C’est parce qu’elle a elle-même subi discrimination et exploitation que Faustina Bilotta décide de s’impliquer pour les droits des immigrantes.
Dans le cadre du projet Mémoires d’immigrantes, le Centre d’histoire de Montréal a rencontré des Montréalaises venues d’ailleurs qui ont généreusement raconté leur récit personnel. Une série d’articles « Témoignages » dresse les grandes lignes de parcours uniques qui s’enchâssent et contribuent à l’histoire de la ville.
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Faustina Bilotta
Faustina Bilotta arrive à Montréal en 1963, à l’âge de 16 ans. Elle a quitté son village, Casalciprano, dans la région italienne du Molise, pour continuer ses études en langues. Elle souhaite apprendre le français au Québec, où vit sa sœur depuis déjà quelques années. Son rêve se brise rapidement, car la Commission des écoles catholiques de Montréal (CECM) lui refuse l’accès à l’école francophone. Elle travaille ensuite brièvement en manufacture, un milieu où les conditions sont très difficiles. Ces deux épisodes changeront le cours de sa vie et feront d’elle une militante convaincue des droits des immigrantes. En janvier 2019, le Centre d’histoire a rencontré Faustina afin qu’elle nous raconte son histoire.
Un cas méconnu
Faustina Bilotta vers 1963
Or des cas comme celui de Faustina éclairent quant à la complexité de la situation des personnes d’origine italienne dans les années 1960. Faustina raconte que l’accès à la langue française a été refusé aux Italiens. Elle ajoute : « [Les dirigeants des écoles catholiques] nous ont poussés vers des écoles anglaises protestantes, chose qui n’était pas vraiment souhaitable pour nous, à cause de la religion. Donc, il y avait une barrière linguistique. Quand les lois sont sorties, et ils ont bien fait [de les adopter] pour défendre leur langue, le français, je le remarque, ils ont trouvé que les Italiens leur faisaient obstacle. Mais ce n’était pas ça. Les Italiens voulaient seulement que leurs enfants apprennent plusieurs langues pour leur bien-être économique. » Faustina n’était alors pas la seule Italienne dans une telle situation.
En effet, jusque-là, peu de Québécois s’étaient souciés de l’intégration des immigrants, dont celle des Italos-Montréalais, installés au pays depuis le début du XXe siècle. Au fil du temps, ces derniers ont adhéré à plusieurs formules d’enseignement, soit l’école trilingue, bilingue, francophone ou anglophone. De plus, la CECM s’est historiquement montrée peu accueillante envers les personnes allophones, contrairement à la Commission scolaire protestante anglophone. Et, comme le souligne Faustina, malgré le désir de plusieurs nouveaux arrivants d’apprendre le français, la langue anglaise est alors synonyme de réussite économique, un atout important pour des gens qui cherchent à améliorer leur sort. Pour Faustina, ce rejet par la CECM a été un premier obstacle à son intégration à la vie montréalaise. Il reflète aussi une facette méconnue de la communauté italo-montréalaise et de son rapport à la langue d’enseignement.
Passage en milieu manufacturier
Faustina Bilotta 1968
Faustina témoigne : « Dans ces manufactures, il y avait surtout des immigrantes, des femmes italiennes, portugaises, surtout grecques. J’ai trouvé qu’elles étaient très exploitées. Elles gagnaient très peu de sous et, si elles voulaient gagner leur vie, elles devaient travailler à la pièce. » Ce constat, doublé de la discrimination subie en milieu scolaire, pousse Faustina à s’impliquer pour aider les immigrants, d’abord au sein de sa communauté.
Vie italienne à Montréal
Faustina Bilotta 2018
Faustina fait partie de l’importante vague migratoire qui déferle sur le Canada après la Seconde Guerre mondiale. Entre 1941 et 1971, les Italiens passent de 24 000 à 109 000 âmes à Montréal. À l’arrivée de Faustina, cette communauté a donc déjà mis en place de nombreux organismes auxquels chacun peut s’identifier : « Les associations, qui existent encore aujourd’hui, étaient des associations de gens qui venaient du même village. […] Et tous les gens du village se réunissaient une, deux, trois fois par année, selon les événements qui se passaient en Italie. Ils les reproduisaient ici, pour se rencontrer, fêter et tout le reste. […] À ce moment-là, tout se passait dans ces cercles-là. C’était une vie active et très sociale. »
Comme le dit Faustina, ces organisations sont de véritables structures de référence pour les nouveaux arrivants, à une époque où le gouvernement se préoccupe peu de la question de l’intégration. Elle se souvient : « On n’avait pas l’accueil qu’on a maintenant pour dire “Vous serez là”, “Voici leurs coutumes”, “Voici la façon de faire” et tout le reste. Si vous n’aviez pas de travail, vous ne pouviez pas survivre parce qu’il n’y avait pas de “bien-être social”. Il n’y avait rien. » Reconnaissante envers sa communauté, elle s’implique dans différents organismes, dont le Congrès italo-canadien avec lequel elle collabore toujours bénévolement.
Pour la cause
Alors qu’elle accomplit ses études postsecondaires en dessin de mode et en histoire de l’art (à l’UQAM), en français, donne naissance à ses deux fils et travaille professionnellement et bénévolement, Faustina rencontre Aoura Bizzarri, la directrice du Collectif des femmes immigrantes du Québec. Elle découvre cet organisme qui milite pour les droits des immigrantes et aide à leur intégration, une cause qui, à cause de son vécu, lui tient particulièrement à cœur. En 2019, cela fait 20 ans que Faustina s’implique à titre de membre du conseil d’administration, dont 10 ans en tant que présidente. Tout au long de son parcours, sa vision humaniste n’a cessé de guider ses actions : « Je ne vois jamais un immigrant, je vois un être humain. »
Comme c’est souvent le cas lorsqu’une nouvelle communauté ethnoculturelle arrive dans un pays, les Italiens qui s’installent en Amérique du Nord font, dès le début du XXe siècle, les frais d’expressions racistes. Le terme « Wop », qui proviendrait d’un dialecte du sud de l’Italie, est notamment utilisé de manière péjorative pour les désigner.
Faustina remarque que, 100 ans plus tard, ses fils sont parfois appelés ainsi dans leur milieu de travail. Elle note aussi les effets néfastes que des événements, tels que la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction (Commission Charbonneau), ont eus sur les personnes d’origine italienne : « On a donné à la population l’idée que tous les Italiens sont des mafieux. Mais la mafia n’existe pas seulement en Italie […], elle existe partout. Si quelque chose arrive, c’est toujours les Italiens. Alors, encore aujourd’hui, c’est quelque chose qui nous poursuit. […] Donc, quand c’est comme ça, on se sent en retrait. On voit qu’un Italien, ce n’est plus un Italien quand il devient un politicien ou un artiste […]. Mais dès qu’il arrive au crime organisé, il redevient italien. […] Pour une poignée de personnes, toute la communauté est mal vue. »
CATAUDELLA, Mario. « Quelques considérations sur les facteurs du retard économique du Molise », Méditerranée, no 14, 1973, p. 23-49.
LINTEAU, Paul-André. « Les grandes tendances de l’immigration au Québec (1945-2005) », Migrance, no 34, 2009.
LINTEAU, Paul-André et al. Histoire du Québec contemporain. Le Québec depuis 1930, Boréal, Montréal, 1989, p. 567- 593.
ONLINE ETYMOLOGY DICTIONNARY. « Wop », [En ligne], Online Etymology Dictionnary.
https://www.etymonline.com/word/wop
POLÈSE, Mario. « Montréal économique : de 1930 à nos jours. Récit d’une transition inachevée », Histoire de Montréal et de sa région, Tome II, Québec, Presses de l’Université Laval, 2012, p. 993.