Au cours du XIXe siècle, les Montréalais ont pu visiter cinq jardins appartenant à J. É. Guilbault. Évoluant de la pépinière au parc d’attractions, ces lieux étaient alors dans l’air du temps.
Jardin Guilbault - annonce
Guilbault est né à Montréal en 1803 et se retrouve orphelin très jeune, en 1815. Il est alors pris en charge par sa tante maternelle, Émilie Tavernier, mieux connue sous son nom religieux, mère Gamelin, fondatrice des Sœurs de la Providence. C’est sous son égide qu’il suit les cours du Petit Séminaire de Montréal avant de poursuivre ses études au Collège de Montréal. En 1820, il part pour Québec où il fait ses premières armes comme marchand et rencontre Sophie Labbé, qu’il épouse en 1822. Cinq ans plus tard naît Mathilde qui appuiera son père dans ses aventures commerciales tout au long de sa vie adulte. À la suite de ces quelques années à Québec, la famille Guilbault prend la route de Montréal pour s’y installer. De retour, Joseph Édouard Guilbault s’affiche comme jardinier, fleuriste et botaniste dès le début des années 1830. C’est à cette époque qu’il fonde son jardin qui subira plusieurs transformations au fil du temps.
Les premiers jardins Guilbault
Il est difficile de dire avec certitude à quel moment le jardin de Joseph Édouard Guilbault ouvre ses portes, mais l’année 1831 semble l’hypothèse la plus plausible. Il est alors situé au coteau Baron, ou côte à Baron, aux limites de la ville, tout juste derrière la maison de Thomas Torrance, comme l’indique une première annonce parue dans La Minerve du 7 novembre de cette année-là. On y vend une grande variété de végétaux : arbustes, arbres fruitiers, plantes ou encore vivaces, et ce, à prix très raisonnable si on croit la réclame. Fait intéressant, celle-ci nous permet également de constater que M. Guilbault n’est pas seul dans son entreprise. En effet, la publicité est signée par « S. Guilbault & Cie » et débute par « les soussignés » ce qui nous laisse penser que Sophie, l’épouse de Guilbault, participe également au projet.Le jardin restera à cet emplacement jusqu’en 1838. Pendant cette période, Guilbault vend certes des végétaux, mais il ouvre aussi le jardin à la promenade de plaisance. Dans une ville qui s’urbanise et s’industrialise, les promenades en plein air pour découvrir quelques plantes exotiques sont un passe-temps sanitaire, et de bon goût. Flairant la manne financière potentielle, Guilbault met sur pied la première des grandes fêtes qu’il organise dans ses jardins. Les visiteurs peuvent donc, en juillet 1835, pour la somme de deux shillings et six deniers (moitié prix pour les enfants), assister à un feu d’artifice dans des sentiers illuminés au son d’une fanfare régimentaire. Deux autres fêtes ont lieu en août et septembre la même année. Lors de celles-ci, Guilbault propose même d’admirer l’ascension d’une montgolfière, une invention relativement récente dont les premières démonstrations ont eu lieu à la fin du XVIIIe siècle. À tout ceci, Guilbault ajoute des spectacles de cirque dès 1836. Ces attractions demeureront l’apogée des divertissements proposés au jardin de M. Guilbault, malgré les nombreux déménagements.
À la suite d’ennuis financiers, le jardin est vendu en 1838. Joseph Édouard Guilbault prend une pause de quelques années pendant laquelle un concurrent s’installe en ville : le Montreal Pleasure Garden est construit à proximité du Champ-de-Mars en 1840. Guilbault décide alors de reprendre du service non loin de là, au coteau Saint-Louis, tout près de l’église Saint-Jacques, en 1842. Ce qui le distingue du Montreal Pleasure Garden est le fait qu’il offre un service horticole. Toutefois, être aussi éloigné de la population montréalaise ne sert sans doute pas Guilbault qui déménage à nouveau son entreprise pour, cette fois, l’installer tout près de la Banque de Montréal, rue Côté, où il demeure jusqu’en 1852.
Toujours plus d’événements
Glaciarum de Guilbault
Les collections végétales de Guilbault sont reconnues et appréciées, mais ce sont surtout les animaux qui suscitent la curiosité. La ménagerie du jardin est vaste et bigarrée. On y trouve des animaux étonnants ainsi qu’une volière. Guilbault fait notamment construire un aquarium afin d’exhiber une baleine blanche de 5000 livres. À cette époque, la ménagerie de Guilbault, qui compte plus de 150 espèces, peut être considérée comme la plus importante au Canada. Proposant une gamme d’activités familiales, le jardin Guilbault devient un lieu prisé des Montréalais. Dès le déménagement sur la rue Sherbrooke, Guilbault accueille, entre autres, l’exposition annuelle de la Société d’horticulture de Montréal, fondée en 1846. Pendant une dizaine d’années, la population montréalaise fréquente le site profitant ainsi du dépaysement offert par la ménagerie, les plantes exotiques et les spectacles.
Le succès est tel que Mathilde, la fille de Guilbault, se procure, au nom de son père, un terrain de six arpents auprès du notaire Stanley Clark Bagg. Ce terrain, à quelques jets de pierre du nouvel Hôtel-Dieu, à l’intersection des voies des Pins et Saint-Urbain, sera le lieu du dernier jardin Guilbault. Cet ultime déménagement, en 1862, entraîne un changement subtil, mais significatif dans la mission du jardin. En effet, la dimension horticole, présente dès les premières années, est laissée de côté au profit du spectacle et de l’exhibition. Alors qu’un jardin extérieur est essentiellement fréquenté en belle saison, Guilbault fait construire sur ce nouveau site des bâtiments qui peuvent accueillir des visiteurs toute l’année. Le musée de curiosités permet à la population d’observer des objets inusités allant des collections numismatiques à un crocodile momifié. Les gens sont également en mesure de se divertir et de pratiquer une activité physique en jouant au boulingrin ou aux quilles. Toutefois, ce qui frappe le plus lorsque l’on arrive sur le site est le Glaciarum.
Cet édifice de taille substantielle est visible de loin dans ce paysage encore peu urbanisé : il mesure 200 pieds sur 60, des murs font 14 pieds de haut et le centre du bâtiment culmine à 24 pieds. Construit entre 1861 et 1862, il accueille une patinoire intérieure ainsi qu’un espace tout équipé pour apprendre les arts du cirque. Mieux encore, son plancher est mobile afin de pouvoir y donner des bals, comme les fameux bals masqués sur glace du Victoria Skating Rink que William Notman, photographe montréalais habitant non loin de là, a immortalisés au cours de la même période. Avec des toilettes, un éclairage au gaz et d’autres commodités, le Glaciarum est un véritable centre culturel. S’y produisent différentes troupes, américaines et britanniques surtout, comme la Compagnie française de New York ou encore des cirques, qui déambulent dans les rues de la ville de la gare jusqu’au jardin suscitant l’émerveillement de tous.
Le rideau tombe sur la fête
Jardin Guilbault - carte 1868
Guilbault quitte alors Montréal pour Sault-au-Récollet où il vit le deuil de Mathilde qui meurt en 1872. Il tente de se lancer de nouveau en affaires avec la construction d’un jardin d’acclimatation, revenant ainsi à sa fonction première de botaniste. Le legs le plus important de cette aventure est la grande allée d’arbres plantés le long d’une route, devenue le boulevard Gouin au nord de l’île de Montréal, que les passants pourront admirer pendant plusieurs années après le décès, en 1885, de Joseph Édouard Guilbault, alors octogénaire.
Finalement, Guilbault a offert à la population montréalaise, des années 1830 jusqu’à l’aube des années 1870, une variation en cinq thèmes d’un même jardin. D’un espace dédié à l’horticulture, le jardin Guilbault est devenu un lieu de divertissement où se multiplient les attractions, les activités et les curiosités, le premier parc d’attractions pérenne de Montréal.
Merci à Dany Fougères pour la relecture de cet article et au Laboratoire d’histoire et de patrimoine de Montréal pour son soutien à la recherche. Merci aussi à Richard Phaneuf et à Charlotte Thibault de la Communauté Milton Parc pour leur relecture.
GAUDET, Sylvain. « Un haut lieu de la culture populaire à Montréal au XIXe siècle : le Jardin Guilbault », Cap-aux-Diamants, no 97, 2009, p. 25-29.
MONTPETIT, Raymond. « Culture et exotisme : les panoramas itinérants et le jardin Guilbault à Montréal au XIXe siècle », Loisir et Société/Society and Leisure, vol. 6, no 1, 1983, p. 71-104.