pas prêtes à quitter l’institut à 17 ans continuent à y être hébergées.

Des fillettes exposées au danger

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Une femme habillée avec un manteau et un chapeau d’hiver tient, de chaque main, une fillette. Elles sont devant une porte d’entrée.
Archives Le Chaînon
L’objectif de ce service était de mettre les fillettes à l’abri en prenant le rôle que les mères et les pères n’étaient plus en mesure d’assurer. Les archives regorgent de cas troublants : des fillettes étaient maltraitées à cause de l’alcoolisme d’un parent, certaines étaient témoins de compagnonnages douteux et de scènes scandaleuses, alors que d’autres devaient se débrouiller seules, manquant du strict nécessaire et traînant avec des groupes d’amis peu sûrs.

La majorité des fillettes sont recommandées par des agents de probation de la Cour juvénile. Mais parfois, ce sont les Associées qui persuadent la mère de placer son enfant ou bien c’est la mère qui, inquiète ou au bout de ses ressources, demande à la Maison d’accueil d’héberger sa fille. Autour d’une soixantaine de fillettes vivaient quotidiennement à l’organisme alors que des centaines attendaient qu’une place se libère. La Maison d’accueil proposait un service temporaire pour les enfants qui avaient besoin d’un endroit le temps de refaire leurs forces ou, sinon, l’organisme abritait définitivement les fillettes, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’elles soient en mesure d’assurer leur existence d’une façon convenable, matériellement et moralement.

L’esprit d’une vie familiale

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Plusieurs fillettes mangent à trois différentes tables. Une femme les accompagne.
Archives Le Chaînon
Le principal atout de l’œuvre est de fournir un foyer de remplacement à l’atmosphère familiale. Yvonne Maisonneuve et les Associées catholiques s’investissent de tout cœur pour reproduire le réconfort d’un foyer familial. Elles assument le rôle de « maman » et offrent soins et éducation, recueillent les confidences et prodiguent de l’affection. Elles sont, comme il se disait dans les années 1950 et 1960, à la fois servantes, garde-malades, éducatrices, auxiliaires sociales et cuisinières. Quelques Associées créent un lien plus profond et sont appelées « ma tante » par les fillettes alors que les autres sont nommées « mademoiselle ».

Lorsque les fillettes, inscrites dans différentes écoles de la Commission scolaire, partent pour les classes, les Associées les embrassent et s’assurent de créer un lien affectif avec chacune d’entre elles. Les jeunes filles plus âgées vont à des écoles commerciales ou d’arts et métiers. Au retour à la Maison d’accueil, toutes accomplissent leurs devoirs sous la supervision des Associées qui les aident dans leurs travaux scolaires.

De plus, pour créer une véritable ambiance familiale, les loisirs sont tout aussi importants que l’hygiène, une alimentation suffisante, des habitudes de vie régulières, la sécurité et le contentement apporté par l’environnement physique et moral. On s’efforce de répandre la joie et d’alléger les rigueurs du quotidien de toutes les façons possibles : rire lors des repas, célébration des anniversaires, périodes de jeu, de chant et de musique. Les jeunes filles qui connaissent le piano sont invitées à s’installer au clavier, tandis que Monique joue de son accordéon et que les autres Associées agrémentent l’ambiance en jouant d’un instrument de musique ou en chantant avec les enfants.

Lieux de vie

Chaînon - article 4 photo 4

Des fillettes sont dehors et rient, elles sont en position de départ pour courir. Devant elle, une femme en fauteuil roulant.
Archives Le Chaînon
L’œuvre Notre-Dame-de-la-Protection, fonctionnant sur la foi en la Providence, reçoit, grâce à la générosité du public, de nombreux dons de vêtements. Afin que les fillettes expérimentent une certaine normalité, le choix des tenues vise à ce qu’elles soient comparables à l’habillement des autres jeunes du quartier malgré la tâche supplémentaire en nettoyage et lavage que requièrent des vêtements colorés et plus salissants. À la Maison d’accueil, un vestiaire rempli de vêtements permet aux fillettes de choisir le style qu’elles apprécient. Des bénévoles s’impliquent pour trouver les habits qui pourront leur faire plaisir. Le seul uniforme qui peut être exigé est celui de certaines écoles mais, à la Maison, l’habillement est au choix des fillettes. Ceci est réalisable grâce aux nombreuses bienfaitrices bénévoles qui entretiennent toutes les semaines les vêtements des fillettes en reprisant les bas, repassant les blouses et raccommodant les vêtements.

Les premières années de l’Accueil aux fillettes sont inconfortables par manque d’espace. Les jeunes filles vivent à l’étroit à la Maison d’accueil située dans la rue De La Gauchetière et elles doivent cohabiter avec des protégées plus âgées parfois prises avec de graves problèmes. Il n’y a pas d’endroit propre à la récréation et, faute de mieux, les corridors servent de salle de jeu et de salle d’étude. Malgré tous les efforts des Associées pour rendre l’environnement agréable et adéquat, les locaux sont trop étroits, peu appropriés et mal aménagés.

L’école en ville, les vacances à la campagne

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Plusieurs fillettes sont debout dans le salon, au pied d’un escalier et devant un piano. Décoration de Noël.
Archives Le Chaînon
Le cardinal Paul-Émile Léger connu, entre autres, pour ses gestes de solidarité et ses œuvres de charité est très proche de l’Institut Notre-Dame-de-la-Protection. Il est perçu comme un genre de « père » pour les fillettes, car il lui arrive fréquemment de venir les saluer et de leur apporter des bonbons ou du chocolat. C’est pourquoi, en 1956, il inclut la Maison d’accueil au nombre des six œuvres qui bénéficieront de sa Grande’Corvée. Vaste croisade de charité, cette campagne invite les souscripteurs à être généreux pour les personnes démunies et recueille annuellement des millions de dollars.

De cette Grande’Corvée découle l’octroi de deux maisons et d’un camion pour transporter les fillettes. La maison principale, située plus au nord que la maison-mère, au 6895, rue Boyer, au coin de la rue Bélanger, est localisée dans un environnement plus vert et sécuritaire. Elle offre aux jeunes un espace pour jouer dehors et permet aux jeunes filles de vivre dans une maison uniquement pour elles et les Associées. Puis une maison de vacances située à Sainte-Rose permet aux fillettes de fuir l’étouffement des chaleurs de la ville lors du congé scolaire en été. Cette maison remplace avantageusement les deux camps d’été précédents, à Sainte-Scolastique et à Saint-Basile. Yvonne Maisonneuve avait toujours déployé maints efforts pour que les fillettes puissent courir à cœur joie, se baigner et respirer l’air pur des paysages verdoyants lors des vacances scolaires. La Maison Sainte-Rose permet d’accueillir 70 fillettes. Toutes les fillettes de l’organisme sont du lot, sauf les quelques rares qui passent les vacances dans leur famille, et les places restantes sont offertes à des fillettes pauvres du bas de la ville.

L’attachement et les liens familiaux

« J’ai gardé des liens étroits avec plusieurs fillettes de l’époque et je me sens vraiment mère et plusieurs fois grand-mère! » — Lucie Morrissette, Associée, Le Chaînon : La maison de Montréal, 1998

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Sept femmes sont assises ou debout devant une table avec nappe et couverts. Elles sont accompagnées de deux hommes et de neuf enfants.
Archives Le Chaînon
L’accueil inconditionnel de la Maison, le dévouement des Associées ainsi que les longs séjours des fillettes favorisent l’attachement entre elles et ces mères de substitution, des conditions essentielles au développement de la confiance en soi et au sentiment de sécurité. De plus, afin de préserver les liens familiaux, lorsque la relation est viable ou qu’aucune interdiction n’a été établie par la Cour, un parloir permet aux fillettes de recevoir leurs parents le dimanche. Aux Fêtes, ce sont les familles complètes qui sont invitées à venir assister à la messe de Noël à la chapelle de la Maison d’accueil et à célébrer le réveillon auprès de leur enfant. Pour cet événement, la Maison est décorée et le pied de l’arbre de Noël déborde de cadeaux soigneusement emballés et impressionne vivement les enfants et les invités. Un cadeau attend chaque fillette, l’intention est qu’elles sachent combien elles sont importantes et qu’elles puissent bénéficier de célébrations comme les enfants plus choyés.

Lorsque les jeunes filles quittent la Maison d’accueil, l’attachement perdure. Elles sont invitées, si elles le souhaitent, à participer à certains loisirs, à des conférences, à des cours pratiques et à des retraites. Les Associées maintiennent le contact par l’envoi de cartes de souhaits, par des appels téléphoniques, et les jeunes filles reviennent festoyer et discuter avec elles. Parfois, les anciennes fréquentent la Maison, accompagnées de leur mari et de leurs enfants. Quelques-unes des Associées jouent le rôle de grand-mère auprès des enfants de leurs anciennes protégées. Encore à ce jour, certains liens profonds se maintiennent, depuis plus de 60 ans.

Pendant 20 ans, l’Accueil aux fillettes de l’Institut Notre-Dame-de-la-Protection aura permis à des centaines de jeunes filles de bénéficier d’un refuge stable, empli d’amour et de sécurité, le tout assuré par le dévouement des Associées. En 1967, le service de l’Accueil aux fillettes et les Maisons sont transférés aux religieuses du Bon-Pasteur.

L’élaboration de cet article a bénéficié du soutien du Laboratoire d’histoire et de patrimoine de Montréal de l’Université du Québec à Montréal, notamment grâce à l’expertise de l’historien Martin Petitclerc. Merci à Sylvie Bourbonnière, directrice générale de La Fondation Le Chaînon, pour sa relecture, de même qu’à Lucie Morrissette, Fernande Themens et Jeannine Gagné.

Références bibliographiques

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Dans une pièce où des vêtements sont suspendus, deux femmes reprisent des bas à une table; cinq femmes sont debout, quatre repassent, une s’est tournée vers sa voisine; une femme est assise dans le fond.
Archives Le Chaînon

Archives

Les archives de l’Association d’entraide Le Chaînon.

Monographies

BAILLARGEON, Denyse. Brève histoire des femmes au Québec, Montréal, Boréal, 2012, 288 p. 

BAILLARGEON, Denyse. « Pratiques et modèles sexuels féminins au XXe siècle jusqu’à l’avènement de la pilule », Une histoire des sexualités au Québec, Jean-Philippe Warren (dir.), Montréal, VLB éditeur, 2012, p. 17-31.

BIZIER, Hélène-Andrée. Une histoire des Québécoises en photos, Montréal, Fides, 2006, 319 p.

HALPERN, Sylvie. Le Chaînon : La maison de Montréal, Montréal, Stanké, 1998, 238 p.

LÉVESQUE, Andrée. Résistance et transgression, Montréal, Remue-Ménage, 1995, 157 p.