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Les Italo-Montréalais et la question de la langue d’enseignement

02 juin 2017
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Lors de la crise de Saint-Léonard, les Italo-Montréalais se font entendre sur la question de la langue d’enseignement. C’est un épisode marquant de leur intégration au système scolaire.

Italiens - Langue enseignement

Bataille entre Italo-Québécois et Canadiens français à propos de l'intégration scolaire à Saint-Léonard
Morris Edwards / Montreal Star / Library and Archives Canada / PA-137177.
La crise de Saint-Léonard, qui a éclaté en 1968, est bien connue dans l’histoire du Québec. Elle fait référence à cet épisode où certains dirigeants de la Commission scolaire de Saint-Léonard, inquiets de l’anglicisation des enfants d’origine italienne, ont mis en place une mesure pour rendre l’école francophone obligatoire. En s’opposant farouchement à cette règle, la communauté italienne a été portée sur la sellette comme défendeure du libre choix de la langue d’enseignement.

Cette crise majeure, qui a eu et a toujours le potentiel d’éveiller les passions, nous fait parfois oublier que les Italo-Montréalais sont intégrés au système d’éducation québécois depuis le début du XXe siècle. Avant l’épisode de Saint-Léonard, peu de règles sont imposées, et rares sont les gens qui se soucient du choix des Italiens quant à la langue d’enseignement de leurs enfants.

Conservation et intégration

Italiens - Manifestation Saint-Léonard

Manifestants tenant des pancartes à Saint-Léonard
Antoine Désilet. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, P697,S1,SS1,SSS18,D107.
La question de l’intégration des nouveaux arrivants dans les écoles québécoises se pose dès le début du XXe siècle, avec l’arrivée massive d’immigrants qui ne sont ni anglophones ni francophones. Ceux-ci ont le choix entre la branche anglo-protestante du système scolaire ou celle catholique, qui est subdivisée entre des écoles francophones et anglophones.

Majoritairement catholiques, les Italo-Montréalais se dirigent naturellement vers la Commission des écoles catholiques de Montréal (CECM). Cette dernière finance, à même les paroisses italiennes, l’ouverture des établissements. Ces écoles peuvent alors déterminer librement leur langue d’enseignement. En 1928, le curé de la paroisse Notre-Dame-du-Mont-Carmel, située dans l’actuel Centre-Sud, réclame à la CECM des professeurs compétents dans les trois idiomes, car, dit-il, « les Italiens tiennent beaucoup à apprendre les deux langues officielles, le français et l’anglais, et en même temps ils ne voudraient pas que l’italien soit négligé ». À travers ce souci de conservation et d’intégration, les Italo-Montréalais créent et choisissent différents modèles, soit l’école trilingue, bilingue, francophone ou anglophone.

Plus que les Italo-Montréalais, les autres communautés immigrantes tendent, dès cette époque, à préférer l’école anglophone. Répondant à cette demande, la CECM multiplie les classes anglaises, s’inquiétant moins de l’anglicisation de ses fidèles que de leur potentielle apostasie. Certains d’entre eux optent, en effet, pour le réseau protestant qui a une bien meilleure réputation que les établissements francophones pour ce qui est de l’accueil des nouveaux arrivants.

Suivre le chemin pavé

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les Italiens quittent par centaines de milliers leur mère patrie dans l’espoir d’améliorer leur sort. Avec cette arrivée massive, les Italo-Montréalais passent de 24 000 en 1941, à 109 000 en 1971. Depuis Montréal, leurs parents déjà établis les parrainent. Pour ce qui est de l’école, ces néo-Montréalais suivent la voie prise par leurs prédécesseurs, en insistant davantage sur l’importance de l’enseignement de l’anglais pour leurs enfants. Cette langue est alors synonyme de réussite économique.

Jusque-là ignorée, la question de l’anglicisation des nouveaux arrivants commence à susciter l’inquiétude d’intellectuels francophones. Au sein de la CECM, le Comité des néo-Canadiens est formé en 1947 et recommande la création de cours de français et de classes trilingues sur le modèle de certaines écoles italiennes de Montréal. En 1962, alors que le Comité est présidé par un Italo-Montréalais, la CECM lance un projet pour la fondation de 13 établissements d’enseignement trilingues. Devant une opposition musclée provenant surtout du secteur anglophone de la CECM, l’initiative achoppe rapidement. À la veille de la crise de Saint-Léonard, l’anglicisation de milliers d’immigrants se poursuit.

Affirmation citoyenne

Italiens - caricature Saint-Léonard

Caricature montrant les tiraillements entre le français et l'anglais
Raoul Hunter. Bibliothèque et Archives nationales du Québec. P716,S1,P68-09-06.
Au début des années 1960, Saint-Léonard est une nouvelle banlieue composée de 55 % de francophones, de 40 % d’italophones et de 5 % d’anglophones. Comme le système d’éducation l’a toujours laissée le faire, voire encouragée à le faire, la population italienne demande la création de classes bilingues dans les écoles catholiques du secteur. En 1968, lorsque les commissaires annoncent la fin de ces classes, les Italo-Montréalais se braquent. Pour les plus anciens, il s’agit d’une atteinte au droit au libre choix acquis par des années de présence en sol canadien. Cette mesure est perçue par les nouveaux immigrants comme une entrave à leur réussite économique et sociale, qui est la raison pour laquelle ils ont quitté leur pays.

L’épisode est un important moment de structuration et d’affirmation citoyenne pour les Italo-Montréalais. Sous la direction d’une bourgeoisie italienne montante, une résistance populaire est organisée à travers des manifestations et la création de classes clandestines. Ces Italo-Montréalais forment différents groupes de pression et réclament l’intervention du gouvernement en leur faveur. Ils revendiquent une politique linguistique nationale non discriminatoire qui permettrait un enseignement en anglais de qualité, que ce soit dans des classes bilingues ou unilingues anglophones.

L’effet boule de neige

En s’opposant à la francisation obligatoire, les Italo-Montréalais révèlent l’importante anglicisation des immigrants qui, au terme des années 1960, choisissent à 90 % l’école anglophone. En pleine Révolution tranquille, ils provoquent une prise de conscience généralisée qui alimente le mouvement néonationaliste en expansion. Ils encouragent l’intervention d’un État qui a désormais la responsabilité du système d’éducation public. Après les échecs d’une succession de lois qui visent à mettre fin au conflit devenu national, la Charte sur la langue française est adoptée en 1977. Elle consacre le français comme principale langue de scolarisation et fait toujours figure d’autorité en 2017.

Références bibliographiques

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