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Première tentative de Montréal pour obtenir l’Exposition universelle de 1967

26 avril 2017

Grand dossier

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En 1958, à l’Exposition de Bruxelles, le sénateur Mark Drouin fait une annonce qui conduira à la candidature de Montréal pour l’Exposition universelle de 1967. Un très long processus est enclenché.

Lors des expositions internationales, une journée est traditionnellement réservée à chacun des pays participants. On invite alors le représentant du pays — que ce soit une tête couronnée ou simplement un ministre — à une cérémonie officielle.

Le 25 août 1958 est la Journée du Canada à l’Exposition de Bruxelles. Alors que normalement le premier ministre, John Diefenbaker, devait être présent ce jour-là, il se fait remplacer par le président du Sénat, le sénateur Mark Drouin. Lors de son allocution officielle, le sénateur ajoute une petite phrase qui va changer le cours de l’histoire pour Montréal. The Gazette du 28 août 1958 la rapporte ainsi : « I believe a fair would be a grand thing for our country and I intend to do everything I possibly can to help bring it about. (Je crois qu’une exposition serait une chose remarquable pour notre pays et j’ai l’intention de faire tout ce qui est possible pour sa réalisation.) » Il ajoute par la suite que, selon lui, la meilleure ville pour accueillir cette exposition serait Montréal, carrefour des deux civilisations fondatrices du pays qui allait, en 1967, célébrer 100 ans d’existence. De plus, une exposition universelle serait la façon idéale de souligner le centenaire de la Confédération, selon lui. Bien sûr le premier ministre n’avait pas mandaté le sénateur Drouin pour faire cette annonce et il l’apprit après que le discours eut été présenté au public. Fut-il fâché de cette annonce? Difficile à dire, mais, chose certaine, il n’exprima pas un enthousiasme fou…

Des soutiens politiques frileux

Sarto Fournier

Photo de Sarto Fournier.
Années 1950. Archives de la Ville de Montréal. VM6,D026-38.
La nouvelle se répand rapidement, particulièrement dans les journaux montréalais. On s’accorde souvent à dire que Sarto Fournier, le maire de Montréal de l’époque, aurait accueilli cette proposition avec engouement mais, en réalité, sans s’opposer au projet, il s’impliquera peu au départ dans ce dossier qui sera plutôt porté par les gens d’affaires. En fait, Claude Dupras, président de la Jeune Chambre de commerce de Montréal s’emballe le premier, réunissant plusieurs acteurs économiques et politiques importants de la région de Montréal autour d’une même table, avec la collaboration de Jean-Claude Asselin, le président de la Chambre de commerce du Grand Montréal. Les deux hommes rencontrent le maire Fournier qui, voyant les milieux des affaires mobilisés, démontre un peu plus d’enthousiasme pour ce projet et offre les services du directeur de l’Office d’initiative économique de Montréal, l’économiste R. Longval, pour préparer le dossier avant la rencontre avec le premier ministre Diefenbaker. Il fait aussi adopter par le conseil municipal une résolution d’appui.

Mais le plus difficile reste à faire : convaincre Diefenbaker de s’engager dans un projet qui sera coûteux et risqué alors qu’il vient d’obtenir un gouvernement majoritaire en 1958 et règne en maître sur le Canada, y compris sur le Québec. Le premier ministre de la province, Maurice Duplessis, quant à lui, préfère attendre l’engagement du fédéral avant de se prononcer. Le maire de Toronto, Nathan Phillips, lui, crie à l’injustice et demande formellement au premier ministre, par télégramme, que celui-ci « n’entreprenne aucune action » en lien avec la suggestion de Mark Drouin puisque la Ville de Toronto a déjà, depuis plusieurs années, le projet d’une exposition internationale.

Le 4 avril 1959, les représentants du comité Expo 1967 des chambres de commerce, accompagnés du ministre des Postes, William Hamilton, qui est député de Notre-Dame de Grâce, rencontrent finalement John Diefenbaker, mais sans la présence du maire Fournier — certains diront que celui-ci ne souhaitait pas discuter avec un premier ministre conservateur alors qu’il était lui-même sénateur libéral… Après avoir brièvement feuilleté le document du projet, Diefenbaker pose deux questions : « Combien cela va-t-il coûter? » et « Qu’en pense Duplessis? » Or l’évaluation des coûts n’est pas encore terminée, et les représentants de Montréal ne peuvent répondre à cette question. Diefenbaker refuse alors d’aller plus loin tant que les coûts ne sont pas connus, mais la candidature du Canada doit absolument être déposée au Bureau International des Expositions (BIE) avant le 4 mai 1960. À ce moment, seules Vienne et New York sont des candidates potentielles pour l’Exposition de 1967, bien que les États-Unis ne soient pas membres du BIE. La France a jonglé avec l’idée d’organiser une exposition pour 1966, mais elle n’a pas déposé sa candidature.

Un montage financier tripartite convaincant

Malgré les délais très serrés, on fait parvenir rapidement au premier ministre une évaluation des coûts, mais celui-ci hésite encore à s’engager, tout en admettant qu’un évènement à caractère international serait une très bonne façon de célébrer le centenaire de la Confédération. C’est le premier ministre Duplessis qui finit par convaincre Diefenbaker en proposant un montage financier tripartite : la Ville de Montréal s’engage pour 5 millions de dollars, le gouvernement provincial pour 15 millions et le gouvernement fédéral pour 20 millions. Finalement, Diefenbaker dit oui et dépose auprès du BIE, au nom du Canada, la candidature de Montréal en février 1960. Il ne reste plus que l’Autriche en lisse, les États-Unis se sont désistés, sachant très bien que la candidature de New York serait officiellement refusée puisqu’elle contrevenait à plusieurs des règlements du BIE.

Les dossiers des deux villes, Montréal et Vienne, doivent être présentés aux membres du BIE à sa session ordinaire du 8 mars 1960. Or, coup d’éclat, l’URSS, nouvellement admise au sein du BIE (en novembre 1959), demande un délai la journée même, afin de préparer la candidature de Moscou. Et à la surprise de tous, les membres du BIE disent oui à la Russie… Les dossiers seront étudiés lors d’une réunion extraordinaire du Bureau, le 5 mai. Mais pourquoi avoir accepté ce délai? Il y a plusieurs hypothèses à ce sujet.

Le poids des relations internationales

En 1960, on est en période de « détente » dans les relations entre les pays du bloc soviétique et les alliés des États-Unis. En 1959, dans le cadre d’une entente d’échange culturel entre l’URSS et les États-Unis, une grande exposition américaine a été présentée à Moscou avec beaucoup de succès, et New York recevait à la même période une exposition sur le mode de vie et les réalisations de l’Union soviétique. L’Angleterre a pris le relais en 1961 avec un échange Londres-Moscou du même type, suivie de Paris quelques mois plus tard. On veut donc se montrer plus ouvert aux dirigeants de l’URSS et, par le fait même, plus complaisant. Ceci pourrait en grande partie expliquer l’ouverture du BIE à la candidature de Moscou qui voulait célébrer en grand le 50e anniversaire de la Révolution, en 1967. Léon Baretti, le président du BIE, ne s’expliqua jamais sur le bien-fondé de cette décision. Il fut par contre un allié inconditionnel du Canada lors du 2e dépôt de candidature, en 1962.

Par ailleurs, aucune explication n’a été donnée sur la non-réaction du Canada. En effet, aucune protestation officielle n’a été présentée de la part des délégués canadiens présents au BIE le 8 mars. L’achat de quantités considérables de blé canadien par Moscou a probablement joué dans la balance, le Canada voulant éviter une confrontation avec son client. Et aucune explication n’a été fournie sur la non-intervention du ministère des Affaires internationales lorsque l’URSS a fait entrer par la suite sept nouveaux membres au BIE — tous des satellites du bloc soviétique : la Pologne, la Roumanie, la Tchécoslovaquie, la Bulgarie, l’Ukraine, la Biélorussie et la Hongrie. Vienne s’étant désistée au profit du Canada, il devient évident que l’exposition de 1967 sera accordée à Montréal. La Russie l’a rapidement compris et décide de prendre le contrôle du vote en inscrivant au BIE sept pays soviétiques qui « voter[ont] du bon côté ». Malgré cela, il faut trois tours de scrutin avant de départager le vainqueur, et Moscou ne gagne que par une voix.

Un dossier sous-estimé

Qu’ont fait les représentants canadiens entre-temps et où était le maire Fournier? Celui-ci n’assiste pas à la rencontre du 8 mars. Il justifie ainsi son absence à un journaliste du Montreal Star : « This is a Federal and Provincial matter. A fair would be a marvelous thing for Montreal and I would give it fullest and most enthusiastic support as would the people of Montreal. But it is not up to me to bring it to us. (C’est une question fédérale et provinciale. Une exposition serait une chose merveilleuse pour Montréal, et je lui donnerais mon soutien le plus complet et le plus enthousiaste, comme le feraient les Montréalais. Mais sa tenue n’est pas de mon ressort.) » En fait, tout semble indiquer que le dossier de l’exposition universelle n’a pas été l’objet d’une véritable priorisation de la part des employés du ministère des Affaires extérieures, ni du gouvernement de Diefenbaker d’ailleurs. Le maire Fournier lui-même, lors d’une visite antérieure à la réunion du 5 mai, se voit refuser l’aide du corps consulaire alors qu’il essaie de faire valoir la candidature de Montréal.

Au retour de la délégation canadienne, après le revers de la candidature canadienne, les journalistes et les milieux d’affaires soulignent surtout l’incompétence du ministre Hamilton comme raison principale de cet échec. Sarto Fournier avait déjà baissé les bras et n’était pas officiellement présent à la session du BIE (il était à Paris ce jour-là, mais ce sont des gens d’affaires qui finançaient son voyage). Rapidement, on oubliera tout simplement ce projet. Il ressurgira cependant, inopinément, deux ans plus tard et connaîtra une fin beaucoup plus heureuse. Après bien des péripéties, Montréal obtiendra enfin l’Exposition universelle de 1967.