L’église Saint-Enfant-Jésus du Mile-End est exceptionnelle à plusieurs titres : son architecture, sa décoration, sa qualité de témoin de l’urbanisation et de l’emprise de l’Église sur la société.
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L’église sera érigée sur des terrains donnés par la famille Beaubien qui possède de vastes propriétés dans l’est de l’actuel Mile End. Peu propice à l’agriculture, ce territoire est criblé de marécages et de carrières dont est extraite la pierre calcaire qui alimente la construction de Montréal alors en pleine expansion. Pierre Beaubien (1796-1881), médecin de profession, est animé d’une vision à long terme pour le développement du patrimoine familial. Il comprend que la ville va croître en direction du nord, le long de ce qui est alors le chemin Saint-Laurent, un axe de communication nord-sud déjà très important, et il détecte là une occasion de valoriser ses terres. Mais, comme la concrétisation de cette vision semble improbable à court terme, le docteur va devoir un peu forcer le destin et, pour cela, il trouve un précieux allié en la personne de l’évêque.
Une nouvelle paroisse pour un futur village
Mile End 1886
Monseigneur Bourget crée des dessertes dépendant de la paroisse Notre-Dame pour servir les populations installées dans les villages autour de Montréal. En avril 1848, Pierre Beaubien annonce qu’il va faire don au diocèse d’un terrain où l’on prévoit d’ériger une nouvelle église. À l’automne 1849, sur ce terrain, à l’actuel coin sud-est des voies Laurier et Saint-Dominique, monseigneur Bourget fait d’abord construire un édifice en pierre grise pour accueillir l’Institution des Sourds-Muets. La bâtisse héberge aussi l’école du village de Côte-Saint-Louis et une chapelle pour les offices religieux en attendant la construction d’une église digne de ce nom.
Le nouvel édifice se trouve au milieu de nulle part, battu par les vents, entouré de carrières. Certes, le curé s’est rapproché de ses ouailles, mais la chapelle et l’école sont encore loin des villageois qu’elles servent. Car le gros du village de Côte-Saint-Louis est alors situé plus à l’est, près de l’intersection des actuelles voies Laurier et Berri.
Église Saint-Enfant-Jésus - première église
Sur le plan immobilier, Pierre Beaubien finit par gagner son pari. Ce qui n’était qu’un noyau paroissial excentré du cœur du village de Côte-Saint-Louis s’est transformé au fil des années en un véritable village revendiquant sa propre identité et son autonomie. En 1878, l’ouest de Côte-Saint-Louis fait sécession et un nouveau village est créé, Saint-Louis-du-Mile-End. Le village prospère et, en 1895, il obtient le statut de ville et devient la ville de Saint-Louis (annexée en 1910 par Montréal). Cette ville nourrit de grandes ambitions et souhaite se doter d’une église digne du statut de banlieue bourgeoise et moderne auquel elle aspire. On décide d’agrandir l’église et de la doter d’une nouvelle façade.
Une église majestueuse et richement ornée
Parc Lahaie 1898
La décoration intérieure de l’église est, elle aussi, exceptionnelle. Les vitraux sont signés Delphis-Adolphe Beaulieu (en 1916), et une partie de la décoration intérieure est confiée à un des plus célèbres peintres québécois, Ozias Leduc. On lui doit les quatre toiles entourant la coupole ainsi que les décorations de la chapelle du Sacré-Cœur qui rendent hommage aux travailleurs des carrières et cultivateurs à l’origine du village de Saint-Louis-du-Mile-End (les œuvres sont réalisées entre 1917 et 1919). Les toiles du chœur, de la voûte et du transept sont de la main du peintre Louis Saint-Hilaire.
Bien que l’église Saint-Enfant-Jésus du Mile-End soit un témoin remarquable du développement des paroisses du Plateau-Mont-Royal et que de grands artistes québécois aient contribué à en faire une église unique dans le paysage architectural québécois, le Conseil du patrimoine religieux du Québec ne lui a reconnu que la cote C pour sa valeur patrimoniale sur une échelle de A à F. Ceci s’explique par des travaux de rénovation malheureux qui ont altéré l’intégrité de l’église : les décorations de la chapelle du Sacré-Cœur réalisées par Ozias Leduc ont été irréversiblement endommagées par des restaurations maladroites et, après l’affaissement du plancher en 1963 lors d’une cérémonie de confirmation, l’église a été modernisée et dépouillée d’une grande partie de sa décoration intérieure.
Cet article est un extrait du texte Église Saint-Enfant-Jésus, rédigé par Christine Richard en 2016 et disponible sur le site Internet de Mémoire du Mile End.
BERNIER, Jacques. « Beaubien, Pierre », [En ligne], Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003. (Consulté le 17 août 2016).
http://www.biographi.ca/fr/bio/beaubien_pierre_11F.html
DESJARDINS, Yves. Histoire du Mile End, Québec, Septentrion, 2017, 355 p.
Paroisse Saint-Enfant-Jésus du Mile-End et Société d’histoire du Plateau-Mont-Royal, Saint-Enfant-Jésus du Mile-End : église mère du Plateau mont-Royal, juin 2015. [Dépliant de visite disponible à l’entrée de l’église]
ROBERT, Jean-Claude. « Catholicisme et urbanisation au Canada français, 19e et 20e siècle », dans AUDRÈRE, Philippe (dir.), Pour une histoire sociale des villes, Presses Universitaires de Rennes, 2006.