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Chassés par la Révolution américaine, les Loyalistes débarquent!

30 mars 2020
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Sur les rives de l’île de Montréal, on voit accoster, entre 1776 et 1785, de nombreux Anglo-Américains. Venant des Treize Colonies, ils fuient la guerre.

Montréal en 1784

Aquarelle montrant une vue de Montréal depuis le mont Royal
Bibliothèque et Archives Canada, no d'acc 1989-218-2.
Le 4 juillet 1776, les Treize États unis déclarent leur indépendance. La guerre continue ses ravages dans les territoires du Sud jusqu’à la victoire américaine et le traité de Paris en 1783. La « province de Québec » perd les territoires au sud des Grands Lacs. Entretemps, le conflit pousse des dizaines de milliers de Loyalistes à se réfugier au Canada. Cette nouvelle vague est bien différente de celle constituée par les milliers de soldats américains débarquant à Montréal lors de l’invasion américaine en 1775.

Qui sont les Loyalistes?

Les Loyalistes sont un groupe assez hétérogène, mais ils ont deux points en commun : ils sont restés fidèles à l’Angleterre et ils sont victimes, en terre américaine, de harcèlements et de violence, ou dépouillés de leurs droits civiques. On confisque leurs propriétés, biens et marchandises. Des membres de familles influentes et bien enracinées sont visés, tout comme des individus résidant depuis peu dans ces colonies. Ces opposants au mouvement patriote américain sont plus souvent des civils, et parfois des miliciens ou des militaires des forces britanniques.

Parmi ces réfugiés, les minorités religieuses ou ethnoculturelles sont plus fortement représentées. Des Noirs libres et des esclaves noirs affranchis — plusieurs ayant participé aux combats — ainsi que des esclaves entrainés par leurs propriétaires comptent parmi ces réfugiés politiques. Des Autochtones alliés des Britanniques, dont beaucoup d’Iroquois des Six Nations, font aussi partie de ces déplacements de population.

En sol canadien

Loyalistes

Peinture d’un campement à la fin du XVIIIe siècle sur le bord d’un cours d’eau avec un arbre au centre.
Toronto Public Libary. JRR 2016.
Venues de la vallée de la Mohawk, 200 personnes débarquent à Montréal le 19 juin 1776, soit le lendemain du départ des troupes américaines. À la tête de ce premier groupe substantiel, sir John Johnson, riche propriétaire terrien, militaire et important leader loyaliste. Il est accompagné d’une partie de ses esclaves. Jusqu’en 1785, les réfugiés politiques déferlent, souvent en contingents de quelques centaines.

Arrivés au Canada, un nombre important de ces hommes, femmes et enfants séjournent dans des camps de réfugiés comme ceux de Saint-Jean, Sorel ou Machiche. Sur l’île, ils trouvent des points d’accueil à Lachine, Pointe-Claire et Montréal. Jusqu’à ce qu’elles puissent subvenir à leurs besoins, de nombreuses familles dépendent de l’aide du gouvernement pour la nourriture, le logement, le bois de chauffage, et même les couvertures et les vêtements. Le 1er juillet 1779, par exemple, 126 personnes reçoivent des vivres à Pointe-Claire et 208 à Montréal. Des officiers loyalistes réclament aussi des vivres et du bois de chauffage pour leurs familles restées à Montréal. Le flux migratoire atteint un sommet vers 1783. En septembre 1784, les autorités listent encore « des réfugiés et des soldats licenciés logés et approvisionnés de vivres » à Lachine et à Montréal, ou dans leurs environs.

Seuls ceux et celles reconnus comme « loyaux » à la couronne sont admissibles au soutien du gouvernement. C’est ainsi que, afin d’obtenir des rations pour elle et ses trois enfants, Ann Scott Barnet Hall, une réfugiée venant de la rivière Hudson, doit prouver la loyauté de son mari retenu prisonnier par les forces américaines. Ayant tout perdu, biens, maison et troupeau, elle devient blanchisseuse à Montréal pour nourrir sa famille. Illettrée, mais déterminée, Ann Scott doit aussi se battre pendant des années pour obtenir compensation pour les pertes encourues par sa famille lors de la Révolution.

Combien de Loyalistes à Montréal?

Maison de John Forsyth

Photographie en noir et blanc d’une maison en pierre.
Musée McCord. MP-1992.8.61.
Alors que la majorité des réfugiés loyalistes poursuivent leur route vers les établissements maritimes et le futur territoire de l’Ontario, environ 2000 « royaux amériquains » s’établissent sur le territoire actuel du Québec, surtout en Gaspésie et près de Sorel. Difficile d’évaluer combien de « royalistes », comme on les appelle parfois à l’époque, élisent domicile à Montréal et viennent gonfler les rangs des Britanniques. On remarque qu’ils sont à peine 600 en 1770 pour l’ensemble du Canada. Mais dès 1789, la ville de Montréal abrite environ 1800 civils anglophones et protestants sur une population estimée à moins de 6000 habitants.

Progressivement des institutions et services anglophones et protestants sont mis en place : églises, écoles et hôpitaux. Le sellier loyaliste Abraham Pastorius, un quaker d’origine allemande de Germantown aux environs de Philadelphie, s’implique dans divers comités de la Congrégation anglophone protestante. Alors que les Britanniques occupent une place grandissante dans la propriété foncière et le commerce, on trouve aussi parmi eux plusieurs Loyalistes. Après un séjour en Virginie, James Dunlop devient l’un des plus riches marchands montréalais, notamment en important et exportant diverses marchandises à partir de son entrepôt donnant sur la rue Saint-Paul en 1785. Pour sa part, Abraham Cornelius Cuyler, ancien maire d’Albany (en 1770), qui s’est établi avec sa famille à Montréal en 1782, joue un rôle important comme fonctionnaire en devenant inspecteur des réfugiés loyalistes de la région de Québec. Notamment sur les plans linguistique, confessionnel, mais aussi social et politique, les Loyalistes ont ainsi contribué à transformer la métropole québécoise.

Des terres et des institutions parlementaires

À l’échelle du Québec, les Anglo-Américains réclament des terres hors du système seigneurial et s’ajoutent aux voix exigeant des institutions parlementaires. L’Acte constitutionnel de 1791 leur répond en divisant la province entre le Bas-Canada (Québec) et le Haut-Canada (Ontario), et en accordant une Chambre d’assemblée. De plus, l’ouverture des Cantons de l’Est, permet à des réfugiés politiques loyalistes, mais aussi à une nouvelle et beaucoup plus forte vague de colons américains en quête de terres, de s’établir dans le Bas-Canada entre 1792 et 1812, et même dans les décennies 1820 et 1830. 

Références bibliographiques

LINTEAU, Paul-André. « Les migrants américains et franco-américains au Québec, 1791-1840 : un état de la question », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 53, no 4, 2000, p. 561-602.

SENIOR, Heraward, et autres. The Loyalists of Quebec 1774-1825. A Forgotten History, Montréal, Price-Patterson, 1989, 500 p.

VIAU, Roland. « Cohabiter avec et contre l’autre : Canadiens et Britanniques à Montréal avant 1800 », dans FOUGÈRES, Dany (dir.) et autres, Histoire de Montréal et de sa région, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2012, p. 223, 231-245.