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Au lendemain de la Conquête, des marchands britanniques se frottent les mains!

11 avril 2018
Johanne BéliveauJohanne Béliveau
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Alors qu’en 1760, le Canada bascule dans l’univers colonial anglais d’Amérique, plusieurs marchands britanniques voient Montréal comme un lieu d’affaires prometteur!

Vue de Montréal 1760

Gravure montrant une vue sur Montréal à partir du fleuve avec navires à l’avant-plan et la montagne à l’arrière-plan
BAnQ Vieux-Montréal. Collection initiale. P318,S4,P9.
Au moment de la Conquête (1760), environ 5000 personnes vivent à l’intérieur des fortifications de Montréal et dans les faubourgs. La guerre a peu affecté la ville. Pour « monsieur et madame tout le monde », la vie continue. Ce sont davantage les élites, notamment les marchands canadiens, qui sont ébranlées par la prise de pouvoir britannique. De nouveaux concurrents venus de la Grande-Bretagne et de ses Treize Colonies font leur entrée en scène montréalaise.

Au confluent d’importantes voies fluviales, au cœur du commerce des fourrures, la cité a de quoi séduire les hommes d’affaires. Au lendemain de la guerre de Sept Ans, environ 50 protestants de Montréal sont désignés comme marchands. D’autres suivront, notamment avec l’augmentation des tensions entre l’Angleterre et ses Treize colonies. Ce sont Simon McTavish, James McGill, John Molson, les frères Frobisher, pour ne nommer que ceux-là, qui immigrent alors en sol montréalais.

S’installer en terre conquise

Plan Montréal vers 1760

Copie d'un plan montrant Montréal vers 1760
Archives de la Ville de Montréal. CA M001 VM066-2-P002.
Ces immigrants britanniques ont tôt fait de prendre les devants de la scène commerciale, au détriment des marchands canadiens établis depuis plusieurs années. Au XXe siècle, de nombreux débats ont cours chez les historiens au sujet de la rapide supériorité économique des anglophones. Est-ce que les Britanniques auraient un esprit d’entreprise plus ambitieux que les Canadiens? Pour plusieurs auteurs, comme José Igartua, il s’agirait plutôt d’une série de facteurs qui fragilise le noyau de marchands traditionnels montréalais. Ces derniers sont, à la suite de la guerre, affaiblis par une longue période d’instabilité et doivent se forger de nouveaux réseaux de contacts. Pour les marchands de fourrure, les bases du système de traite sont ébranlées. Autrefois régi et limité par la distribution d’un certain nombre de permis, le commerce est, dans les débuts du Régime anglais, ouvert à la libre concurrence.

De leur côté, les marchands britanniques arrivent en terre conquise. Ils usent de leur influence pour établir des règles économiques et politiques qui sont à leur avantage. Ils détiennent les contacts avec les gouvernants et les militaires qui leur garantissent l’accès aux différents marchés. Ils tirent également profit des départs de plusieurs membres de l’élite française en achetant des biens et des propriétés au rabais. Les commerçants de l’import-export profitent aussi du changement de métropole. Les biens autrefois importés de la France, comme certains articles ménagers, sont désormais de fabrication britannique, pendant que des matières premières (sucre, tabac, etc.) arrivent des colonies antillaises anglaises.

Faire ses preuves

Joseph Frobisher

Peinture représentant Joseph Frobisher
Musée McCord. M393
Malgré le contexte favorable de leur arrivée, ces commerçants doivent relever plusieurs défis pour faire leurs preuves comme acteurs économiques montréalais. Pour ceux qui se lancent dans la traite des fourrures, avoir de bons contacts avec les Canadiens, connaisseurs des réseaux d’échanges, est primordial. Pour ces nouveaux arrivants britanniques, ceci implique de savoir parler le français et de créer des liens d’affaires durables. Quelques-uns épousent des Canadiennes, comme Simon McTavish qui s’unit à Marie-Marguerite Chaboillez, fille d’un négociant de fourrure, ou encore James McGill qui épouse la veuve Charlotte Trottier Desrivières, née Guillimin, en 1776.

La féroce concurrence entraine l’abandon de plusieurs joueurs, pendant que d’autres gravissent les échelons de la bourgeoisie montréalaise. Dans l’import-export, John Dunlop fait sa réputation avec son rhum et ses whiskies venus d’Écosse, son pays natal. L’Anglais John Molson construit, pour sa part, un empire familial brassicole. Du côté des fourrures, quelques marchands, dont McTavish et Joseph Frobisher, s’associent pour fonder la Compagnie du Nord-Ouest (1776). Elle devient, au début du XIXe siècle, la principale rivale de la Compagnie de la Baie d’Hudson jusqu’à leur fusion en 1821.

Des hommes d’influence

Buste George III

Buste du roi George III
Musée McCord. M15885.
Dès leur arrivée en sol montréalais, ces puissants marchands cherchent à asseoir leur autorité. La Proclamation royale de 1763 leur donne beau jeu : seuls les hommes de confession protestante ou huguenote sont admis aux postes administratifs. En guise de symbole du pouvoir britannique, les gens d’affaires font venir de Grande-Bretagne une sculpture de George III qu’ils érigent au cœur de la place d’Armes, en face de l’église Notre-Dame.

L’Acte de Québec (1774) vient changer la donne : les catholiques ont dès lors accès aux postes administratifs, la liberté de culte est affirmée et le droit civil français est maintenu. L’élite canadienne est désormais sur un pied d’égalité politique avec les Britanniques. Malgré certaines tensions, les bourgeoisies francophone et anglophone s’unissent pour réclamer une instance élue. L’Acte constitutionnel de 1791 leur donne en partie gain de cause. Il sépare le Haut du Bas-Canada et instaure des Chambres d’assemblée consultative. Après les premières élections (1792), la bourgeoisie commerciale, qu’elle soit britannique ou canadienne, domine aux deux tiers la Chambre. Dans l’est de Montréal, John Frobisher, marchand de fourrures, et John Richardson, homme d’affaires, sont élus, pendant que James McGill remporte dans l’ouest.

Entre les murs de Montréal

1896_maisonmctavish_mccord_mp-0000.228.1.jpg

Photo noir et blanc montrant une maison sur la rue Saint-Jean-Baptiste
Musée McCord. MP-0000.228.1.
À l’époque de l’arrivée des marchands britanniques, les fortifications de Montréal sont toujours debout. Elles entourent les activités commerciales et la bourgeoisie montréalaise, tandis que les artisans, journaliers et autres travailleurs se dirigent vers les faubourgs environnants. Les nouveaux arrivants anglophones dressent leurs marques dans le paysage en érigeant ou en modifiant des maisons. Ils choisissent généralement de respecter le modèle traditionnel français des demeures de pierres, mais leur donnent plus d’envergure. Ils changent aussi la disposition des usages. Pendant que les marchands canadiens entreposent leurs marchandises dans leur cave, les Britanniques construisent des entrepôts dans leur cour ou à côté de leur maison. Vous pouvez encore admirer certaines de ces résidences, dont celle de Simon McTavish située au 411-425, rue Saint-Jean-Baptiste dans le Vieux-Montréal et celle de l’Anglais Edward William Gray dans la rue Saint-Vincent.

Références bibliographiques

IGARTUA, José E. « A Change in Climate: The Conquest and the Marchands of Montreal », [En ligne], Historical Papers / Communications historiques, vol. 9, n° 1, 1974, p. 115-134.
http://id.erudit.org/iderudit/030779ar

LAMBERT, Phyllis (dir.), et Alan STEWART (dir.). Montréal, ville fortifiée au XVIIIe siècle, Centre Canadien d’Architecture (CCA), 93 p.

VIAU, Roland. « Cohabiter avec l’autre : Canadiens et Britanniques avant 1800 », dans FOUGÈRES, Dany (dir.) et autres, Histoire de Montréal et sa région, Les Presses de l’Université Laval, 2012, p. 243-244.