La construction du site d’Expo 67, en moins de 18 mois, est une prouesse d’ingénierie. Ce chantier pharaonien voit la création d’une île, l’agrandissement d’une autre île et la mutation d’une jetée.
Expo 67. Construction îles
Plusieurs études hydrographiques, en grande partie effectuées pour le compte de la société du Port de Montréal par les laboratoires hydrologiques LaSalle, confirment que le lit du fleuve Saint-Laurent renferme assez de sédiments pour couvrir l’ensemble des besoins en remblai. Le service des travaux publics de la Ville de Montréal, responsable des travaux de construction des îles Notre-Dame et Sainte-Hélène, loue donc trois dragues, dont celle d’Hydro-Québec, considérée alors comme la plus grosse au monde.
Expo 67. Construction îles
Une extraction difficile
Expo 67. Construction îles
Après quelques mois de travail, les dragues n’ont produit que 55 à 60 % du volume prévu. À ce rythme, on va tout droit à la catastrophe, car le site ne pourra jamais être livré pour le 1er juillet 1964, date butoir du début des travaux d’aménagement du site et de la construction des centaines de bâtiments nécessaires. Cette crise va avoir de lourdes répercussions sur les coûts de construction des îles, mais aussi sur le plan directeur de l’Exposition.
Expo 67. Construction îles
Augmentation des coûts et engorgement du pont
Expo 67. Construction îles
Mais le transport de ce million de tonnes de matériaux entraîne de sérieuses difficultés. Premièrement, on voit d’un très mauvais œil l’arrivée de dizaines, voire de centaines, de camions aux heures de pointe alors que le pont Jacques-Cartier est déjà congestionné et que le pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine est seulement en construction. De plus, la structure de la sortie est problématique. Plusieurs années après la construction du pont, une bretelle (provenant de Longueuil) a été rajoutée pour éviter les nombreux accidents provoqués par les automobilistes qui devaient couper les voies de circulation pour se rendre sur l’île Sainte-Hélène. Mais cette bretelle a été conçue essentiellement pour supporter le poids des automobiles et des autobus, pas celui de camions chargés à bloc de pierre et de terre.
Deux solutions s’offrent alors. La première consiste à n’utiliser que la bretelle ouest du pont et ainsi forcer tous les camions à faire un détour par la Rive-Sud, pour aller tourner à l’ancien poste de péage et ensuite revenir à Montréal. Chaque camion passerait ainsi deux fois sur le pont à chaque voyage, ce qui double les risques d’engorgement aux heures de pointe. Cette solution, bien que sérieusement envisagée, est éliminée à cause d’énormes pressions des automobilistes et des municipalités de la Rive-Sud. L’autre solution, celle qui a été retenue, consiste à renforcer de façon significative la bretelle est du pont. C’est la société du Port de Montréal, propriétaire du pont, qui défraie les coûts relativement importants de ces travaux, menés en urgence.
Le pont Jacques-Cartier endommagé
Expo 67. Construction îles
C’est la compagnie Francon qui gagne l’appel d’offres pour fournir les matériaux de remblai. Elle est bien placée pour répondre à la demande, car elle prévoit d’agrandir de façon importante sa carrière, située au nord de la ville, entre les rues Pie-IX et Saint-Michel. Or, plusieurs mètres de sol recouvrent la couche rocheuse de la carrière – c’est justement ce type de matériaux qui est nécessaire pour le site de l’Expo. L’entreprise fait donc d’une pierre deux coups : elle se débarrasse de ces matériaux à un coût intéressant et accède plus facilement à la pierre qui s’avère très en demande pour répondre au boum de construction de ces années précédant l’Expo. Selon l’appel d’offres, les matériaux seront déversés en priorité sur le site de l’île Ronde. La compagnie Francon respecte sans problème notable son contrat, finissant même quelques jours avant les délais prescrits et ne causant pas trop de désagrément pour les utilisateurs du pont. Rapidement, la Ville publie un nouvel appel d’offres pour obtenir un autre million de tonnes de matériaux, appel d’offres une nouvelle fois remporté par la compagnie Francon.
Les matériaux extraits lors du creusage du métro
Expo 67. Construction îles
Par la suite, on procède à plusieurs autres appels d’offres pour des matériaux de remblai. Notons qu’une carrière située sur la Rive-Sud en a fourni un million de tonnes et qu’un autre million de tonnes a été extrait de la carrière Miron située à Saint-Michel. De plus petits volumes ont aussi été prélevés et transportés par plusieurs compagnies de construction.
Malgré tout ce que les dragues ont réussi à extraire du fleuve et les énormes quantités de remblai transportés par camion, la difficulté demeure : on n’aura pas assez de matériaux pour livrer les îles à temps. C’est alors que Fiset, l’architecte en chef de l’Expo, a une idée géniale : pourquoi ne pas diminuer les quantités de remblai nécessaires par l’ajout de lacs et de canaux? C’est ainsi qu’on crée de toute pièce le système de canaux de l’île Notre-Dame – canaux qui sont en grande partie responsable de l’ambiance extraordinaire du site. On décide aussi de ne pas remblayer l’ancienne île Ronde et d’y faire naître un lac – le lac des Dauphins.
Expo 67. Construction îles
Transformation de la jetée MacKay
Expo 67. Construction îles
La jetée MacKay est sous la juridiction fédérale et la propriété du Conseil des ports nationaux, à qui il revient d’aménager le site pour l’Exposition; du moins, c’est ce que l’entente tripartite signée au début de 1963 spécifie. Mais Guy Beaudet, le directeur général du Port de Montréal, fait valoir qu’il n’a ni l’expertise, ni la main-d’œuvre et surtout pas le budget nécessaires pour ce genre de chantier. Il se tourne donc vers le ministère du Transport, à Ottawa, qui est le responsable de la société du Port de Montréal et le propriétaire des terrains. Après plusieurs séances de négociations tripartites – incluant le Conseil des ports nationaux, le ministère fédéral du Transport et la Compagnie canadienne de l’Exposition universelle de 1967 –, on parvient à une entente qui spécifie que la Compagnie sera le maître d’œuvre de ce chantier et que le ministère défraiera les coûts associés au remblai et à la mise en forme de la Cité du Havre. Les frais de l’aménagement du site relèvent de toute façon de la Compagnie.
À cette époque, seuls quelques bâtiments permanents doivent être érigés sur la Cité du Havre : l’édifice de l’administration et de la presse, le musée d’Art, le Centre international de la radiotélédiffusion et l’Expo-Théâtre. Le reste de ce secteur doit être un stationnement. Comme le projet Habitat 67 doit à l’origine occuper les quatre cinquièmes de la Cité du Havre, le stationnement est déplacé plus à l’ouest, entre les ponts Victoria et Champlain.
Pénurie de remblai?
Expo 67 - construction 1964
Même un petit renflement de terre qui se trouve au début de la jetée MacKay est transformé en carrière de pierre, tout comme les îles Ronde, Moffat et Verte. Ce secteur, situé en face de l’édifice de l’administration, va fournir une quantité assez importante de matériaux de remblai. Creusée profondément dans le lit même du fleuve, la carrière est simplement noyée par la suite. Ainsi on fait passer la jetée de 115 acres à une superficie totale de 134 acres; elle est allongée de 750 mètres et surélevée de 3 mètres, ce qui nécessite près de 1,75 million de tonnes de matériaux de remblai.
Expo 67 - 598 avant ouverture
La construction du site de l’Expo 67, en moins d’un an et demi, représente une prouesse d’ingénierie remarquable. Bien que certains ingénieurs aient fait valoir à plusieurs reprises que les travaux ne pourraient jamais être terminés à temps, la détermination et l’ingéniosité des spécialistes et des décideurs ont prouvé que le défi pouvait être relevé, et ce, avec brio!