Inaugurée en 1923, l’École des beaux-arts de Montréal offre une formation publique et professionnelle dans le domaine des arts. Elle comble ainsi un criant besoin, économique comme politique.
École des beaux-arts de Montréal
En effet, dans la métropole, le gouvernement décide de faire construire un tout nouveau bâtiment pour l’occasion. Le choix de l’emplacement est arrêté sur un terrain de la rue Saint-Urbain, à proximité du Quartier latin actuel, situé non loin d’autres écoles fondées au début du siècle comme l’École technique de Montréal sise tout près sur la rue Sherbrooke. Ainsi, un premier ensemble éducatif technique et professionnel émerge à quelques pâtés de maisons de l’Université McGill, signe que les pourtours de la rue Sherbrooke s’urbanisent fortement, notamment grâce au tramway qui permet aux gens de gravir la côte avec aisance. Ces deux pôles éducatifs marqueront, avec le temps et encore au XXIe siècle, les limites ouest et est du quartier Milton Parc.
Construite au coût de 355 000 dollars, l’École des beaux-arts de Montréal (ÉBAM) offre des espaces de création et de recherche tout à fait adaptés aux activités des étudiants, qui s’inscrivent en grand nombre. Œuvre de la courte association entre les architectes Ernest Cormier (1885-1980) et Jean-Omer Marchand (1872-1936), l’ÉBAM s’inscrit dans le style Beaux-Arts qui met de l’avant une certaine monumentalité institutionnelle grâce à la symétrie, aux parements clairs et uniformes et à la corniche du toit particulièrement ornée. Il s’agit d’un style architectural qui s’inspire directement des beaux-arts français, fréquemment utilisé pour les institutions scolaires, comme c’est le cas du High School of Montreal situé sur la rue Université dans le même quartier.
Louis-Athanase David et sa « politique culturelle »
Athanase David
Il n’existe pas, jusque-là, de formation publique et professionnelle dans le domaine des arts. Bien que le projet soit pensé depuis quelques décennies déjà et que certaines initiatives aient vu le jour, comme les cours offerts au Monument national par le Conseil des arts et des manufactures, ce n’est qu’au début des années 1920 que les conditions sont réunies afin que David le mette en œuvre. Les motivations personnelles du secrétaire général ne sont pas étrangères à cela. En effet, Athanase David a un objectif bien précis en tête : l’institutionnalisation de l’enseignement des arts à un niveau supérieur. Qu’il s’agisse des beaux-arts ou de la musique, l’idée qu’il faut former des experts culturels québécois est en filigrane de ce que l’on peut considérer comme une politique culturelle avant la lettre. Politique qu’Athanase David tente de mettre en place lors de son mandat de secrétaire de la province entre 1919 et 1936. À ce titre, David peut être perçu comme un ministre de la Culture puisqu’il cherche à mettre en branle un véritable écosystème culturel qui doit inclure, entre autres, outre les Écoles des beaux-arts de Montréal et Québec, un musée, des bourses d’études et un service d’archives provincial. Le but de ces interventions étatiques étant de favoriser l’émergence de véritables culture et identité canadiennes-françaises.
En tant que secrétaire de la province, David prend en charge la gestion générale et le financement des nouvelles Écoles des beaux-arts qui sont créées à la même époque que d’autres écoles techniques, comme celle du meuble, mettant ainsi sur pied un tout nouveau réseau scolaire laïque, gratuit et accessible à tous et à toutes. Au fil des années, ce réseau viendra à compter de nombreux établissements d’enseignement comme l’École polytechnique, l’École des hautes études commerciales, en plus des écoles techniques.
Un programme varié
École des beaux-arts de Montréal - atelier
Selon le programme établi, ce sont les fondements de l’académisme français, où trônent la qualité du dessin et la picturalité des œuvres, qui doivent être réfléchis et adaptés afin de créer une toute nouvelle identité culturelle et artistique canadienne-française. Le programme touche, notamment, le dessin, la peinture, la sculpture, la gravure, le vitrail, mais aussi l’anatomie ou encore la perspective. À cela, s’ajoute une formation en architecture qui était auparavant cantonnée aux salles de classe de l’École polytechnique de Montréal et de l’Université McGill. Elle sera offerte à l’ÉBAM jusqu’en 1959 alors que cette activité passe à l’École d’architecture de Montréal qui sera elle-même absorbée par l’Université de Montréal en 1964.
Une clientèle diversifiée étudie à l’ÉBAM, dont l’accès est gratuit et non confessionnel. Par exemple, en 1925, sur les 766 inscrits, la moitié sont d’origine canadienne-française, le tiers sont des Canadiens anglais alors que 15 % sont issus de la communauté juive et 1 % des étudiants sont des Néo-Canadiens. Quelques années plus tard, au cours de l’année scolaire 1928-1929, c’est, toutes proportions gardées, encore la moitié des 671 étudiants qui ne sont pas d’origine canadienne-française. En plus de ceux pour les adultes, des cours pour les enfants et les adolescents sont offerts les samedis, à partir de 1937, et sont notamment dirigés par Irène Senécal, une pionnière de l’enseignement des arts. Ces cours du samedi sont une occasion pour étudiants et professeurs de tester des techniques, des matériaux et des méthodes auprès de la clientèle juvénile.
En fait, le nombre d’étudiants et d’étudiantes croît au point où l’ÉBAM doit sortir de ses murs. Dans les années 1930, certains ateliers se donnent dans l’ancien studio de l’architecte Ernest Cormier qui se trouve à proximité. Les beaux-arts, quant à eux, déménagent dans l’ancienne Commercial High School devenu l’édifice Camille-Laurin, au 125 rue Sherbrooke Est. Ce sont alors les cours d’architecture qui occupent l’essentiel de l’école de la rue Saint-Urbain. Toutefois, l’enseignement des arts proposé à l’ouverture de l’ÉBAM est remis en question, dans les décennies qui suivent, par une nouvelle génération d’artistes, à la recherche d’une plus grande liberté de création et influencés par un art nouveau, plus moderne.
La querelle des « anciens » et des « modernes »
École des beaux-arts de Montréal - cours
Si la tradition picturale qui est promue à l’ÉBAM est classique et s’inscrit en ligne directe avec l’académisme à la française, les étudiants qui reviennent de séjours d’études rapportent avec eux une autre vision, plus moderne, des arts. Cette génération d’artistes s’émancipe des carcans picturaux de l’académisme au profit d’une autonomie de l’art, de l’individu et de son processus créatif. Montréal, qui est leur quartier général, devient un véritable centre d’art moderne canadien. De ces réflexions émergent de nouveaux courants artistiques où l’abstraction est la bienvenue, ce que décrient les partisans de l’académisme comme le directeur Maillard. C’est le début d’une querelle entre les « anciens » et les « modernes », menés notamment par Paul-Émile Borduas et Alfred Pellan. La popularité des courants modernistes grandit dans la période d’après-guerre. L’un des plus connus est sans doute le groupe des Automatistes à qui l’on doit le manifeste Refus global publié en 1948.
L’opposition des modernistes est vive, soutenue et virulente. Elle entreprend une réelle cabale contre le directeur de l’ÉBAM et les partisans de cet académisme à la française qui, selon elle, ferme la voie à l’expansion de l’art au Québec. La pression est telle que Charles Maillard quitte son poste de directeur de l’ÉBAM en 1945. Plus de 10 ans plus tard, en 1957, Robert Élie est nommé à la direction de l’école. Ami, entre autres, de Borduas et Pellan, le nouveau directeur est aussi journaliste, critique d’art et partisan de l’avant-garde artistique. Sa nomination indique un tournant décisif dans l’histoire de l’école qui connaîtra alors un certain âge d’or jusqu’aux manifestations et grèves du milieu des années 1960. Ces nouvelles contestations touchent la place accordée aux étudiants et étudiantes dans le processus décisionnel de leur école en matière de pratiques pédagogiques et d’administration. En 1968, une importante grève éclate à la suite d’une réforme des programmes pour laquelle la gent estudiantine n’aurait pas été suffisamment consultée selon les contestataires. Les locaux de l’école seront même occupés par une faction d’étudiants militants.
Fin de l’École des beaux-arts de Montréal
École des beaux-arts de Montréal
À la suite de ce départ, le bâtiment de la rue Saint-Urbain a accueilli pendant un temps le Conseil des arts de Montréal, qui quitte les lieux en 2009. Depuis 2012, le bâtiment fait partie de l’aire de protection de la maison William-Notman, située sur la rue Sherbrooke près du croisement avec le boulevard Saint-Laurent, en plus d’être inclus dans le secteur patrimonial du Mont-Sainte-Famille dont fait partie le quartier Milton Parc.
Merci à Dany Fougères pour la relecture de cet article et au Laboratoire d’histoire et de patrimoine de Montréal pour son soutien à la recherche. Merci aussi à Richard Phaneuf et à Charlotte Thibault de la Communauté Milton Parc pour leur relecture.
BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES DU QUÉBEC. « Création des écoles de beaux-arts de Québec et de Montréal – 8 mars 1922 », La ligne du temps du Québec, Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
UQAM. « De l’École des Beaux-Arts de Montréal à l’Université du Québec à Montréal », Services des archives et de gestion des documents de l’Université du Québec à Montréal, UQAM.
HARVEY, Fernand. « Athanase David, précurseur des politiques culturelles au Québec », Bulletin d’histoire politique, vol. 21, no 2 (hiver 2013), p. 89-106.
HARVEY, Fernand, « La politique culturelle d’Athanase David, 1919-1936 », Les cahiers des Dix, no 57, 2003, p. 31-83.
MINISTRE DE LA CULTURE ET DES COMMUNICATIONS. « Studio Ernest-Cormier », Répertoire du patrimoine culturel du Québec, Gouvernement du Québec.