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Portraits de quelques « membres distingués » de la pègre montréalaise

09 septembre 2019

Les années 1940-1950 sont celles de l’apogée de la pègre montréalaise. Les membres influents de cette « famille » infiltraient tous les milieux et nouaient des relations troubles.

« The mafia, they run their club. They’re business people; they didn’t bother the girls and the show. It wasn't like that. He’s sitting in the back; he's watching. » — Ethel Bruneau, danseuse et chanteuse
[« Les membres de la mafia, ils gèrent leur club. Ce sont des gens d’affaires. Ils ne dérangeaient pas les filles ni le spectacle. Ce n’était pas comme ça. Il s’asseyait au fond; il regardait. » — Ethel Bruneau, danseuse et chanteuse]

Le crime organisé s’implante à Montréal dès les années 1920 et accroît graduellement son influence. Dans les années 1940-1950, plusieurs boîtes de nuit, restaurants et maisons de jeu se trouvent ainsi sous l’emprise de la pègre locale et new-yorkaise. Trafic de drogue, contrebande, blanchiment d’argent, prostitution, jeu et paris illégaux, le monde interlope s’infiltre partout. Harry Davis et Harry Ship en sont deux représentants parmi les plus connus, mais les membres du réseau sont nombreux.

Vincenzo « Vic » Cotroni

Vincenzo « Vic » Cotroni

Photographie en noir et blanc en plan rapproché d’un homme vêtu d’un complet-cravate, de face et de côté.
Bibliothèque et Archives Canada. PA-144553.
Né dans la région de Calabre en Italie du Sud, Vincent Cotroni immigre avec sa famille au Québec en 1924. Vic travaille d’abord avec son père comme charpentier-menuisier. À la même époque, il entame aussi sa carrière de lutteur professionnel sous le nom de Vic Vincent, aux côtés d’Armand Courville, qui sera son ami et complice jusqu’à la fin. Ensemble, ils s’initient aux différentes activités criminelles de la métropole. Trafic illégal d’alcool, vols, voies de fait : les accusations se multiplient. En quelques années, l’univers de la prostitution, du jeu et des paris illégaux n’a plus de secrets pour ces deux acolytes, et leur renommée et leur influence dans le monde du crime montréalais ne cessent de grandir. Dans les années 1940, Cotroni acquiert plusieurs cabarets à Montréal, dont le célèbre Au Faisan Doré avec les frères Edmond et Marius Martin, deux membres de la mafia marseillaise impliqués dans le trafic d’héroïne à Montréal. Au milieu des années 1950, l’influente famille Bonanno, de la mafia new-yorkaise, lui confie la responsabilité de ses intérêts à Montréal. Le règne de Vic Cotroni sur le milieu interlope montréalais dure une trentaine d’années. Il meurt d’un cancer en 1984.

Armand Courville

Pègre montréalaise

Panneau d’exposition sur la pègre montréalaise présentant dix hommes et trois femmes.
Centre d’histoire de Montréal
Armand Courville rencontre Vic Cotroni au début des années 1930 alors qu’il entraîne le jeune Calabrais à la lutte professionnelle. Rapidement, les deux hommes deviennent amis et associés. Des maisons de jeu à la prostitution en passant par le blanchiment d’argent et les élections truquées, ils gravissent ensemble les échelons du crime organisé montréalais. À titre d’alter ego de Vic Cotroni, Armand Courville a sans aucun doute été le caïd canadien-français le plus puissant de son époque.

Carmine « Lilo » Galante

Né aux États-Unis, ce criminel d’origine sicilienne est le numéro deux de l’une des cinq grandes familles du crime organisé new-yorkais : les Bonanno. Chargé d’étendre l’influence de la famiglia au Québec, il arrive à Montréal en 1952 et prend le contrôle du monde interlope montréalais avec l’appui des Cotroni et de Luigi Greco. En 1955, il est cependant forcé de quitter le pays, et Vic Cotroni prend alors la relève. L’ambition et la soif de pouvoir de Galante auront toutefois raison de lui : il sera froidement assassiné en juillet 1979.

Lucien Rivard

Criminel depuis son adolescence, Lucien Rivard se tourne vers le trafic de drogue au début des années 1950. Soutenu par la mafia, il devient l’un des maillons clés de la French Connection, le réseau international de trafic d’héroïne gravitant autour de la pègre marseillaise. Arrêté et emprisonné en 1963, il s’échappe de la prison de Bordeaux en 1965. Sa cavale rocambolesque dure plusieurs mois. Finalement incarcéré aux États-Unis, il sera libéré dans les années 1970 et mènera une vie bien discrète jusqu’à sa mort.

Harry Feldman

D’origine juive, Harry Feldman émigre très jeune des États-Unis à Montréal et trempe rapidement dans le milieu criminel. En 1932, il ouvre une importante maison de jeu située sur la rue Sainte-Catherine. La police effectue près de 200 descentes dans son établissement, mais il réussit tout de même à maintenir ses activités jusqu’en 1946. Cet exemple flagrant de tolérance policière choque Pax Plante qui dénonce ouvertement l’entreprise de Feldman à la fin des années 1940. Feldman se retire finalement du monde du jeu clandestin et meurt quelques années plus tard.

Max Shapiro

Joueur invétéré et personnage central de la pègre juive montréalaise, Max Shapiro évolue dans le milieu interlope aux côtés notamment d’Harry Davis. Il dirige de nombreux établissements de jeu et paris illégaux à Montréal et possède aussi des intérêts dans divers clubs et restaurants, dont le Ruby Foo’s et le Bonfire du boulevard Décarie. Parmi ses associés directs, il compte Carmine Galente, Vic Cotroni, Luigi Greco, Frank Petrula et Harry Ship.

Frank Petrula

Frank Pretula

Photographie de profil et de face d’un homme portant un complet.
Archives de la Ville de Montréal. P43, S3, SS2, vol. 40, E466-01.
D’origine ukrainienne, Frank Petrula commence sa carrière de criminel aux côtés de Luigi Greco. Il travaille d’abord pour Harry Davis au milieu des années 1940 et gravit ensuite les échelons du monde illégal. En 1955, la police fédérale découvre dans sa résidence une liste de noms de politiciens et de journalistes qui avaient reçu des pots-de-vin de la mafia durant l’élection municipale d’octobre 1954. Petrula disparaît mystérieusement en 1958. Selon les rumeurs, il aurait été assassiné…

Luigi Greco

Fils d’immigrant italien, Luigi Greco s’initie très tôt au monde interlope montréalais avec son ami Frank Petrula. Ensemble, ils font les quatre cents coups, et Greco se retrouve en prison pour vol à main armée au tournant des années 1940. À sa sortie de prison, il devient le chauffeur d’Harry Davis. Il s’allie, au début des années 1950, à Carmine Galante et aux frères Cotroni (Vic, Pep et Frank). Impliqué dans une multitude d’escroqueries, dont la contrebande de drogue, il est l’un des personnages centraux de la mafia montréalaise. Il décède accidentellement en 1972.

Giuseppe « Pep » Cotroni

Giuseppe Cotroni rejoint très tôt les rangs du crime organisé montréalais aux côtés de son frère aîné Vic. Condamné à plusieurs reprises pour différents délits, il se lie à Lucien Rivard et à la « French Connection » dans le trafic international de l’héroïne. Pris au piège par un agent américain de lutte antidrogue, il écope d’une sentence de prison de 10 ans en 1959. Après sa libération, il reprend rapidement ses activités illicites, mais sans l’éclat d’antan.

Ce texte de Maryse Bédard est tiré du livre Scandale! Le Montréal illicite 1940-1960, sous la direction de Catherine Charlebois et Mathieu Lapointe, Montréal, Cardinal, 2016, p. 173, et de l’exposition Scandale! Vice, crime et moralité à Montréal, 1940-1960.

Références bibliographiques

BRODEUR, Magaly. Vice et corruption à Montréal, 18921970, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2011, 129 p.

CHARLEBOIS, Catherine, et Mathieu LAPOINTE (dir.). Scandale! Le Montréal illicite 1940-1960, Montréal, Cardinal, 2016, 272 p.

CHARBONNEAU, Jean-Pierre. La filière canadienne, Montréal, Les Éditions de l’Homme, 2002, 597 p.

DE CHAMPLAIN, Pierre. Histoire du crime organisé à Montréal de 1900 à 1980, Montréal, Les Éditions de l’Homme, 2014, 502 p.