L'encyclopédie est le site du MEM - Centre des mémoires montréalaises

Ces gens qui ont creusé le canal

20 janvier 2016

Au XIXe siècle, aucun canal ou chemin de fer nord-américain ne se bâtit sans manœuvres irlandais. Pourtant, en 1843, 1300 ouvriers irlandais lancent une des premières grèves de l’histoire du Canada.

Canal de Lachine - grève des ouvriers

Photographie d'une gravure montrant la grève des ouvriers du canal Lachine.
Grève des ouvriers du canal Lachine: [avant le 10 janvier 1878]. - Reproduction le 13 janvier 1966, Archives de la Ville de Montréal, VM094-Y-1-17-D1568.
Les Irlandais qui affluent au Canada dans la décennie 1840 sont pour la plupart des paysans sans le sou, chassés de leur pays par la maladie qui frappe la pomme de terre et par la politique de concentration foncière que mènent leurs propriétaires britanniques. Sans capital ni qualification, ils ne peuvent prétendre qu’à des emplois de manœuvres pour lesquels ils sont réputés « durs à l’ouvrage »; en Amérique du Nord, aucun canal ou chemin de fer ne se bâtit sans eux. Pourtant, le 24 janvier 1843, les 1300 ouvriers irlandais qui travaillent à l’élargissement du canal de Lachine décident unanimement de débrayer. Quelles peuvent bien être les raisons qui les amènent à se lancer dans ce que l’on considère comme l’une des premières grèves de l’histoire du Canada?

Il faut d’abord se représenter le gigantisme du chantier du canal : 1300 travailleurs, c’est à l’époque 2,5 % de la population de la ville entière. Pourrions-nous imaginer aujourd’hui un projet de construction qui emploierait plus de 40 000 personnes et qui se déroulerait sans anicroche ni conflit de travail?

Des conditions de travail déplorables

Canal de Lachine - agrandissement vers 1877 (2)

Illustration représentant l’agrandissement du canal Lachine dans les années 1870.
Lachine canal enlargement. Work at the St. Gabriel Locks, under Messrs. Loss & McRae, tiré d’une photographie de Henderson, Canadian Illustrated News, vol. XVI, no 22, 1er décembre 1877, p. 344-345.
De plus, c’est la première fois que l’on procède à ce type de travaux durant la mauvaise saison, car on ne veut surtout pas nuire aux opérations du canal durant l’été. On travaille donc l’hiver, et comme on ne dispose pour tout explosif que de poudre noire dont l’usage se révèle pour le moins périlleux, l’essentiel du creusage se fait au pic et à la pelle, alors que la terre est gelée en profondeur...

En retour de ses 12 heures de dur labeur quotidien, le manœuvre irlandais s’attend à recevoir un salaire de 3,5 shillings. Mais voilà que l’entrepreneur, Henry Mason, décide de n’offrir que deux shillings qu’il versera, par surcroît, non pas en argent comptant, mais plutôt sous la forme de bons ou de notes de crédit échangeables au magasin d’alimentation qu’il met obligeamment à la disposition de ses employés!

Maison ouvrière dans Griffintown en 1903 (coin Barré et Aqueduc)

Maison de bois typique d’un milieu populaire. Au début du XXe siècle, la rue Barré se situe dans le Griffintown, quartier alors constitué de nombreux ouvriers d’origine irlandaise.
1903, Houses for Mr. Meredith, corner of Barré and Aqueduct Streets, Montreal, QC, 1903, par Wm. Notman & Son, Musée McCord, II-146722.
Déjà assujettis à des conditions de logement lamentables — les ouvriers et leurs familles s’entassent à 10 ou à 12 dans des shanties ou baraques de bois faisant moins de 15 m2 — les travailleurs irlandais se révoltent et amorcent un long conflit. Ils n’y gagneront finalement pas grand chose, si ce n’est l’abolition du système des notes de crédit que toutes les bonnes âmes de l’époque s’accordent à qualifier d’exploitation éhontée.

Cet article est paru dans le numéro 6 du bulletin imprimé Montréal Clic, publié par le Centre d’histoire de 1991 à 2008. Il a été écrit par le Lieu historique national du Canal-de-Lachine (Parcs Canada).