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Le crime organisé à Montréal (1940-1960)

09 septembre 2019

Implanté dans les communautés culturelles et lié à la pègre internationale, le crime organisé montréalais s’impose dans toutes les activités illégales. Il corrompt aussi le monde légal et politique.

Le crime organisé

Le crime organisé

Durée : 12 min 08 s

Montage réalisé dans le cadre de l’exposition Scandale! Vice, crime et moralité à Montréal, 1940-1960, présentée au Centre d’histoire de Montréal du 15 novembre 2013 au 2 avril 2017.

Intervenants : Jean-Pierre Charbonneau, André Cédilot, Mario Latraverse, Claude Lavallée, Gilles Latulippe, Oliver Jones, Ethel Bruneau, Charles Darveau, Francine Grimaldi, Anouk Bélanger, Mathieu Lapointe et Magaly Brodeur.

Réalisation : 
Antonio Pierre de Almeida

Maison de jeu, 1946

Intérieur d’une pièce sombre au plancher carrelé où il n’y a que quelques meubles.
Archives de la Ville de Montréal. P43, S3, SS2, V3-E0110-007.
Par le passé comme aujourd’hui, le crime organisé montréalais reflète autant la répartition multiethnique de la pauvreté que la présence de réseaux internationaux liant la pègre locale aux mafias new-yorkaise ou marseillaise. Dans les années 1940 et 1950, alors que la communauté juive, issue d’une immigration récente et originaire d’Europe de l’Est, s’extirpe peu à peu de la pauvreté, une pègre juive contrôle, à Montréal comme à New York, une bonne partie des maisons de jeu — on peut penser à des gamblers (tenanciers de maisons de jeu et joueurs) comme Harry Ship, Max Shapiro, Harry Davis et son assassin Louis Bercowitz. Il y a aussi des réseaux criminels chinois dans Chinatown, irlandais dans Griffintown et dans l’ouest de la ville, et, bien sûr, canadiens-français et italiens. Ces divers éléments cohabitent au sein de la pègre montréalaise, dans la rivalité ou la collaboration.

À partir des années 1940 émerge la figure de Vic Cotroni, à la tête d’un clan calabrais, qui sera le parrain de la mafia italo-montréalaise pendant presque 30 ans. Avec son associé Armand Courville, il tisse des liens avec des gangsters juifs et noue des complicités dans le monde politique. Courville se vantera même à un moment d’être « l’organisateur en chef » du Parti libéral. Cotroni doit en partie son ascendant à ses dons de conciliateur. Il se fait remarquer par Carmine Galante, l’émissaire de la famille mafieuse new-yorkaise des Bonanno, lorsque celle-ci décide de s’implanter à Montréal au milieu des années 1950.

Les activités du crime organisé

Le crime organisé est alors impliqué dans toutes les activités illégales que l’on peut trouver à Montréal, y compris le prêt usuraire et l’extorsion. Ces trafics permettent à la pègre d’engranger des profits substantiels, d’entretenir son organisation et de consolider son pouvoir. Afin de blanchir les sommes amassées illégalement, elle achète des commerces et accapare certaines activités pour écouler ses gains et les faire fructifier. À cette époque, à Montréal, certains restaurants et un bon nombre, sinon la majorité, des cabarets sont la propriété de membres de la pègre. Les artistes le savent, mais doivent s’accommoder de ces patrons, qui ne les mêlent pas à leurs combines. Non seulement les cabarets permettent de blanchir de l’argent, mais ils peuvent aussi attirer une clientèle prête à utiliser d’autres « services », comme le jeu illégal ou la prostitution. Avant de devenir le fameux cabaret Au Faisan Doré en 1947, le Val d’Or Café, propriété de Vic Cotroni et ses associés, était un lieu bien connu de racolage. La pègre exerce aussi son influence sur les commerces qu’elle ne possède pas par le « racket de la protection », par lequel elle extorque régulièrement des sommes d’argent aux propriétaires, sous la menace de représailles.

De plus en plus, on entend parler de la mafia, une organisation structurée de façon hiérarchique et dominée par un parrain ayant autorité sur des lieutenants et des soldats. Les profits de leurs activités criminelles remontent le long de cette pyramide, palier par palier, chacun récupérant sa part au passage. Une structure en apparence très solide et dont on connaît mal le fonctionnement réel, qui est peu à peu perçue par la population comme la prochaine grande menace contre l’ordre et la paix sociale. L’enquête sénatoriale Kefauver, qui couvre les États-Unis en 1950 et 1951 et dont les audiences télédiffusées seront extrêmement populaires, répandra les connaissances et les rumeurs au sujet de cette organisation secrète.

Harry Davis - journal

Coupure d’un journal qui parle de l’assassinat de Harry Davis avec une photo de la victime et une du 1244, rue Stanley, lieu du meurtre.
La Patrie, 26 juillet 1946.
La pègre montréalaise sait généralement se faire discrète. Mais, à l’été 1946, des événements spectaculaires choquent la population. En l’espace d’une semaine, en plein centre-ville, une bombe explose à l’extérieur d’une maison de jeu, et un gangster notoire, Harry Davis, que certains affirment être le chef de la pègre, est assassiné dans son tripot de la rue Stanley. Les citoyens s’inquiètent, les éditorialistes s’emballent : Montréal serait-elle en passe de devenir une autre Chicago? La pègre, telle une pieuvre, aurait-elle étendu ses tentacules sur la ville tout entière? C’est à ce moment que la police, critiquée depuis des années pour son laxisme, nomme Pax Plante à la tête de l’escouade de la moralité. Le grand nettoyage s’amorce.

Ce texte de Mathieu Lapointe est tiré du livre Scandale! Le Montréal illicite 1940-1960, sous la direction de Catherine Charlebois et Mathieu Lapointe, Montréal, Cardinal, 2016, p. 154-156.

La pègre, une définition

Caricature « Lifting the Lid »

Caricature montrant une main énorme, identifiée comme celle de Pacifique Plante, qui soulève l’édifice du crime, sous lequel se trouvent plusieurs petits personnages qui fuient.
The Herald, 5 mars 1948.

« La pègre c’est un milieu. C’est le monde des criminels professionnels, des délinquants, qui plus souvent qu’autrement opèrent en groupes plus ou moins organisés, plus ou moins structurés. […] La pègre montréalaise, et on pourrait dire la même chose de la pègre québécoise (et c’est vrai partout dans le monde), […] prend la couleur de la réalité sociologique et de la réalité ethnoculturelle. » C’est ainsi que l’auteur Jean-Pierre Charbonneau décrit le monde du crime.

Références bibliographiques

CHARBONNEAU, Jean-Pierre. La filière canadienne, Montréal, Les Éditions de l’Homme, 2002, 597 p.

CHARLEBOIS, Catherine, et Mathieu LAPOINTE (dir.). Scandale! Le Montréal illicite 1940-1960, Montréal, Cardinal, 2016, 272 p.

DE CHAMPLAIN, Pierre. Histoire du crime organisé à Montréal de 1900 à 1980, Montréal, Les Éditions de l’Homme, 2014, 502 p.

LAPOINTE, Mathieu. Nettoyer Montréal : les campagnes de moralité publique, 1940-1954, Québec, Septentrion, 2014, 395 p.