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Anne Molson et la Montreal Ladies’ Educational Association

06 mai 2022

La fin du XIXe siècle voit l’entrée des Montréalaises à l’université. Plusieurs étapes ont mené à ce succès soutenu par la grande bourgeoisie, notamment les Molson et particulièrement Anne Molson.

Anne Molson

Portrait en noir et blanc d’une femme assise légèrement de profil. Elle porte une robe noire et est assise devant un fond uni.
Musée McCord, I-89608
Le nom Molson évoque, au Québec, l’image d’une brasserie lovée au bord du fleuve Saint-Laurent. Actifs dans le milieu des affaires, de la finance et du transport, les Molson sont aussi philanthropes, comme plusieurs autres familles de la bourgeoisie anglophone montréalaise. Si certains de ses membres sont connus, d’autres le sont moins, mais leurs vies ont marqué Montréal et ses habitants d’une façon tout aussi profonde. L’un de ces personnages est sans doute Anne Molson, fille de William Molson et d’Elizabeth Badgley.

Née en 1824, Anne vit à une époque où Montréal est en effervescence. La métropole du Canada bouge, s’industrialise et s’urbanise tout au long du XIXe siècle. La ville se développe et prend de l’expansion. Cette croissance urbaine pousse la population à se doter d’institutions de toutes sortes, notamment d’établissements scolaires comme en fait foi la fondation de l’Université McGill en 1821, ou encore celle de la High School of Montreal, inaugurée en 1843. William Molson est d’ailleurs un fervent partisan de l’éducation de la jeunesse. Toutefois, les études supérieures ne sont accessibles qu’à son fils. Les jeunes femmes, comme Anne et sa sœur, sont exclues de ces institutions. Il s’agit d’un problème auquel Anne, et d’autres avec elle, s’attaquera dans les années à venir.

L’implication d’Anne Molson dans la bataille pour l’éducation des femmes vient, en grande partie, de son nid familial. De son union avec son cousin germain John Molson naissent cinq enfants dont trois survivent jusqu’à l’âge adulte. Parmi ceux-ci se trouve Edith. À l’instar des autres jeunes femmes de cette époque et comme sa mère avant elle, Edith ne peut compter que sur des écoles privées ou encore des précepteurs pour faire son éducation. C’est ainsi qu’Anne Molson décide de s’impliquer dans le milieu éducatif montréalais.

Anne Molson étant relativement indépendante de fortune grâce à une provision faite dans son contrat de mariage, son premier acte en éducation est la création, en 1864, d’une médaille d’or remise au meilleur étudiant de l’Université McGill en mathématiques, en physique et en sciences naturelles. Disant, au départ, agir au nom d’un ami, Anne approche le directeur de l’université, John William Dawson, qui est aussi un ami, afin de lui exposer son projet. C’est le père d’Anne qui la pousse à assumer sa véritable identité, et c’est ainsi que la médaille prend officiellement le nom de médaille Anne-Molson. Ironiquement, celle-ci sera remise pendant plusieurs années exclusivement à des étudiants masculins puisque, jusqu’aux années 1880, l’établissement leur est réservé. Ce prix est encore attribué au XXIe siècle et est ouvert à tous et à toutes. À la suite de la création de cette récompense, Anne poursuit son implication avec la fondation d’un organisme, la Montreal Ladies’ Educational Association, qui fait la promotion de l’éducation supérieure des femmes au début des années 1870.

La Montreal Ladies’ Educational Association

Anne Molson-Médaille

Médaille ronde et dorée sur laquelle on peut voir un blason et une couronne de laurier. Au centre, le nom d’Anne Molson et l’année 1864 sont visibles.
Musée McCord, M992.103.1-2
Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, l’accès aux études supérieures pour les femmes demeure incertain bien que le mouvement prenne de l’ampleur aux États-Unis et en Grande-Bretagne. C’est au cours des années 1860 que les portes des collèges et des universités s’ouvrent à la gent féminine. Il faudra encore attendre quelque temps pour que des femmes diplômées sortent de ces établissements. C’est d’ailleurs au Canada, à Mount Allison au Nouveau-Brunswick, que Gracie Anne Lockhart reçoit son diplôme de bachelière en science en 1875, une première dans l’Empire britannique.

À Montréal, les choses ne vont pas si vite. En 1870, l’Université McGill adopte à l’unanimité une résolution qui permettrait d’accueillir les femmes sur le campus. Toutefois, l’enjeu financier est bien présent. Comment accueillir ces femmes sans causer de tort aux finances de l’établissement? En effet, des espaces distincts de ceux des hommes doivent être mis en place selon les pratiques de l’époque, et ce, à grands frais pour les institutions. Ces tergiversations ralentissent le projet. Le bureau des gouverneurs mandate cependant le directeur de l’université, John William Dawson, afin qu’il enquête sur les façons de résoudre le problème lors de son voyage à venir en Grande-Bretagne. C’est là qu’il prend connaissance du travail fait par la Ladies’ Educational Association of Edinburgh, un groupe actif en parallèle du milieu scolaire officiel, mais dont l’objectif est d’offrir aux femmes une éducation supérieure de qualité. Dawson voit rapidement le potentiel de ce genre de groupe pour Montréal.

De retour au pays, il approche les femmes de la bourgeoisie anglophone de Montréal afin de trouver un appui et de permettre la création d’une telle association éducative. Plusieurs répondent à l’appel, dont Anne Molson. C’est chez elle, à Belmont Hall, que se tient la réunion inaugurale de la Montreal Ladies’ Educational Association le 10 mai 1871. Anne Molson est élue présidente et son mari, John, trésorier. Leur fille, Edith, prend part au programme de l’Association jusqu’à son décès en 1872. Elle n’était âgée que de 19 ans et sa disparition est un coup dur pour sa mère qui continue d’assumer la présidence de l’Association jusqu’en 1873. À cause de la perte de sa fille et d’ennuis de santé, elle n’évolue alors plus qu’en périphérie du groupe qu’elle a contribué à fonder.

Un cursus universitaire?

Belmont hall

Dessin en couleur d’une résidence dont le toit est surmonté d’une structure de verre. Une clôture est visible à l’avant et à gauche de l’image se trouve un solarium circulaire joint à la maison principale par un corridor couvert.
Musée McCord, M980.184.1.62
Bien que la Montreal Ladies’ Educational Association ne fasse pas partie de l’Université McGill, elle entretient des liens étroits avec le personnel enseignant de cette institution puisque de nombreux professeurs y donnent des cours. Il est décidé que l’association montréalaise offrira des cours (lectures) de littérature, de science et d’histoire. Par exemple, pendant l’année « scolaire » 1871-1872, les participantes pourront assister à des cours en minéralogie, en littérature française, en géologie physique et chimique et en langue anglaise. À cela, s’ajoutent les cours en histoire anglaise du professeur Goldwin Smith de l’Université Cornell. Tous les cours sont offerts par des professeurs universitaires en contrepartie d’un dédommagement financier, à quelques exceptions près, comme c’est le cas du professeur Smith ou encore de John William Dawson lui-même.

Les femmes qui s’inscrivent à ces cours doivent débourser la somme de 12 dollars. Elles ont alors le statut d’étudiante ou d’auditrice, à leur discrétion, bien que la Montreal Ladies’ Educational Association promeuve le statut d’étudiante, ce dernier permettant de passer des examens et d’obtenir des certificats de réussite. Ces certifications sont instaurées par l’Association dans le but, avoué, de faire du groupe un tremplin vers l’université. Ainsi, les étudiantes certifiées pourront faire valoir leurs qualifications auprès des collèges.

Les rapports de l’Association indiquent que de nombreuses femmes s’inscrivent à ces cours, 167 la première année, mais que bien peu rendent des devoirs et se soumettent à l’évaluation. Cependant, celles qui le font impressionnent grandement leurs professeurs qui n’hésitent pas à le souligner dans leur compte rendu de fin d’année. Les premières années de l’Association sont financièrement intéressantes pour les membres qui dégagent un bénéfice. Toutefois, l’effet de nouveauté s’estompe et les choses se corsent. C’est en réaction à cela que l’Association ouvre son cursus « scolaire » à des disciplines plus pratiques comme la cuisine ou encore l’économie familiale qui, selon la princesse Louise, fille de la reine Victoria et dame patronnesse de l’Association, sont à la base de la vie de toutes les femmes. Les cours de cuisine, surtout, permettent à l’Association de retrouver la rentabilité, mais à peine. Néanmoins, au début des années 1880, le vent tourne pour les femmes montréalaises avides d’éducation.

Les portes de l’université enfin ouvertes

Les donaldas

Photographie en noir et blanc montrant un groupe de jeunes femmes portant des toges de remise des diplômes noires.
Musée McCord, II-123244
En 1884, l’Université McGill ouvre ses portes à sa première cohorte féminine, composée de plusieurs élèves du High School of Montreal et de participantes à la Montreal Ladies’ Educational Association. Anne Molson n’est pas étrangère à cet événement.

En effet, c’est un ami des Molson, Donald Alexander Smith, futur lord Strathcona, qui règle le problème financier de l’université qui avait de la difficulté à entrevoir comment elle pourrait accueillir ces femmes. Smith fait un don de 50 000 $ pour la création d’espaces d’enseignement destinés aux femmes et à leur accès à l’université. De ces vingt premières femmes, surnommées les « Donaldas » en l’honneur du bienfaiteur, huit vont obtenir un diplôme en 1888.

Puisque les femmes ont désormais accès aux études supérieures à McGill, la Montreal Ladies’ Educational Association devient superflue. Ayant des problèmes financiers depuis plusieurs années, l’Association cesse ses activités à la fin de l’année « scolaire » 1884-1885. C’est d’ailleurs, exceptionnellement, sous la présidence d’Anne Molson, demeurée en périphérie du groupe depuis quelques années, que l’Association se réunit une ultime fois en 1885.

Pendant 14 ans, l’Association aura permis à de nombreuses femmes de s’instruire. Quant à Anne, après avoir consacré une bonne partie de sa vie à la philanthropie, elle décède lors d’un voyage à Atlantic City en 1899 et est inhumée avec les siens, à Montréal.

Merci à Dany Fougères pour la relecture de cet article et au Laboratoire d’histoire et de patrimoine de Montréal pour son soutien à la recherche. Merci aussi à Richard Phaneuf et à Charlotte Thibault de la Communauté Milton Parc pour leur relecture.

Belmont Hall, une maison pas comme les autres

La maison entre dans le patrimoine immobilier des Molson en 1825. Elle prendra le nom de Belmont Hall en l’honneur de François de Vachon de Belmont, sulpicien et propriétaire initial du terrain.

John Molson senior fait l’acquisition de la résidence auprès de la descendance de Thomas Torrance, un immigrant écossais ayant fait fortune dans le commerce. Ce dernier avait fait construire la maison au milieu des années 1810 au coin nord-ouest de la future rue Sherbrooke et de la rue Saint-Laurent, qui est alors encore loin d’être un boulevard, dans le secteur de la Côte-à-Baron. Le lieu est très peu urbanisé à cette époque, au point où on surnomme la maison Torrance’s Folly (la folie de Torrance) puisqu’il est impensable de vouloir s’établir dans un tel lieu, loin du centre de la ville. Non loin de là, Joseph Édouard Guilbault établira son premier jardin public en 1831. La villa de deux étages est entourée de somptueux jardins et est connue pour son escalier intérieur en spirale. C’est en 1860 qu’Anne et les siens y emménagent.

Après l’acquisition par Molson en 1825, sa famille occupe la demeure pendant près d’un siècle, soit jusqu’en 1917 date à laquelle les enfants d’Anne et John vendent la propriété à la United Auto Service qui en fait une station-service pour desservir un secteur de Montréal maintenant totalement urbanisé. Un incendie se déclare dans l’établissement et il sera démoli quelques années plus tard. Lors de la démolition, des tunnels courant sous la maison ont été découverts, mais leur utilité demeure un mystère. 

Références bibliographiques

ARCHAMBAULT, Gabrielle. « The History of Canadian Women in University », She’s the First – McGill University, 6 février 2019.

BRADBURY, Bettina. « Molson, Anne (Molson) », Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, 1990.

RONISH, Donna. « The Montreal Ladies’ Educational Association, 1871–1885 », McGill Journal of Education/Revue des sciences de l’éducation, vol. 6, no 1, 1971, p. 78-83.

SANDWELL, Bernard Keble. The Molson Family, Montréal, publication privée, 1933, 256 p.