Des bateaux pleins à craquer, de longues quarantaines et des milliers de morts : l’arrivée massive des Irlandais à Montréal en 1847 met dans l’ombre une immigration débutée dès le XVIIe siècle.
En 1661, Tadg Cornelius O’Brennan arrive à Montréal. Il est identifié comme le premier Irlandais à immigrer en Nouvelle-France. Son nom gaélique est remplacé par Tec Aubry, ce qui fait de lui l’un des principaux ancêtres des Aubry du Québec. D’autres Irlandais le suivent jusqu’au Nouveau Monde. Plusieurs participent d’ailleurs à la guerre de Sept Ans, autant dans le camp britannique que français. Mais c’est à partir de 1815 que l’immigration irlandaise prend significativement de l’ampleur. Jusqu’en 1900, les Irlandais forment le deuxième groupe ethnoculturel en importance à Montréal.
Du pied de la montagne à son sommet
Canal de Lachine à vol d'oiseau
L’arrivée des Irlandais prend une tournure dramatique à partir de 1845. Une grande famine assiège alors l’Irlande. Les petits agriculteurs catholiques en sont les principales victimes et fuient par milliers. Entre mai et novembre 1847, des dizaines de milliers d’Irlandais quittent le Royaume-Uni. Ceux qui survivent au long voyage sur des bateaux-épaves, aboutissent à la Grosse Isle, près de Québec, où ils doivent demeurer en quarantaine. Les gens considérés en bonne santé continuent leur chemin vers Montréal où une épidémie de typhus a tôt fait de se déclarer. Durant la première année suivant leur arrivée dans la métropole, 6000 Irlandais meurent. En plus de ce sombre épisode, ces immigrants vivent dans des secteurs ouvriers où les conditions de vie sont souvent déplorables.
Résidence de Herbert Samuel Holt
De multiples contributions
Qu’ils vivent au bas ou dans les hauteurs du mont Royal, les Irlandais s’illustrent dans différents pans de la vie montréalaise, et ce, à toutes les époques.
Pont Victoria 1897 - travailleurs
Les familles ouvrières du XIXe siècle contribuent au processus d’industrialisation de la ville, souvent au prix d’un dur labeur. Les Irlando-Montréalais sont de tous les grands chantiers de construction, comme l’ouverture du canal de Lachine (1825) et ses agrandissements (1843 et 1873) ou la construction du pont Victoria (1854). Soumis à de rudes conditions de travail, ils se mobilisent et déclenchent l’une des premières grèves du Canada en 1843. Ils contribuent ainsi à l’essor du mouvement syndical au pays.
Les Irlandais sont aussi très actifs sur la scène politique. Durant les révoltes, plusieurs Irlandais se démarquent dans les rangs des patriotes, pendant que d’autres s’associent à la puissance britannique. Ils s’illustrent également aux différents paliers gouvernementaux, comme William Workman, le premier maire irlandais de Montréal élu en 1868. Dans l’histoire récente, les hommes politiques d’origine irlandaise sont nombreux, dont la lignée des Johnson ou encore Claude Ryan, pour ne nommer que ceux-là.
Des traces indélébiles
Armoiries - Album Viger
Autant l’immigration irlandaise est massive au XIXe siècle, autant elle se fait discrète au XXe siècle. Le sud-ouest de la ville connaît de plus un processus de désindustrialisation qui culmine, pour des secteurs comme Goose Village ou Griffintown, par d’importantes démolitions des zones résidentielles. Les Irlando-Montréalais quittent progressivement les quartiers ouvriers, où ils se concentraient, pour se fondre dans l’ensemble de l’île.
Néanmoins, les traces de la culture irlandaise marquent de manière indélébile la métropole. Pensons simplement à la présence des multiples pubs irlandais ou du grand rassemblement que représente la fête de la Saint-Patrick soulignée chaque année depuis 1824. Les armoiries de la Ville, choisies en 1833, comportent d’ailleurs le trèfle en reconnaissance de la présence irlandaise.
Irlandais - Monument
Lors de la construction du pont Victoria, à laquelle de nombreux Irlandais contribuent, le cimetière de fortune où ont été enterrées les victimes du typhus est découvert. Les ouvriers décident alors d’ériger un monument en l’honneur de leurs compatriotes morts 10 ans plus tôt. En 1859, une immense pierre est extraite du fleuve Saint-Laurent et déposée à l’entrée du pont, à l’endroit du cimetière. La sépulture est toujours présente en 2016.
LINTEAU, Paul-André. Histoire de Montréal depuis la Confédération, Montréal, Boréal, 2000, 627 p.
JOLIVET, Simon. « Une histoire des Irlandais et de leur intégration au Québec depuis 1815 », dans BERTHIAUME, Guy et al. (dir.), Histoires d’immigrations au Québec, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2012, p. 25 à 40.