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Le pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine

18 décembre 2017

Chef-d’œuvre de l’ingénierie québécoise, le pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine a permis le franchissement du Saint-Laurent, mais a nécessité la destruction du cœur villageois de Longue-Pointe.

Pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine - Inauguration

Photo de cinq hommes dont Daniel Johnson, Jean Drapeau et Jean Lesage lors de l'inauguration du pont-tunnel
Bibliothèque et Archives nationales du Québec (Vieux-Montréal). E6,S7,SS1,D670571 À 670599.
Le 11 mars 1967, le pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine est inauguré en présence du premier ministre d’alors, Daniel Johnson, de l’ex-premier ministre Jean Lesage, initiateur du projet, et du maire de Montréal, Jean Drapeau. On ne mesure pas alors les conséquences de cet ouvrage sur le paysage du quartier Mercier.

Les nouvelles réalités du transport

Dans les années qui suivent la Seconde Guerre mondiale, trois facteurs ont marqué le développement du Québec : le boom démographique, la hausse du niveau de vie, avec une accession plus facile au crédit, et la révolution automobile. Dans les années 1950, les villes nord-américaines ont de sérieux problèmes de congestion, résultat de l’augmentation rapide du parc automobile et de l’étalement urbain. Cette situation est aggravée par l’insularité de Montréal. À la fin de la Seconde Guerre, les trois ponts menant vers la rive sud, Honoré-Mercier, Victoria et Jacques-Cartier, fonctionnent à plein rendement. En 1945, le nombre de véhicules empruntant annuellement ces trois ponts est établi à 3,8 millions. En 1959, ce nombre passe à plus de 30 millions. Les élus, tant fédéraux que provinciaux, voient l’urgence d’établir de nouvelles traversées. Les investissements vont d’abord se concentrer dans l’ouest de l’île avec la construction du pont Champlain (1958-1962). L’est de l’île est la priorité suivante.

L’arrivée de Jean Lesage en juin 1960 au poste de premier ministre du Québec marque un tournant pour le système autoroutier, car le nouveau gouvernement va investir massivement dans les routes pour rattraper le retard du Québec par rapport à l’Ontario et aux États américains frontaliers.

Choisir une nouvelle traversée

Pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine - construction

Construction en cale sèche d’un des sept caissons du pont-tunnel
Bibliothèque et Archives nationales du Québec (Vieux-Montréal). E6,S7,SS1, D650611 à 650622.
Après la Seconde Guerre, le gouvernement fédéral veut réaliser l’équivalent du chemin de fer transcontinental qui relie le Canada d’est en ouest : la route transcanadienne. Une loi fédérale est adoptée en 1949. Mais ce n’est qu’en octobre 1960 que le gouvernement Lesage signe l’entente avec Ottawa. La résistance du gouvernement de Maurice Duplessis explique cette période d’inaction. Cette route deviendra le nouveau symbole de l’unité canadienne.

La Transcanadienne doit nécessairement passer par Montréal. Elle doit emprunter le boulevard métropolitain et franchir le fleuve à l’est du pont Jacques-Cartier de façon à rejoindre la route 9 (l’actuelle route 116) sur la rive sud. En 1961, le gouvernement entreprend l’étude de quatre sites potentiels entre Jacques-Cartier et l’est de l’île. Les critères suivants motiveront le choix des décideurs :

  • La topographie;
  • Les avantages et désavantages techniques;
  • Le niveau d’urbanisation actuel et futur;
  • Les prévisions de circulation;
  • Le raccordement avec le Métropolitain et la route 9;
  • Les contraintes imposées par l’administration portuaire.

À partir de l’analyse de ces critères, quatre options sont envisagées pour choisir le point de franchissement du fleuve : le boulevard Pie-IX, l’avenue Broadway à Montréal-Est, la 81e avenue à Pointe-aux-Trembles et Longue-Pointe.

Les quatre options possibles

Pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine - 4 possibilités

Plan montrant les quatre traversées possibles
Ministère des Transports du Québec (Bois-Fontaine, vol. 1, planche 2.2), étude Brett et Ouellette.
Le boulevard Pie-IX est la première option de point de franchissement. Ce projet nécessiterait d’importantes expropriations et démolitions de logements et d’industries et menacerait le parc Maisonneuve. De plus, la forte pente depuis le boulevard Rosemont, pente accentuée au sud de Sherbrooke, poserait des défis techniques importants. À cause du développement du port, un tunnel n’est pas envisageable entre Pie-IX et Viau.

L’avenue Broadway à Montréal-Est est la deuxième option. Le principal facteur en défaveur de ce tracé est la présence des raffineries de pétrole qui poserait un important problème de sécurité pour la circulation automobile. De plus, une pente importante occasionnerait des problèmes de terrassement.

La troisième option, celle de la 81e avenue à Pointe-aux-Trembles, semble plus réaliste. Ce site est le plus avantageux sur le plan financier : peu d’expropriations sont nécessaires et la distance entre le boulevard métropolitain et le fleuve y est faible. Cependant, il comporte des désavantages comme le détour pour rejoindre la route 9 sur la rive sud et le chenal maritime qui est trop étroit entre Pointe-aux-Trembles, l’île Sainte-Thérèse et Varennes pour y mener un chantier.

Longue-Pointe

Vue aérienne montrant le village de Longue-Pointe avant sa démolition
Archives de la Ville de Montréal. VM94AD69-004.

Longue-Pointe, la quatrième option, est le site qui répond le mieux aux exigences techniques et financières. La bande de terre entre le boulevard métropolitain et le fleuve n’est pas urbanisée sauf le noyau villageois à proximité du fleuve. Les îles de Boucherville pourraient servir d’appui pour réduire les coûts en structures. C’est le site qui s’harmonise le mieux avec les projets de développement du port vers l’est. De plus, ce tracé n’est ni trop près ni trop loin du centre-ville, ce qui permettrait de soulager la circulation sur le pont Jacques-Cartier.

Avant de faire un choix sur le type de traversée, les ingénieurs doivent tenir compte de facteurs comme le débit du fleuve, le mouvement des glaces, l’activité maritime, les caprices du climat, etc. Le choix d’un tunnel l’emportera sur le pont suspendu puisque les coûts du premier sont inférieurs de 5 % à 10 % à ceux du second.

La disparition d’un village

Église Saint-François-d’Assise

Photo d'une église en partie détruite
Bibliothèque et Archives nationales du Québec (Vieux-Montréal). E6,S7,SS1,D640640 À 640652.

C’est officiellement le 17 mai 1962 que le gouvernement Lesage prend la décision de construire un pont-tunnel sur le site du village de Longue-Pointe : un tunnel se rendra à l’île Charron et un pont reliera cette île à Boucherville. Le gouvernement laissera planer un doute pendant quelque temps sur le tracé définitif dans Longue-Pointe pour éviter un mouvement de spéculation, mais il devient rapidement clair que la construction du pont-tunnel passe par la destruction du noyau villageois de Longue-Pointe.

On peut considérer cette partie de Longue-Pointe, autour de l’église Saint-François-d’Assise, comme le cœur du village, tel qu’on en trouverait partout au Québec. La rue Notre-Dame est la rue commerciale par excellence avec ses commerces de proximité. Les villageois ont une relation très étroite avec le fleuve à cette époque : on coupe la glace l’hiver, on pêche l’été, on chasse canards et sauvagines en saison. Plusieurs résidants possèdent une chaloupe. On maintient un lien très étroit avec Boucherville. Plusieurs cultivent un petit lopin de terre. Peu avant la construction du tunnel, il existe encore des pâturages dans le quartier.

La ville de Montréal va faciliter le processus d’expropriation des terrains nécessaires. Le journal Le Flambeau, dans son édition du 28 mai 1963, annonce que 300 familles seront expropriées. Des familles comme les Vinet et les Robert habitaient la paroisse depuis deux siècles. Les démolitions commencent au mois d’août 1963. Le symbole de la disparition du village sera cependant la démolition de l’église Saint-François-d’Assise en février 1964. Plus modeste, la nouvelle église Saint-François est édifiée en 1966, plus à l’est, à l’angle des voies Lafontaine et Georges-Bizet.

Épicerie Paul Robert

Intérieur d'une épicerie dans les années 1940
Archives de la Ville de Montréal. CA M001 P500-Y-01-D008.
Des commerces emblématiques comme l’épicerie Paul Robert, rue Curatteau, des maisons datant du Régime français comme celle des Chartrand, rue de Boucherville, ne seront bientôt que souvenir. Les rues Quinn et Saint-Malo vont disparaître des cartes. Dans ce secteur, tout le patrimoine bâti au sud de Notre-Dame est rasé. Afin de demeurer dans le quartier, certains choisissent de carrément déménager leur maison à l’extérieur de la zone expropriée.

Le pont-tunnel va accentuer la division entre Mercier-Est et Mercier-Ouest, division déjà bien marquée dans le territoire depuis la création de l’Asile Saint-Jean-de-Dieu sur l’immense terrain des Sœurs de la Providence. La construction de cette infrastructure est un des facteurs qui expliquent le début d’un rapide déclin de la population de Mercier. Après un sommet de 133 817 habitants en 1961, la population n’est plus que de 104 228 en 1966, soit une baisse de 22,1 % en 5 ans.

Une œuvre technique remarquable

Pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine

Construction du pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine
Collection ministère des Transports du Québec
La préparation des plans et la surveillance des travaux sont confiées aux firmes d’ingénieurs Brett et Ouellet, Lalonde et Valois, et Per Hall et Associés. Ces entreprises seront plus tard intégrées à SNC-Lavalin. Le principal concepteur du pont-tunnel sera un jeune ingénieur nommé Armand Couture. La technologie utilisée pour la construction du tunnel est une technologie danoise développée par la société d’ingénierie Christiani-Nielsen. C’est la deuxième utilisation de cette technologie au Canada après le Deas Island Tunnel de Vancouver.

Le tunnel est constitué de sept éléments de béton précontraint préfabriqués en cale sèche, remorqués sur place, immergés et recouverts d’un ballast. L’opération la plus délicate et la plus risquée est l’immersion des sept éléments de 32 000 tonnes chacun, ceci en tenant compte du débit du fleuve et du trafic maritime. Il faut également s’assurer de la parfaite étanchéité des joints entre chacun des éléments. Un autre élément important dans la construction est la ventilation. La concentration en monoxyde de carbone doit être limitée au maximum. Advenant un embouteillage complet dans le tunnel, la ventilation peut changer l’air en deux minutes. Une salle de contrôle permet la surveillance de tous les paramètres de sécurité mesurés pour éviter toute catastrophe.

Un pont complète l’ouvrage entre l’île Charron et la rive sud. Ce pont est unique au Canada en raison de sa longueur de 461 mètres et de la construction du tablier en acier recouvert d’asphalte, ce qui lui donne une plus grande solidité.

Le pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine pose une question toujours d’actualité : comment concilier patrimoine et modernisme? Le Québec y a répondu d’une façon en 1967. Aurions-nous la même réponse aujourd’hui?

Références bibliographiques

CHARBONNEAU, Réjean, et William GAUDRY. Textes pour l’exposition Le pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, 50 ans d’histoire entre deux rives, Atelier d’histoire Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, Maison de la Culture Maisonneuve, du 16 novembre 2017 au 21 janvier 2018.

CHARBONNEAU, Réjean et al. Le pont-tunnel Louis-Hyppolyte-La Fontaine, une œuvre moderne sur les traces du passé, Atelier d’histoire de Longue-Pointe.

ROBERT, Mario. « Un vieux village disparaît : Longue-Pointe (1724-1964) », [En ligne], Archives de Montréal, 9 décembre 2004.
http://archivesdemontreal.com/2004/12/09/un-vieux-village-disparait-long...