Inaugurée en 1963, la Grande Salle de la Place des Arts enthousiasme experts et public. L’ajout de deux théâtres, hâté par Expo 67, crée un véritable complexe culturel au centre-ville de Montréal.
Expo 67 : Place aux arts!
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À la fin des années 1950, sous l’impulsion du maire Jean Drapeau, Montréal veut se doter d’une salle de concert dite de prestige. Le 21 septembre 1963, la Grande Salle de la Place des Arts, renommée trois ans plus tard la Salle Wilfrid-Pelletier en l’honneur du grand chef d’orchestre québécois et premier directeur artistique de l’Orchestre symphonique de Montréal, est inaugurée. Érigée sur un plateau, la Grande Salle, un bâtiment symétrique, monumental et ceinturé de colonnes, symbolise la modernité de la ville.
Inauguration de la Place des Arts
Dès son ouverture, experts en acoustique, critiques musicaux et artistes qui s’y produisent la qualifient comme l’une des plus belles salles au monde. Le lieu suscite l’enthousiasme des organismes artistiques, des imprésarios et du public. Les spectacles se succèdent à une bonne cadence dans cette salle de 3000 places. En mars 1967, trois ans et demi après son inauguration, la Place des Arts en est à sa millième représentation. Plus de deux millions de spectateurs y sont déjà venus.
Mais Montréal voit grand et anticipe déjà le développement d’un véritable centre culturel sur un vaste quadrilatère. C’est l’époque des grands complexes culturels comme le Lincoln Center à New York.
Deux nouvelles salles prêtes juste à temps pour Expo 67
Festival mondial - Place des Arts
La construction de l’édifice abritant le Théâtre Maisonneuve et le Théâtre Port-Royal, qui prend le nom de Théâtre Jean-Duceppe en 1991, s’insère bien dans le plan d’ensemble de la Place des Arts, mais l’Exposition universelle de 1967 en précipitera assurément la réalisation.
Il est d’abord question de bâtir ces salles sur les îles artificielles créées expressément pour l’Expo. La Compagnie canadienne de l’Exposition universelle de 1967, qui dispose de sommes importantes allouées par les trois ordres de gouvernement, éprouve peu d’intérêt pour le parachèvement de la Place des Arts.
Si elle envisage de louer la Grande Salle pour la durée du festival, la Compagnie de l’Expo souhaite plutôt bâtir, sur son propre emplacement, tous les autres théâtres requis pour l’occasion. La menace à long terme pour la Place des Arts est majeure : celle de ne pouvoir compléter le complexe architectural dans un avenir prévisible.
Conscients de l’enjeu, les dirigeants de la Place des Arts entreprennent des démarches auprès des autorités provinciales et municipales. C’est finalement Lucien Saulnier, alors président du comité exécutif de la Ville de Montréal, qui prend le dossier en main. Avec le premier ministre du Québec, Jean Lesage, il convient de bâtir les théâtres à la Place des Arts et d’en partager le coût. Terre des Hommes érige seule l’Expo-Théâtre et l’Autostade.
L’édifice des théâtres construit en moins de 12 mois
Place des Arts
Sur recommandation d’un comité-conseil, il est décidé de placer l’édifice des théâtres sur la partie basse du quadrilatère, c’est-à-dire à l’intersection des rues Sainte-Catherine et Saint-Urbain, à l’emplacement même de l’édifice de l’ancien magasin de meubles Woodhouse. Cela permet à la firme d’architecture, David, Barott, Boulva, choisie pour réaliser le projet, de mettre la Grande Salle en évidence, malgré le volume considérable de l’édifice des théâtres, ce qu’elle réussit à merveille tout en juxtaposant les deux théâtres de façon harmonieuse. C’est la firme Louis Donolo qui obtient de la Régie de la Place des Arts le contrat pour la construction des deux théâtres adjacents à la Grande Salle.
Au terme des travaux, l’architecte Pierre Boulva déclare que l’expérience des théâtres de la Place des Arts a été captivante et que, en 25 ans de pratique, c’est l’ensemble le plus complexe qu’il ait eu à réaliser. Il déclare à La Presse le 15 avril 1967 :
« C’était presque inconcevable. Nous avons tenu le pari, nous avons doublé les équipes, travaillé 24 heures par jour, 7 jours par semaine, installé un bureau permanent à la Place des Arts pour approuver plus rapidement chaque détail, trouvé des raccourcis. Il y avait une question de temps qui pressait et cela était important, notamment, en ce qui concerne le choix des matériaux qui pourraient être posés rapidement. »
Cité dans L’étonnant dossier de la Place des Arts 1956-1967, l’architecte Michel Roy résume ainsi l’envergure du défi : « Il fallait réaliser le projet dans des délais si courts que l’entreprise paraissait hasardeuse. Pourtant, en moins de 12 mois, du 3 mai 1966 au 14 avril 1967, les architectes, les entrepreneurs et les travailleurs de tous les métiers ont tenu ce prodigieux pari : ils ont démoli le vieil immeuble Woodhouse, pratiqué une immense excavation, construit, équipé, aménagé et décoré l’édifice qui abrite deux théâtres. »
Un design intérieur caractérisé par l’élégance et la créativité
Place des Arts - Expo 67
Le conseil d’administration de la Régie de la Place des Arts a droit aussi à tous les éloges pour avoir maintenu la tradition d’intégrer des œuvres d’art au nouvel édifice. Au Théâtre Maisonneuve, quatre œuvres majeures sont intégrées à l’architecture : un rideau acrylique de Micheline Beauchemin pour l’immense foyer vitré, une murale de bronze, cuivre et fer de Peter Gnass, un rideau de scène fait de bandes de couleurs, œuvre de Mariette Vermette et une sculpture de bronze de Charles Daudelin. Au Théâtre Port-Royal, on trouve une grande murale de terre cuite de couleur et glaçures de Jean Cartier (assisté de Richard Poirier), un tableau de John McEwen et un autre de Paul Vanier Beaulieu ainsi que deux grandes murales photographiques de Michel St-Jean.
La Place des Arts, hôte des plus prestigieuses compagnies artistiques
Beggar’s Opera de Londres
Ainsi, pour ce qui touche à l’opéra seulement, on voit se succéder sur les scènes de la Place des Arts, l’Opéra royal de Stockholm, l’Opéra Bolchoï, la Scala de Milan et la plupart des grandes voix de l’époque sous la direction des chefs les plus réputés. Dans la série des grands orchestres, mentionnons l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam, la Philharmonie de Vienne et l’Orchestre philharmonique de Los Angeles sans oublier la musique de chambre et d’éminents solistes. Les troupes de danse sont aussi présentes avec de nombreuses créations. C’est le cas, par exemple, du Ballet du XXe siècle avec Maurice Béjart et du Ballet de l’Opéra de Paris. Plusieurs compagnies nationales de folklore venues entre autres du Maroc, de la Jamaïque et de l’Inde figurent aussi à la programmation. Du côté du théâtre, on accueille avec bonheur le Théâtre de France Renaud-Barrault, le National Theatre of Great Britain et le Théâtre Kabuki du Japon.
Le public de Montréal et des environs de même que les visiteurs de l’Expo peuvent apprécier les plus hauts standards d’excellence sur le plan artistique et découvrir avec un étonnement mêlé d’admiration toutes les qualités des nouvelles salles de spectacle érigées sur le site de la Place des Arts.
DUVAL, Laurent. L’étonnant dossier de la Place des Arts 1956-1967, Montréal, Louise Courteau éditrice, 1988, 427 p.