Quelques milliers de personnes venues de la Syrie « historique » sont entrées au Canada avant 1940. Grâce notamment au travail, ces immigrants ont créé des liens sociaux au-delà de leur communauté.
Min Zamaan - Syrian Ladies Benevolent Society
Les motifs à l’origine de cette immigration sont attribuables à un ensemble de facteurs : les difficultés économiques et l’incertitude dans certaines régions du Bilad al-Sham; l’attrait d’une meilleure vie dans le Nouveau Monde; le souvenir des conflits intercommunautaires de 1860 au Mont-Liban et en Syrie, et la crainte qu’ils n’éclatent à nouveau; les inquiétudes au sujet de la suspension de la constitution ottomane en 1878; les attaques de 1895 et 1896 contre les chrétiens de Mardin et des régions avoisinantes. Rappelons que le XIXe siècle fut une période de changements considérables en Syrie ottomane et dans le monde.
L’attrait de l’Amérique
Cinéma Château
Migrer en Amerka est une aventure coûteuse. Toutes sortes de dépenses jalonnent le parcours : le coût des permis de sortie et des autres documents, officiels ou non, délivrés par les autorités ottomanes; les frais demandés par les passeurs; les pots-de-vin; les frais d’hébergement à tous les arrêts; le coût des billets et du transport des bagages, etc. En cours de route, des agents de voyage et des vendeurs de billets peu scrupuleux peuvent augmenter les prix ou voler l’argent des migrants peu méfiants, les laissant sans ressources.
À la fin du périple, il y a des conditions financières à respecter : pour entrer légalement au Canada, les immigrants syriens doivent avoir en leur possession au moins 50 $ et, après 1908, 200 $. À partir de 1908, les immigrants syriens sont en effet soumis aux conditions d’entrée imposées par le gouvernement canadien à l’immigration asiatique, ainsi désignée et que le gouvernement cherche à empêcher. En dépit de ces obstacles, les Syriens continuent d’entrer au Canada, mais en plus petit nombre. La Première Guerre mondiale vient temporairement mettre un terme à toutes les vagues d’immigration. Après la guerre, le nombre d’entrées est faible et, en 1930, le gouvernement canadien adopte le règlement PC 2115 qui ferme encore davantage la porte aux Asiatiques, incluant les Syriens.
Une communauté au travail
Min Zamaan - magasin Aboud et Boosamra
Il est un métier que les Québécois associeront aux Syriens au point d’en faire une expression. « Le Syrien s’en vient », dit-on pour signaler l’arrivée du colporteur. Au début, le rayon d’action des colporteurs se limite à Montréal et à ses environs. Mais à mesure que les immigrants arrivent, la concurrence augmente et la recherche de nouveaux marchés pousse l’activité vers les régions éloignées du Québec rural. Les grossistes de Montréal, anciens colporteurs eux-mêmes dans bien des cas, avancent de l’argent ou des marchandises aux kashshashin, les colporteurs. Un lien de dépendance s’établit alors entre les grossistes et les vendeurs ambulants, du moins jusqu’à ce que les recettes de ceux-ci deviennent régulières.
Entre intégration et tradition
Les colporteurs vont de village en village et d’une ferme à l’autre, à pied ou en charrette à cheval, avec des valises et des sacs remplis de menus articles : boutons, épingles, fils, ciseaux, dentelles, tissus, bas, stylos, objets religieux, etc. Nombreux sont ceux qui finissent par s’installer dans les villes qu’ils visitent. Dès 1910, des familles d’origine syrienne sont établies à Mont-Joli, La Pocatière, Saint-Michel-des-Saints, Rouyn, Trois-Rivières, Sherbrooke et dans d’autres petites villes et villages partout au Québec.
Le colportage est un travail difficile et exigeant, mais il a permis l’adaptation et l’intégration sociale, culturelle et linguistique des nouveaux arrivants syriens. Ce travail permettait aux immigrants d’être en contact direct avec les Québécois francophones et anglophones ainsi qu’avec les Autochtones. Il les aidait à perfectionner leur connaissance du français et de l’anglais.
Pour ces premiers immigrants, la famille et la communauté jouent un rôle central et leur permettent d’exprimer leurs particularités et de sauvegarder leurs coutumes, leurs traditions. Les mariages se font généralement entre gens de même confession ou du même lieu d’origine, aussi bien pour les premiers arrivants que pour la première génération née au Canada. Mais les immigrants du Bilad al-Sham vont peu à peu créer un éventail de liens sociaux qui vont dépasser les limites de la famille et de la communauté. Ils deviennent ces Montréalais, Québécois et Canadiens que sont aujourd’hui les Rossy, Bounadère, Aboud...
Cet article a été réalisé à partir des recherches et des textes de Brian Aboud, rédigés pour le Centre d’histoire de Montréal, dans le cadre de l’exposition temporaire Min Zamaan — Depuis longtemps, présentée au Centre d’histoire de Montréal du 10 octobre 2002 au 8 juin 2003. Il est paru dans le numéro 44 du bulletin imprimé Montréal Clic, publié par le Centre d’histoire de 1991 à 2008.
Contrairement à la croyance populaire, la majorité des premiers immigrants syro-libanais étaient chrétiens et non musulmans. Ils appartenaient à l’une des nombreuses Églises de rite oriental : grecque-melchite catholique, catholique maronite, orthodoxe d’Antioche (aussi appelée « syrienne » ou « grecque »), syriaque orthodoxe et catholique. Au début, les Syriens chrétiens assistaient aux offices religieux dans des maisons privées, des chapelles temporaires ou des églises catholiques romaines ou protestantes.
Au tournant du XXe siècle, les Syriens orthodoxes d’Antioche constituent le groupe de chrétiens syriens le plus important à Montréal. Entre 1905 et 1910, ils y forment deux communautés qui établiront par la suite des lieux de culte. L’un des deux groupes assiste aux offices dans la nouvelle cathédrale de la rue Notre-Dame; l’autre, dans une manufacture réaménagée de la rue Vitré. Dans les conversations quotidiennes, on appelle le premier lieu de culte « église haute » et le second « église basse ». Aujourd’hui, l’église orthodoxe d’Antioche Saint-Nicolas est située sur la rue De Castelnau et l’autre, l’église orthodoxe Saint-Georges, rue Jean-Talon Est.
FARAH-LAJOIE, Georges. Ma version de l’affaire Delorme, Toronto, Central News, 1922, 105 p.
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