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La construction des îles et de la Cité du Havre

05 mai 2017

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La construction du site d’Expo 67, en moins de 18 mois, est une prouesse d’ingénierie. Ce chantier pharaonien voit la création d’une île, l’agrandissement d’une autre île et la mutation d’une jetée.

Expo 67. Construction îles

On procède au dynamitage de l’île Ronde et à la construction de la digue
Archive de la Ville de Montréal. VM94-EX4-002.
Bien que certains travaux aient débuté en juillet 1963, la création des îles démarre officiellement lors d’une cérémonie tenue le 11 août 1963 sur le site du futur parc d’attraction de l’Expo 67. Le chantier comprend la construction de l’île Notre-Dame ainsi que l’agrandissement de l’île Sainte-Hélène et de la jetée MacKay, qui deviendra par la suite la Cité du Havre.

Plusieurs études hydrographiques, en grande partie effectuées pour le compte de la société du Port de Montréal par les laboratoires hydrologiques LaSalle, confirment que le lit du fleuve Saint-Laurent renferme assez de sédiments pour couvrir l’ensemble des besoins en remblai. Le service des travaux publics de la Ville de Montréal, responsable des travaux de construction des îles Notre-Dame et Sainte-Hélène, loue donc trois dragues, dont celle d’Hydro-Québec, considérée alors comme la plus grosse au monde.

Expo 67. Construction îles

L’ancienne île Verte est creusé pour en extraire les blocs de pierre pour constituer la digue
10 septembre 1963. Archives de la Ville de Montréal. VM94-EX4-017.
La méthode utilisée est relativement simple dans le principe, tout en demeurant complexe pour ce qui est de l’exécution. Trois îles, ainsi qu’un certain nombre d’îlots, forment alors le futur site de l’Expo : l’île Ronde, située à la pointe est de l’île Sainte-Hélène; l’île Verte, située à la pointe ouest; l’île Moffat (ou l’île à pierre) qui se trouve à mi-chemin entre l’île Sainte-Hélène et la digue nord de la Voie maritime du Saint-Laurent. Ces trois îles sont dynamitées et entièrement détruites afin d’en extraire de grosses pierres qui sont utilisées pour construire trois digues de 20 pieds de haut sur 20 pieds de large. Ces digues déterminent la forme future des îles. Une fois celles-ci en place, on procède au dragage du fleuve pour extraire, à l’arrière des digues, les sédiments qui vont servir de remblai pour l’agrandissement de l’île Sainte-Hélène et la construction de l’île Notre-Dame.

Une extraction difficile

Expo 67. Construction îles

Aperçu de la tête de la drague servant à éroder le fond du fleuve pour en dégager les sédiments
Archives de la Ville de Montréal. VM94-EX31-043.
En fait, les dragues remontent d’énormes quantités d’eau avec les sédiments et des pompes sont installées pour renvoyer l’eau au fleuve et ainsi assécher le sol conquis à même le Saint-Laurent. Selon les études préliminaires, le fond du fleuve contient assez de sédiments meubles pour répondre aux besoins de la Ville pour la construction du site (il n’est aucunement question d’utiliser les résidus de la construction du métro de Montréal à cette période). Mais, rapidement, la consistance des sédiments entrave le travail des dragues. Ils sont en effet beaucoup plus compactés que prévu, et leur extraction nécessite des dragues une action accrue.

Après quelques mois de travail, les dragues n’ont produit que 55 à 60 % du volume prévu. À ce rythme, on va tout droit à la catastrophe, car le site ne pourra jamais être livré pour le 1er juillet 1964, date butoir du début des travaux d’aménagement du site et de la construction des centaines de bâtiments nécessaires. Cette crise va avoir de lourdes répercussions sur les coûts de construction des îles, mais aussi sur le plan directeur de l’Exposition.

Expo 67. Construction îles

Le site commence à prendre forme – le nouveau pourtour de l’île Sainte-Hélène est presque complet et l’île Notre-Dame sort des eaux
Archives de la Ville de Montréal. VM94-EX5-001.
Promptement, la Ville met sur pied une cellule de crise, sous la direction de Lucien L’Allier, le directeur du service des Travaux publics de la Ville, qui a aussi, à ce moment, la responsabilité de la construction des premières lignes du métro de Montréal. En plus des experts de la Ville se trouvent au sein de ce groupe des représentants de la Compagnie canadienne de l’Exposition universelle de 1967 ainsi que des experts provenant de la Société des Ports du Canada et de certains ministères. Des décisions doivent être prises au plus vite, car il semble ardu de respecter les délais de construction.

Augmentation des coûts et engorgement du pont

Expo 67. Construction îles

Une des trois énorme drague utilisée pour extraire les sédiments du fond du fleuve
Archives de la Ville de Montréal. VM94-EX10-011.
Lucien l’Allier suggère alors de lancer un appel d’offre pour un million de tonnes de matériaux de remblai à transporter vers le site de l’Expo par camion. Ceci pose évidemment deux problèmes : l’augmentation des coûts due à l’extraction et au transport du remblai ainsi que l’engorgement du pont Jacques-Cartier, qui, en 1963, est toujours la seule voie d’accès au site de l’Expo. Pour les coûts, l’administration Drapeau-Saulnier se tourne rapidement vers le Conseil municipal afin de faire augmenter l’emprunt nécessaire. Pour faire passer la proposition auprès des conseillers, Lucien Saulnier garantit que ces frais supplémentaires seront facilement remboursés par la vente des terrains de l’île Notre-Dame, après l’Expo, à des promoteurs privés.

Mais le transport de ce million de tonnes de matériaux entraîne de sérieuses difficultés. Premièrement, on voit d’un très mauvais œil l’arrivée de dizaines, voire de centaines, de camions aux heures de pointe alors que le pont Jacques-Cartier est déjà congestionné et que le pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine est seulement en construction. De plus, la structure de la sortie est problématique. Plusieurs années après la construction du pont, une bretelle (provenant de Longueuil) a été rajoutée pour éviter les nombreux accidents provoqués par les automobilistes qui devaient couper les voies de circulation pour se rendre sur l’île Sainte-Hélène. Mais cette bretelle a été conçue essentiellement pour supporter le poids des automobiles et des autobus, pas celui de camions chargés à bloc de pierre et de terre.

Deux solutions s’offrent alors. La première consiste à n’utiliser que la bretelle ouest du pont et ainsi forcer tous les camions à faire un détour par la Rive-Sud, pour aller tourner à l’ancien poste de péage et ensuite revenir à Montréal. Chaque camion passerait ainsi deux fois sur le pont à chaque voyage, ce qui double les risques d’engorgement aux heures de pointe. Cette solution, bien que sérieusement envisagée, est éliminée à cause d’énormes pressions des automobilistes et des municipalités de la Rive-Sud. L’autre solution, celle qui a été retenue, consiste à renforcer de façon significative la bretelle est du pont. C’est la société du Port de Montréal, propriétaire du pont, qui défraie les coûts relativement importants de ces travaux, menés en urgence.

Le pont Jacques-Cartier endommagé

Expo 67. Construction îles

L’incessant va-et-vient des camions provenant des carrières de Montréal et de la Rive-Sud déchargeant leur lots de matériaux de remblais
Archives de la Ville de Montréal. VM94-EX237-044.
Malgré ces interventions, le grand nombre de camions empruntant le pont Jacques-Cartier l’ont sévèrement endommagé et, par la suite, de coûteux travaux de réparation sur une section du tablier ont été nécessaires. Le gouvernement fédéral a alors fait connaître son intention de donner le pont Jacques-Cartier à la province, mais le premier ministre Lesage a refusé, pour ne pas assumer les fortes dépenses dues aux réparations prévues et à l’entretien régulier du pont. Le gouvernement de M. Pearson n’a pas insisté…

C’est la compagnie Francon qui gagne l’appel d’offres pour fournir les matériaux de remblai. Elle est bien placée pour répondre à la demande, car elle prévoit d’agrandir de façon importante sa carrière, située au nord de la ville, entre les rues Pie-IX et Saint-Michel. Or, plusieurs mètres de sol recouvrent la couche rocheuse de la carrière – c’est justement ce type de matériaux qui est nécessaire pour le site de l’Expo. L’entreprise fait donc d’une pierre deux coups : elle se débarrasse de ces matériaux à un coût intéressant et accède plus facilement à la pierre qui s’avère très en demande pour répondre au boum de construction de ces années précédant l’Expo. Selon l’appel d’offres, les matériaux seront déversés en priorité sur le site de l’île Ronde. La compagnie Francon respecte sans problème notable son contrat, finissant même quelques jours avant les délais prescrits et ne causant pas trop de désagrément pour les utilisateurs du pont. Rapidement, la Ville publie un nouvel appel d’offres pour obtenir un autre million de tonnes de matériaux, appel d’offres une nouvelle fois remporté par la compagnie Francon.

Les matériaux extraits lors du creusage du métro

Expo 67. Construction îles

L’incessant va-et-vient des camions provenant des carrières de Montréal et de la Rive-Sud déchargeant leur lots de matériaux de remblais
Archives de la Ville de Montréal. VM94-EX237-282.
En même temps, le comité exécutif de la Ville exige que tous les matériaux extraits lors du creusage pour la construction du métro soient détournés vers les îles. Bien que l’imaginaire collectif ait tendance à donner une grande importance à la terre du métro dans la construction des îles, elle ne représente en fait que 15 à 20 % de tout le remblai utilisé.

Par la suite, on procède à plusieurs autres appels d’offres pour des matériaux de remblai. Notons qu’une carrière située sur la Rive-Sud en a fourni un million de tonnes et qu’un autre million de tonnes a été extrait de la carrière Miron située à Saint-Michel. De plus petits volumes ont aussi été prélevés et transportés par plusieurs compagnies de construction.

Malgré tout ce que les dragues ont réussi à extraire du fleuve et les énormes quantités de remblai transportés par camion, la difficulté demeure : on n’aura pas assez de matériaux pour livrer les îles à temps. C’est alors que Fiset, l’architecte en chef de l’Expo, a une idée géniale : pourquoi ne pas diminuer les quantités de remblai nécessaires par l’ajout de lacs et de canaux? C’est ainsi qu’on crée de toute pièce le système de canaux de l’île Notre-Dame – canaux qui sont en grande partie responsable de l’ambiance extraordinaire du site. On décide aussi de ne pas remblayer l’ancienne île Ronde et d’y faire naître un lac – le lac des Dauphins.

Expo 67. Construction îles

Lentement mais sûrement la nouvelle configuration de la pointe est de l’île Sainte-Hélène prend forme
Archives de la Ville de Montréal. VM94-EX237-318.
Finalement, le 1er juillet 1964, lors de la cérémonie de remise des îles à la Compagnie canadienne de l’Exposition universelle de 1967 (la Nuit des Îles), le site est, pour l’essentiel, complet. Bien sûr, tout n’est pas terminé à cette date : une section de l’île Notre-Dame est encore en construction, mais il s’agit du secteur du parc situé à l’arrière du pavillon du Canada. Aucuns travaux d’infrastructure ne sont prévus dans ce secteur avant 1965, il n’y a donc pas d’urgence à tout compléter pour le 1er juillet. En fait, les travaux de remblayage continuent jusqu’à la fin du mois d’octobre 1964. Tout ceci ne concerne évidemment que les travaux sous la responsabilité de la Ville de Montréal. Pour la Cité du Havre, c’est très différent.

Transformation de la jetée MacKay

Expo 67. Construction îles

Photo prise de la Cité du Havre en construction montrant un camion orange à l'avant-plan et le Vieux-Montréal à l'arrière-plan
Photo de Yvon Maillé, collection privée.
La Cité du Havre est construite sur l’ancienne jetée MacKay, une langue de terre rapidement édifiée plusieurs décennies auparavant pour protéger le port de Montréal des glaces et des inondations lors des débâcles printanières du fleuve. Dans ce secteur longeant le quai Bickerdike et l’entrée du canal de Lachine, on trouve surtout des installations réservées au transport et au stockage du charbon, en grande partie destiné à l’industrie ferroviaire, notamment les installations du Canadien National de Pointe-Saint-Charles. La jetée MacKay n’a pas été construite pour l’usage prévu pour l’Exposition de Montréal. De grands travaux de remblayage sont nécessaires afin de convertir ce brise-lames plus ou moins large en porte d’entrée de l’Expo 67.

La jetée MacKay est sous la juridiction fédérale et la propriété du Conseil des ports nationaux, à qui il revient d’aménager le site pour l’Exposition; du moins, c’est ce que l’entente tripartite signée au début de 1963 spécifie. Mais Guy Beaudet, le directeur général du Port de Montréal, fait valoir qu’il n’a ni l’expertise, ni la main-d’œuvre et surtout pas le budget nécessaires pour ce genre de chantier. Il se tourne donc vers le ministère du Transport, à Ottawa, qui est le responsable de la société du Port de Montréal et le propriétaire des terrains. Après plusieurs séances de négociations tripartites – incluant le Conseil des ports nationaux, le ministère fédéral du Transport et la Compagnie canadienne de l’Exposition universelle de 1967 –, on parvient à une entente qui spécifie que la Compagnie sera le maître d’œuvre de ce chantier et que le ministère défraiera les coûts associés au remblai et à la mise en forme de la Cité du Havre. Les frais de l’aménagement du site relèvent de toute façon de la Compagnie.

À cette époque, seuls quelques bâtiments permanents doivent être érigés sur la Cité du Havre : l’édifice de l’administration et de la presse, le musée d’Art, le Centre international de la radiotélédiffusion et l’Expo-Théâtre. Le reste de ce secteur doit être un stationnement. Comme le projet Habitat 67 doit à l’origine occuper les quatre cinquièmes de la Cité du Havre, le stationnement est déplacé plus à l’ouest, entre les ponts Victoria et Champlain.

Pénurie de remblai?

Expo 67 - construction 1964

Vue montrant à l'avant-plan l'île Sainte-Hélène  avec un panneau disant \"Danger Expo 67 Construction\", avec Montréal à l'arrière-plan.
Photo de Yvon Maillé, collection privée.
Mais le même problème se pose pour la Cité du Havre : où trouver les matériaux de remblai? Le sol provenant de la construction du métro et les sédiments remontés du fond du fleuve sont, en grande partie, réservés à la construction de l’île Notre-Dame et à l’agrandissement de l’île Sainte-Hélène. On trouve donc d’autres sources : le sol récupéré lors de la construction de l’autoroute Décarie, les matériaux secs issus de la démolition du Village-aux-Oies, des sédiments fluviaux situés dans la section du quai Bickerdike ainsi que de la pierre et de la terre provenant de carrières de la région.

Même un petit renflement de terre qui se trouve au début de la jetée MacKay est transformé en carrière de pierre, tout comme les îles Ronde, Moffat et Verte. Ce secteur, situé en face de l’édifice de l’administration, va fournir une quantité assez importante de matériaux de remblai. Creusée profondément dans le lit même du fleuve, la carrière est simplement noyée par la suite. Ainsi on fait passer la jetée de 115 acres à une superficie totale de 134 acres; elle est allongée de 750 mètres et surélevée de 3 mètres, ce qui nécessite près de 1,75 million de tonnes de matériaux de remblai.

Expo 67 - 598 avant ouverture

Pancarte indiquant qu'il reste 598 jours avant l'ouverture de l'Expo. Il y a aussi des tables à pique-nique.
Photo de Yvon Maillé, collection privée.
Il faut aussi mentionner que d’autres projets reliés à l’Expo exigent une grande quantité de remblai : la construction et l’aménagement du stationnement Victoria; le prolongement de l’autoroute Bonaventure jusqu’à l’île des Sœurs; le remblayage de l’entrée est du canal de Lachine. En effet, il est décidé de fermer de façon permanente cette entrée du canal, rendu désuet par l’ouverture de la Voie maritime en 1959. Ceci a permis de construire un pont d’étagement moins haut pour le passage de l’autoroute Bonaventure au-dessus de la Voie maritime. Notons que l’entrée est du canal de Lachine, celle qui donne dans le port de Montréal, a été recreusée et réhabilitée en 1992, afin de rouvrir le canal à la navigation de plaisance.

La construction du site de l’Expo 67, en moins d’un an et demi, représente une prouesse d’ingénierie remarquable. Bien que certains ingénieurs aient fait valoir à plusieurs reprises que les travaux ne pourraient jamais être terminés à temps, la détermination et l’ingéniosité des spécialistes et des décideurs ont prouvé que le défi pouvait être relevé, et ce, avec brio!