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Louis Muhlstock, toute une vie en peinture

02 juin 2017

Louis Muhlstock, comme d’autres peintres juifs de Montréal, se consacre longtemps aux petites gens et aux paysages urbains. Artiste de renom, il est exposé au Canada et à l’étranger.

Louis Muhlstock

Un homme est assis, un livre dans les mains. Il se tourne pour regarder le photographe.
Bibliothèque et Archives Canada.Hazen Sise / Library and Archives Canada / e008440021.
Le petit Eliezer Muhlstock n’a que sept ans lorsqu’il débarque à Montréal avec sa famille en 1911. Son père, arrivé de Galicie (Pologne) quelques années plus tôt, a enfin pu payer le voyage qui permet aux siens de le rejoindre sur la rue Saint-Dominique, au cœur du quartier juif. Le jeune garçon qui ne parle que yiddish doit rapidement s’adapter à son nouvel environnement, où se côtoient Ukrainiens, Polonais, Noirs anglophones et Canadiens français. Il devient bientôt Louis Muhlstock, et s’adapte si bien qu’on le reconnaîtra plus tard comme l’un des artistes ayant le mieux su capter la réalité montréalaise des années de l’entre-deux-guerres.

Muhlstock montre des dispositions pour le dessin dès l’âge de 14 ans. Il prend des cours du soir dans des écoles d’art, d’abord au Monument national, puis à l’Art Association of Montreal et à l’École des beaux-arts, pendant ses études secondaires et alors qu’il travaille comme comptable dans un commerce de fruits et légumes. Il expose pour la première fois en 1925 à l’Académie royale des arts du Canada. En 1928, après avoir difficilement épargné sur son maigre salaire, il s’embarque pour Paris pour y parfaire son éducation. Il suit les cours du peintre Louis-François Biloul et fait du dessin de modèle vivant à l’Académie de la Grande Chaumière. Il se consacre entièrement à son art et présente ses œuvres dans d’importantes expositions, dont les Salons de Paris. Mais lorsqu’il apprend que sa mère est atteinte d’une maladie grave, en 1931, il décide de rentrer au Québec. 

Voir l’humanité et la beauté à travers la misère

Montréal est alors en pleine crise économique. Les temps sont durs, et Muhlstock doit souvent se rabattre sur du papier d’emballage pour dessiner et sur des sacs de sucre pour peindre. Doté d’un caractère profondément humaniste, il trouve en ces années de grande misère les sujets qui lui assureront la reconnaissance. Il n’a plus d’argent pour payer ses modèles; il se débrouille en croquant les chômeurs et autres miséreux endormis dans les parcs, ou en leur offrant un repas en échange de quelques minutes d’immobilité. Il dessine aussi les malades dans les hôpitaux, capturant la condition humaine avec un regard chargé de compassion. Lorsqu’il utilise la peinture à l’huile, il a tendance à abandonner les sujets humains pour se consacrer aux paysages urbains, rues et ruelles, intérieurs de maisons abandonnées, qu’il traite de façon formelle, s’attardant aux atmosphères et à la géométrie de l’espace. Plus tard, durant la Seconde Guerre mondiale, il dessine des ouvriers en action dans les usines et les arsenaux maritimes.

Même s’il fait partie de la société juive et qu’il peint généralement dans son quartier, Muhlstock, comme les autres peintres de cette communauté à l’époque, ne met pas en scène les particularités du ghetto juif ou de ses coreligionnaires. Ses œuvres pourraient représenter n’importe quel quartier ouvrier de Montréal et ses habitants. Esther Trépanier, spécialiste des peintres juifs contemporains de Muhlstock, écrit à ce sujet que « l’expérience juive prédispose les artistes de cette communauté à s’intéresser aux misères et aux souffrances inhérentes à la condition humaine ».

Peindre et dessiner jusqu’à la fin

C’est dans la rue Sainte-Famille, toujours dans le quartier juif, que Louis Muhlstock installe son nouvel atelier au milieu des années 1930. Il a déjà à son actif une exposition en solo au Club des Arts de Montréal, qui a révélé au public ses talents de dessinateur. Il se lie d’amitié avec d’autres artistes d’ici, comme Jean Palardy, Jori Smith et Marian Scott. Il fréquente également Norman Bethune, peintre et médecin, et le poète Hector de Saint-Denys Garneau, qui lui dédit une élogieuse critique. Son ouverture d’esprit lui a permis en retour de développer des amitiés dans toutes les couches de la société et de s’initier à diverses cultures.

Son esprit curieux l’amène aussi à toucher une vaste gamme de sujets au cours de sa longue carrière. En plus des grands thèmes déjà mentionnés, il a peint des centaines de nus féminins, des animaux, des paysages laurentiens et divers éléments naturels (écorce, mousse, rochers…), ainsi que des toiles abstraites. On rapporte qu’il dessinait partout, même dans l’autobus ou devant la télévision. Il a conservé un atelier dans la rue Sainte-Famille jusqu’à sa mort, en 2001, à l’âge de 97 ans. Et il s’y est rendu presque jusqu’à la fin…

Reconnu et apprécié de son vivant, Muhlstock a vu son œuvre faire l’objet de nombreuses expositions, au Canada comme à l’étranger. Le Musée du Québec a honoré son travail en lui consacrant une importante exposition itinérante en 1995, alors qu’il dépassait le cap des 90 ans. Il a été nommé Officier de l’Ordre du Canada en 1991 et Chevalier de l’Ordre national du Québec en 1998.

Références bibliographiques

GAGNON, François-Marc. « Louis Muhlstock : le vieux peintre de la rue Sainte-Famille », [En ligne], Érudit.org — Vie des Arts, vol. 31, n° 124, 1986, p. 67-68.
https://www.erudit.org/culture/va1081917/va1161910/53989ac.pdf

GOUVERNEMENT DU QUÉBEC. « Louis Muhlstock, (1904-2001), Chevalier (1998) », [En ligne], Ordre national du Québec.
https://www.ordre-national.gouv.qc.ca/membres/membre.asp?id=286

DELAGRAVE, Marie. « Louis Muhlstock : peintre de la marginalité », [En ligne], Érudit.org — Vie des Arts, vol. 39, n° 159, 1995, p. 30-32.
https://www.erudit.org/culture/va1081917/va1140393/53444ac.pdf

MUSÉE DU QUÉBEC, Muhlstock, publication du Musée du Québec, 1995, 48 p.

TRÉPANIER, Esther. Peintres juifs de Montréal, témoins de leur époque 1930-1948, Montréal, Les Éditions de l’Homme, 2008, 287 p.