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Querelle pour une paroisse

02 juin 2017
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En 1866, un projet de l’évêque de Montréal menace l’intégrité des églises irlandaises catholiques. Le père Patrick Dowd, curé de l’église Saint-Patrick, compte parmi ses plus farouches opposants.

Père Dowd

Photo du père Dowd assis sur un fauteuil.
1877. Le père Patrick Dowd. Bureau des brevets et du droit d'auteur/Bibliothèque et Archives Canada. C-051651.
Lorsque le père Dowd arrive d’Irlande à Montréal en 1848, la communauté irlandaise catholique est en pleine crise. La Grande Famine d’Irlande entraine la venue de milliers d’Irlandais catholiques qui viennent s’ajouter à leurs nombreux compatriotes installés depuis 1815. Au milieu du XIXe siècle, ils forment plus du quart de la population de la ville. Le père Dowd, qui devient, dès son arrivée, le curé de l’église Saint-Patrick, participe à la mise en place d’un réseau de services destinés à cette communauté en pleine croissance. Il se positionne dès lors comme le fidèle défenseur des institutions religieuses propres aux Irlandais catholiques. 

Lorsque près de 20 ans plus tard, l’évêque de Montréal, monseigneur Bourget, reconnu comme l’un des visages de l’ultramontanisme dans la métropole, a pour projet de démembrer la paroisse Notre-Dame en plusieurs petites paroisses, il trouve le père Dowd sur son chemin.

La paroisse Notre-Dame et les églises irlandaises

Père Dowd - Canadian illustrated News

Le père Dowd s'adressant à la foule depuis le presbytère de l'église Saint-Patrick.
Canadian Illustrated News, 25 août 1877, vol. XVI, no 8, p 116. Bibliothèque et Archives Canada.
Depuis l’époque de la Nouvelle-France, une seule paroisse couvre Montréal et ses environs, la paroisse Notre-Dame. Dès ses débuts, cette paroisse est dirigée par les Sulpiciens. Ces derniers, en plus d’avoir été les seigneurs de l’île pendant près de deux siècles, ont un important pouvoir sur l’Église catholique de Montréal. Ils sont aussi les alliés de la communauté catholique irlandaise.

Les Irlandais catholiques partagent d’abord les lieux de culte avec la majorité canadienne-française. Répandus à travers la ville, ils sont souvent minoritaires et dépendent du clergé francophone. Rapidement, les Irlandais réclament une institution propre à leur communauté. Avec la collaboration des Sulpiciens, l’église Saint-Patrick est ouverte en 1847 rue Dorchester (actuel boulevard René-Lévesque). Quelques années plus tard, l’église Sainte-Anne est bâtie dans Griffintown. Ces deux églises sont considérées comme des « succursales » de la paroisse Notre-Dame.

Monseigneur Bourget et le père Dowd

Père Dowd

Vitrail du père Dowd dans la basilique de Saint-Patrick
Centre d'histoire de Montréal.
En 1866, monseigneur Bourget annonce le démembrement de la paroisse Notre-Dame. L’objectif est simple : créer de petites paroisses autonomes, et définies par des frontières, qui offrent une proximité entre les fidèles et leur curé. Comme l’explique monseigneur Bourget, cette nouvelle structure permet un meilleur contrôle sur les âmes exposées aux multiples tentations de la vie urbaine : « As must be clear to every one of you, in large towns there are more disorders to correct, more false principles to root out, more scandals to remove, more enemies visible and invisible to overcome. » [« Comme cela doit être clair pour vous tous, il existe dans les grandes villes plus de désordres à corriger, plus de principes trompeurs à éradiquer, plus de scandales à dissiper, plus d’ennemis visibles et invisibles à vaincre. »] Concrètement, ceci signifie que tous les catholiques, anglophones ou francophones, d’un secteur fréquenteront la même église. Les paroisses Saint-Patrick et Saint-Jacques sont d’abord créées, puis, l’année suivante, huit paroisses, dont Sainte-Anne, sont canoniquement érigées.

Sans surprise, les Sulpiciens, dont le père Dowd, crient au scandale et mobilisent la population irlando-catholique. Ils dénoncent le projet comme une attaque directe à la communauté irlandaise et une tentative d’assimilation. Pour le père Dowd, les institutions religieuses irlandaises garantissent, ni plus ni moins, l’unité de la communauté et sa survie culturelle au sein d’une population où elle est minoritaire. Comme il l’explique, ces églises représentent un lieu où les Irlandais « peuvent se réunir en paix pour vénérer Dieu; sans qu’on leur rappelle, chaque fois, qu’ils sont une minorité et que, de ce fait, leur place est secondaire. » [« may meet in peace to worship God; without being reminded, each time, that they are a minority, and that, by right, the second place is theirs. »] Il craint aussi de briser l’harmonie qui prévaut entre francophones et anglophones en les forçant à partager un même lieu.

En amont de cette guerre pour la défense de la communauté irlandaise catholique de Montréal se cachent des enjeux de pouvoir et d’argent. Pour les Sulpiciens, le démembrement de la paroisse Notre-Dame porte une atteinte directe à leur suprématie. Pour le père Dowd, la nouvelle autonomie paroissiale signifie, entre autres, plus de responsabilités financières et une moins grande influence sur ses fidèles irlandais.

Les paroisses jumelles

Père Dowd - carte des paroisses de l'archidiocèse

Carte des paroisses de l’Archidiocèse de Montréal.
1962. Paroisses de l’Archidiocèse de Montréal. Archives de la Ville de Montréal. CA M001 VM066-7-P007.
Dans les années 1870, après une longue lutte, des décisions papales et légales sont prises pour forcer la reconnaissance des nouvelles paroisses. Grâce aux pressions de la communauté irlando-catholique et aux représentations du père Dowd, les cartes paroissiales sont redessinées afin de permettre à deux églises de partager un même territoire. Les paroisses Saint-Patrick et Notre-Dame ont donc un territoire commun dans lequel Irlandais et Canadiens français ont chacun leur église.

Plus largement, cette nouvelle définition territoriale amène un changement notoire pour Montréal : dès lors, les résidants catholiques ne s’identifient plus à leur quartier ou à leur côte, mais à leur paroisse.

Des églises côte à côte

Églises Pointe-Saint-Charles

Les églises Saint-Gabriel et Saint-Charles dans la rue Centre.
2017. Photo de Denis-Carl Robidoux, Centre d'histoire de Montréal.

Au fil des ans, les paroisses se multiplient à travers l’île. Dans Pointe-Saint-Charles, en 1875, la paroisse Saint-Gabriel est érigée comme « paroisse mixte », c’est-à-dire qu’elle accueille autant les anglophones que les francophones du secteur. Malgré de bonnes relations, la population canadienne-française, en croissance dans ce quartier, demande l’érection d’une nouvelle paroisse qui lui serait propre. En 1883, la paroisse Saint-Charles est créée. Dans les années subséquentes, anglophones et francophones construisent côte à côte leurs églises qui sont toujours voisines au XXIe siècle dans la rue Centre, à Pointe-Saint-Charles.

Quelques traces du père Dowd

Le 19 mai 1887, une grande fête est donnée en l’honneur du jubilé des pères Dowd et Toupin. Le livre créé pour l’évènement est disponible ici.

Aussi, si vous contournez l’imposante église Saint-Patrick par la rue Saint-Alexandre, vous croiserez la rue Dowd, symbole toponymique d’un bâtisseur de la communauté irlando-catholique de Montréal.

Définition de ultramontanisme

L’ultramontanisme se déploie au Québec au XIXe siècle. Ses principaux protagonistes sont monseigneur Jean-Jacques Lartigue, le premier évêque de Montréal, son successeur, monseigneur Ignace Bourget, et monseigneur Louis-François LaFlèche, l’évêque de Trois-Rivières. Ils défendent un ensemble de doctrines favorables à l’autorité absolue du pape et du clergé sur la société civile. Ils sont, par exemple, les fiers partisans d’un système d’éducation contrôlé par l’Église.

Références bibliographiques

Archives de la Chancellerie de l’Archevêché de Montréal, 355.121, 866-8, 
8 novembre 1866, extrait de TRIGGER, Rosalyn. « The geopolitics of the Irish-Catholic parish in nineteenth-century Montreal », Journal of Historical Geography, 27, 4, 2001

LINTEAU, Paul-André. Histoire de Montréal depuis la Confédération, Montréal, Boréal, 2000, 627 p. 

MCQUILLAN, Aidan. « Des chemins divergents : les Irlandais et les Canadiens français au XIXe siècle », Culture française d’Amérique, 1999, p. 133-166.

TRIGGER, Rosalyn. The Role of the Parish in Fostering Irish-Catholic Identity in Nineteenth-Century Montreal, Mémoire (M.A.), McGill University, 1997. 

TRIGGER, Rosalyn. « The geopolitics of the Irish-Catholic parish in nineteenth-century Montreal », Journal of Historical Geography, 27, 4, 2001, p. 553-572.