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Le village des Tanneries à l’origine de Saint-Henri

01 août 2024

Les Tanneries, village des Tanneries, Tanneries-des-Rolland, Saint-Henri-des-Tanneries… Pendant près de 200 ans, l’actuel Saint-Henri a porté un nom lié au travail du cuir qui y avait cours.

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Carte de Montréal de 1831
BAnQ Numérique
Le mot tannerie réfère à un bâtiment voué au tannage, une des étapes du travail du cuir. Le tannage artisanal est un processus chimique complexe de plusieurs étapes dont l’objectif est de transformer les peaux d’animaux en cuir, rendant la fibre imperméable et résistante. On utilise une matière naturelle appelée « tan » ou « tannin » qui, au contact des peaux, resserre les pores et empêche la putréfaction. En Nouvelle-France, c’est souvent l’écorce de pruche, réduite en poudre dans un moulin, qui est utilisée pour réaliser le tannage.

Les premières activités de tannage dans l’actuel territoire de Saint-Henri, compris à l’ouest de la rue Atwater, au sud de la rue Saint-Antoine, à l’est de l’échangeur Turcot et au nord du canal de Lachine, remontent à la fin du XVIIe siècle. Ville-Marie compte alors moins de 1000 habitants, concentrés dans les limites actuelles du Vieux-Montréal. Deux chemins assurent à l’époque la connexion entre ce noyau de population et l’ouest de l’île : le chemin de Lachine, longeant le fleuve Saint-Laurent, et le chemin du coteau Saint-Pierre, plus tard connu sous le nom de Upper Lachine Road. Longeant la rivière Saint-Pierre (aujourd’hui disparue), ce deuxième chemin est à l’origine du peuplement du futur village des Tanneries.

Une première tannerie à Montréal

Tanneries

Photo en noir et blanc d’une rue en terre bordée d’arbres d’un côté et de maisons de l’autre.
Bibliothèque et Archives Canada. PA-123822.
En 1686, trois marchands de Montréal, messieurs Jean Mouchère, André David et Jean DeDieu font l’acquisition d’une terre en bordure de la rivière Saint-Pierre et y font construire la première tannerie sur l’île, ainsi qu’un moulin à tan. Selon la chercheure Catherine Séguin, les bâtiments auraient été situés tout près de l’emplacement actuel de l’église Sainte-Élisabeth-du-Portugal, à l’angle des rues Saint-Jacques et de Courcelles. Le choix du lieu, à proximité de la rivière et de nombreux autres ruisseaux, n’est pas anodin : le tannage requiert de grandes quantités d’eau pour nettoyer les peaux et les faire tremper. Par surcroît, l’opération dégage de fortes odeurs nauséabondes et est donc souvent réalisée à bonne distance des villes et villages. La première tannerie de Montréal est ainsi parfaitement située pour satisfaire à ces conditions.

Entre 1691 et 1713, les bâtiments d’abord exploités par Mouchère, David et DeDieu sont successivement vendus à d’autres marchands qui continuent le travail de tannage sur les lieux. Jacques Baillet est le premier à prendre le relais : il fonde avec Pierre Duroy, de la ville de Québec, une société fort profitable qui fonctionne jusqu’en 1699, au moment où Charles Delaunay fait l’achat des parts de Duroy et Baillet. Au début du XVIIIe siècle, Delaunay fait affaire avec les bouchers de la ville pour s’approvisionner en peaux. Dès 1706, à la suite d’une ordonnance de l’intendant Jacques Raudot, les cinq bouchers de Montréal doivent obligatoirement fournir les peaux de leurs animaux à la tannerie de Delaunay.

La dynastie du cuir des Rolland

En 1707, Delaunay prend pour apprenti un jeune homme de 19 ans nommé Gabriel Lenoir Rolland (1688-1751). Lenoir Rolland devient en 1713 l’associé de Delaunay puis épouse sa fille Marie-Josèphe Delaunay l’année suivante. Les enfants issus de cette union pratiquent également le métier de tanneur; une bonne partie de leurs enfants (donc, des petits-enfants de Gabriel Lenoir Rolland) suivent également les traces de leur grand-père.

Selon l’historienne Jocelyne Perrier, c’est le métier de tanneur qui se transmet le plus d’une génération à l’autre en Nouvelle-France. En effet, il est plutôt rare à l’époque qu’on recrute des apprentis à l’extérieur de la famille. Il est fréquent, également, que deux familles de tanneurs s’unissent à travers un mariage et profitent mutuellement des installations de l’une et l’autre des tanneries. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant de constater que les Delaunay et les Rolland possèdent des terres adjacentes et concentrent leurs activités au même endroit.

Au courant du XVIIIe siècle, l’industrie du cuir continue d’attirer plusieurs dizaines d’habitants dans le secteur de la première tannerie. La proportion de la famille Rolland au sein de ce village en formation est élevée : en 1781, 6 des 12 maisons qui s’y trouvent appartiennent aux descendants de Gabriel Lenoir Rolland. Ils exploitent aussi les trois quarts des tanneries qui constituent alors la principale activité économique du secteur.

Le développement du village des Tanneries

BM99-1_01-258

Aquarelle d’un paysage de campagne avec un chemin de terre au centre.
Archives de la Ville de Montréal. BM99-1_01-258.
Outre les activités du cuir, la présence de l’Upper Lachine Road, principale route empruntée par les voyageurs, marchands et commerçants de toutes sortes pour contourner les rapides et atteindre Lachine, va aussi grandement contribuer au développement du village des Tanneries. En 1805, l’Upper Lachine Road devient un chemin à péage : une barrière est aménagée au sein du village, transformant ce dernier en une sorte de relais entre Montréal et Lachine. Des aubergistes et brasseurs de bière s’y installent au début du XIXe siècle.

Témoignage de l’accroissement de la population, une première chapelle est érigée en 1810 sur l’Upper Lachine Road, desserte de la paroisse Notre-Dame de Montréal. On nomme ce premier lieu de culte « Saint-Henri », conférant au territoire le nom qu’on lui connaît aujourd’hui. En 1825, le village des Tanneries, qu’on désigne désormais également comme Saint-Henri-des-Tanneries, comporte 466 habitants, dont plus de 60 % pratiquent l’un ou l’autre des métiers du cuir.

Dans le deuxième quart du XIXe siècle, l’ouverture du canal de Lachine (1825) puis la construction d’un premier chemin de fer sur l’île de Montréal (1847) signalent les débuts de l’industrialisation du secteur. La pratique artisanale de la tannerie est en déclin, alors que de plus en plus d’artisans se mettent à travailler pour de grands propriétaires d’ateliers. Une première tannerie industrielle, la tannerie Moseley, ouvre ses portes en 1859. La population augmente considérablement, passant d’environ 600 habitants en 1851 à 1500 en 1861, à peine 10 ans plus tard. Saint-Henri est érigée en municipalité de ville en 1875, puis est annexée à Montréal en 1905.

Le village des Tanneries sous l’échangeur Turcot

En 2015, lors du vaste chantier de l’échangeur Turcot, les origines lointaines de Saint-Henri refont surface. Les vestiges de plusieurs tanneries artisanales y sont excavés, dévoilant une bonne partie du fonctionnement du processus au XVIIIe siècle.

On observe notamment de grandes cuves en pierre ayant servi au tannage des peaux. De grandes pièces sont aménagées à proximité, servant probablement au séchage des peaux. Des résidus de poils d’animaux y sont également retrouvés! Divers artefacts documentent aussi les autres travaux du cuir : résidus de cuir divers, couteaux crochus pour couper le cuir et semelles de chaussures sont découverts sur le site. La cohabitation de ces objets avec les tanneries suggère que les bâtiments auraient peut-être servi à la fois de tannerie et de lieu de transformation du cuir.

Références bibliographiques

AUCLAIR, Élie-Joseph. Saint-Henri des Tanneries de Montréal, Montréal, Imprimerie De-La-Salle, 1942. 

PERRIER, Jocelyne. « Les techniques et le commerce de la tannerie à Montréal au XVIIIe siècle », Scientia Canadensis, vol. 24, 2000, p. 51-72. 

SÉGUIN, Catherine. Herméneutique de la forme urbaine : le cas de la place Saint-Henri et du square Jacques-Cartier, Mémoire (M.A.), Université du Québec à Montréal (Archipel), 2008. 

SOCIÉTÉ HISTORIQUE DE SAINT-HENRI. Histoire de Saint-Henri, Société historique de Saint-Henri.  

VILLE DE MONTRÉAL. « Chemins de Lachine et du bord du lac Saint-Louis », Le parcours riverain, Histoire des chemins riverains, Ville de Montréal. 

« LENOIR dit ROLLAND, Gabriel », Généalogie des Français d’Amérique du Nord.  

ARCHÉO-QUÉBEC [@archeoquebec]. Visite du site archéologique sous l’échangeur Turcot, (Vidéo), 2015, 2 septembre, Facebook.