L'encyclopédie est le site du MEM - Centre des mémoires montréalaises

L’église Sainte-Anne et les Irlandais catholiques de Griffintown

02 juin 2017

Au coin des rues Basin et de la Montagne se trouve un parc où gisent des vestiges de pierre. Ce sont les traces d’un lieu emblématique pour les Irlando-Catholiques de Montréal, l’église Sainte-Anne.

Lieu : Au coin des rues Basin et de la Montagne

1854 : Ouverture de l'église Sainte-Anne

Église Sainte-Anne

Vestiges de l’église Sainte-Anne en 2016.
Photo de Denis-Carl Robidoux, Centre d'histoire de Montréal.

Au XXIe siècle, à Montréal, il est difficile de repérer un secteur de la ville où se concentrerait une population d’origine irlandaise. Cette présence irlandaise marque pourtant l’imaginaire populaire avec ses représentations traditionnelles, telles que le défilé de la Saint-Patrick ou les nombreux pubs de la métropole. Au-delà de ces symboles contemporains, l’histoire de Montréal porte l’expression d’une culture irlandaise unique qui se manifeste dès le XIXe siècle, et ce, dans plusieurs secteurs de la ville, notamment dans le quartier Sainte-Anne, à Griffintown.

Griffintown rassemble alors une population ouvrière qui compte une importante communauté irlandaise catholique. Ce groupe prend une telle ampleur au cours du XIXe siècle qu’il développe un réseau d’institutions et d’activités qui gravitent principalement autour d’un lieu, l’église Sainte-Anne.

Les Irlando-Catholiques de Montréal

Vue de Montréal 1859

Vue de Montréal en direction nord-ouest depuis la tour de l'église Notre-Dame.
William Notman (1826-1891). Musée McCord. N-0000.193.122.1.
Contrairement au reste du Canada, les immigrants irlandais qui s’installent au Québec sont majoritairement catholiques. Avec les Canadiens français, ces Irlandais partagent la religion, le statut économique et un milieu de vie ouvrier. Avec les anglophones, ils partagent une langue. À cheval entre les deux principaux groupes du Montréal du XIXsiècle, les Irlandais cherchent à exprimer leur identité culturelle par, entre autres, des institutions qui leur sont propres.

Les Irlandais commencent à arriver massivement à Montréal à partir de 1815 et, déjà, ils réclament un lieu de culte qu’ils n’auraient pas à partager avec les francophones. À la suite des pressions de groupes influents, l’église Saint-Patrick est ouverte en 1847, rue Dorchester (actuel boulevard René-Lévesque). Située en contre-haut des quartiers résidentiels du sud-ouest, l’église est surnommée « the church on the hill » [« l’église sur la colline »].

Église Sainte-Anne

L’église Sainte-Anne est située au cœur de Griffintown, un quartier en bordure du canal de Lachine où se voisinent industries et maisons ouvrières.
William Notman & Son. Musée McCord. VIEW-2942.
La même année, Montréal est la terre d’accueil de milliers d’Irlandais qui fuient la Grande Famine d’Irlande. Ces familles démunies envahissent les quartiers ouvriers, principalement Griffintown qui est reconnu pour ses loyers modiques et la disponibilité des emplois pour les travailleurs non qualifiés.

L’Église catholique, avec l’Église Saint-Patrick en tête, coordonne l’aide déployée pour les nouveaux arrivants irlandais, mais peine à répondre aux besoins des secteurs du sud-ouest. Bientôt, une mission jésuite est envoyée dans Griffintown, et un terrain est attribué à la construction d’une nouvelle église. L’église Sainte-Anne est ouverte en 1854, sous les offices des Sulpiciens. En 1884, elle passe aux mains des Frères rédemptoristes belges.

L’église Sainte-Anne

Église Sainte-Anne

Église Sainte-Anne au coin des rues McCord, Smith et Square Gallery.
Albums Massicotte. BAnQ Vieux-Montréal. MAS 3-2-b.
Durant les premières années d’activité de l’église Sainte-Anne, les services sont offerts aux francophones et aux anglophones catholiques du secteur. Comme en témoigne le père Dowd, farouche partisan d’une église propre aux Irlandais, l’expérience achoppe rapidement : « After much bad feeling had been created, acts of violence committed at the very doors of the church, and even open scandal given within its sacred walls. » [« Après qu’on a suscité un sentiment vraiment mauvais, que des actes de violence ont été commis jusqu’aux portes de l’église et que de véritables scandales ont même eu lieu à l’intérieur de ses murs sacrés. »] D’ailleurs, les Irlandais catholiques de Griffintown s’approprient progressivement le secteur de l’église Sainte-Anne, occupant les rues Basin et McCord (actuelle rue de la Montagne), ainsi que les trois pâtés de maisons à l’est, jusqu’à la rue Prince, entre Wellington et William. En 1884, l’église sert entre 1300 et 1600 familles irlandaises.

Griffintown - démolition église Sainte-Anne

Photographie d'une paroi de l'église en démolition; des débris ornent le sol.
Mur latéral de l'église Sainte-Anne durant la démolition, Pointe-Saint-Charles, Montréal, QC, 1970, par David Wallace Marvin, Musée McCord, MP-1978.186.2482.

Durant la seconde moitié du XIXe et le début du XXe siècle, l’église Sainte-Anne est au cœur de la communauté irlandaise catholique de Griffintown. Avec l’appui du clergé, les paroissiens mettent sur pied une variété d’associations de bienfaisance pour lesquelles ils s’impliquent activement. L’Ordre des forestiers catholiques de Sainte-Anne, la société des Dames de Sainte-Anne ou la Société de tempérance absolue sont autant d’organisations où femmes et hommes irlandais se réunissent. Des écoles, comme l’Académie Sainte-Anne pour filles (1857), s’occupent de l’éducation des jeunes irlandaises catholiques. Ces institutions révèlent non seulement une forte identité religieuse, mais aussi l’occasion d’exprimer la culture irlandaise à travers la vie paroissiale par, entre autres, la présentation de pièces de théâtre traditionnelles.

À partir du milieu du XXe siècle, le sud-ouest de Montréal connaît un processus de désindustrialisation qui s’intensifie dans les années 1960. Les Irlandais de deuxième et de troisième génération quittent Griffintown pour se fondre dans la métropole. En 1970, le secteur est à l’abandon et l’église Sainte-Anne est détruite. Depuis les années 1990, la communauté irlandaise catholique de Montréal organise des évènements commémoratifs pour rappeler, qu’un jour, ce petit parc et ces quelques vestiges ont vibré au rythme de leur communauté.

Les bonnes actions de l’Église Sainte-Anne

En 1902, des paroissiens adressent une lettre à l’ordre des Rédemptoristes dans laquelle ils décrivent le travail réalisé dans les années précédentes. Cet extrait témoigne non seulement de l’importante activité paroissiale, mais aussi de l’omniprésence de l’Église Sainte-Anne dans le quotidien des résidants irlandais :

Sunday liquor traffic was suppressed; and keepers of houses of prostitution were made ta understand that St Ann’s parish was no refuge for their infamous trade. Annual bazaars were instituted, the proceeds of which, arnounting ta thousand of dollars, were devoted to the alleviation of the misery of the poor during our long and severe winters. The standard of education was raised; work provided for our unemployed; the spirit of a laudable ambition was instilled into the hearts of our young men, sa that they might take their place among those of other creeds and other nationalities, which position, unfortunately, they had not previously occupied. Young girls’ schools were fostered with a paternal love; the after careers of the pupils were carefully guarded; they were enrolled in sodalities of ‘Our Lady of Perpetuai Help’; the ‘Sacred Heart’, and the ‘Children of Mary’, where they were instructed in the moral and social virtues of Catholic young women, and by which they were enabled ta resist those temptations in life to which they were exposed, more particularly in a large city.

[La circulation des boissons alcoolisées était bannie le dimanche, et on a fait comprendre aux patrons des maisons de prostitution que leur infâme commerce n’était pas le bienvenu dans la paroisse Sainte-Anne. Des ventes de charité annuelles ont été ouvertes, dont les recettes, s’élevant à des milliers de dollars, étaient dédiées au soulagement de la misère des pauvres pendant nos longs et durs hivers. Le niveau de l’éducation a été amélioré; du travail a été fourni à nos chômeurs; l’esprit d’une louable ambition a été instillé dans le cœur des jeunes hommes, pour qu’ils puissent faire leur place parmi des gens d’autres croyances et d’autres nationalités, situation qu’il n’avaient malheureusement pas connue auparavant. Des écoles pour jeunes filles ont été soutenues avec un amour paternel; les futures carrières des pupilles étaient soigneusement surveillées; elles étaient inscrites dans des associations comme Our Lady of Perpetuai Help; le Sacred Heart, et les Children of Mary, où les vertus morales et sociales propres aux jeunes femmes catholiques leur étaient enseignées, leur permettant ainsi de résister aux tentations de la vie auxquelles elles étaient exposées, et plus particulièrement dans une grande ville.]

Archives de la Chancellerie de l’Archevêché de Montréal, 355.128, 1902-1, Sept., extrait tiré de TRIGGER, Rosalyn. The Role of the Parish in Fostering Irish-Catholic Identity in Nineteenth-Century Montreal, MA thesis, McGill University, 1997, p. 82.

Références bibliographiques

BARLOW, John Matthew. ‟The House of the Irish”: Irishness, History, and Memory in Griffintown, Montréal, 1868-2009, Thèse (Ph. D.), Université Concordia, 2009, 338 p.

RONDEAU, Sylvain, Les Irlandais du quartier Sainte-Anne à Montréal, sources et institutions : 1825-1914, Rapport de recherche de M.A. (histoire appliquée), Université du Québec à Montréal, 2010, 113 p.

TRIGGER, Rosalyn. The Role of the Parish in Fostering Irish-Catholic Identity in Nineteenth-Century Montreal, Mémoire (M.A.), McGill University, 1997.

Référence de la citation du père Dowd dans le texte : Archives de la Chancellerie de l’Archevêché de Montréal.
901.145, 1866-1, Sept. 20., extrait tiré de TRIGGER, Rosalyn. The Role of the Parish in Fostering Irish-Catholic Identity in Nineteenth-Century Montreal, MA thesis, McGill University, 1997, p. 38.

Avant-après : Griffintown

Vue aérienne de Griffintown à la fin du XIXe siècle avec l’église Sainte-Anne, le canal de Lachine et le pont Victoria en arrière-planVue aérienne récente du parc du Faubourg-Sainte-Anne, du canal de Lachine et du fleuve en arrière-plan

Vue sur le parc du Faubourg-Sainte-Anne, à l'angle des rues de la Montagne et Rioux.

Avant

1896. Vue de Montréal depuis la cheminée de la centrale de la Montreal Street Railway, QC, 1896, par Wm. Notman & Son. Musée McCord. VIEW-2942.

Après

2014. Griffintown, par Denis-Carl Robidoux. Centre d’histoire de Montréal.