Sauvées de la démolition par le Comité citoyen de Milton Parc dans les années 1970, des maisons de chambres offrent un milieu de vie et un loyer abordable aux personnes démunies du quartier.
Maison de chambres
Ce changement démographique se répercute également sur les quartiers résidentiels. Dès les années 1860, les bourgeois délaissent les anciens faubourgs de l’ouest de la ville et migrent sur le flanc sud du mont Royal dans la New Town (plus tard surnommée Mile carré doré). Les immeubles et les anciennes résidences bourgeoises sont subdivisés pour y louer des « chambres garnies » et des appartements ouvriers. Le même phénomène se répète au Quartier latin après la Première Guerre mondiale. L’élite francophone déserte le quartier Saint-Jacques pour Outremont à la suite du déménagement de la succursale de l’Université Laval (qui deviendra l’Université de Montréal) de l’autre côté du mont Royal. On trouve alors de nombreuses maisons de chambres dans le secteur qu’on connaîtra sous le nom de Red Light. Finalement, ce sont les maisons bourgeoises de Milton Parc qui subissent un sort identique dès les années 1930, les précédents résidants quittant le quartier pour Outremont ou Westmount.
Parmi les maisons de chambres de Montréal, on compte à l’époque des pensions familiales où les propriétaires occupants louent une ou plusieurs chambres pour augmenter leurs revenus. Sinon, ce sont généralement des résidences anciennes et vétustes, subdivisées par des propriétaires pour répondre à la demande de logement. Celles-ci sont souvent décrites comme rudimentaires et mal entretenues, parfois insalubres ou même dangereuses. Jusqu’à la fin des années 1970, les maisons de chambres de Milton Parc font partie de cette deuxième catégorie.
Dans la tourmente
Milton Parc - drone
Dès la fin des années 1950, le groupe immobilier Concordia Estates entreprend le rachat de plusieurs résidences dans le quadrilatère des voies Hutchison, Sainte-Famille, des Pins et Milton dans le but de les démolir et de construire un grand complexe immobilier au reflet de la « modernité » montréalaise : La Cité. Ce projet de revitalisation urbaine s’inscrit tout à fait dans l’air du temps. En effet, sous l’administration de Jean Drapeau, des quartiers entiers, identifiés comme des taudis, sont rasés pour correspondre à cette image moderne souhaitée par le maire. Lorsqu’il entame la phase 1 de son projet en 1972, le groupe Concordia Estates a déjà acquis 90 % des terrains du secteur et détruit 255 résidences.
Les maisons de chambres sont directement affectées par ce projet. Celles achetées par Concordia Estates, généralement endommagées par les années, ne sont pas entretenues par ce nouveau propriétaire qui ne voit aucun intérêt à soigner des propriétés qu’il veut démolir. En plus de vivre dans des chambres insalubres, voire dangereuses (comme en témoignent les incendies de l’époque), les résidants, à terme, craignent l’expulsion.
Les maisons de chambres au cœur du combat
Milton Parc 20 mai 1972
Dès le début de ce long processus, la question des maisons de chambres soulève plusieurs enjeux spécifiques au sein du CCMP. D’une part, les maisons de chambres étaient bien souvent les plus endommagées et nécessitaient des rénovations coûteuses, dont les frais ne pourraient être assumés par les chambreurs qu’une augmentation de loyer significative pousserait à quitter leur logement. Après inspection, environ 50 chambres sont jugées inhabitables, soit parce qu’elles sont en si piètre état que même des travaux ne pourraient les sauver, soit parce qu’elles ne respectent pas les normes d’habitation (pas de fenêtres, pas de sortie de secours).
D’autre part, comme le révèlent d’anciens membres du CCMP, il fut difficile de mobiliser les chambreurs dans le projet Milton Parc. Il s’agissait d’une population inconsidérée pendant une grande partie de sa vie de locataire, qui était généralement réticente et peu confiante. Ces occupants n’avaient pas tous conscience de leurs droits relatifs au logement. De plus, parmi les pensionnaires, on trouvait des personnes très âgées, des solitaires, des individus qui ne désiraient pas ou ne pouvaient pas participer au mode de gestion des coopératives qui nécessite du temps, des compétences particulières et de la volonté. Ces enjeux sont abordés de front par le CCMP, puis seront au cœur des débats de la SAMP sur les plans de rénovations et sur les modèles d’habitation.
Le plan de sauvetage
Rue Sainte-Famille 1980
Dans un premier temps, le CCMP souhaite protéger les chambreurs de l’éviction. Ainsi, il décide de reloger les locataires qui ne pourraient rester dans leur chambre dans d’autres bâtiments du projet (chambres ou appartements). Pour maintenir les loyers abordables pour tous, la SAMP fait le choix d’une demande de subvention globale pour les travaux. Les coûts de celles-ci sont donc amortis équitablement à travers l’ensemble du projet. Ce système est profitable notamment aux maisons de chambres, généralement en moins bon état et plus chères à rénover. Par ailleurs, le CCMP négocie longuement auprès de la SCHL pour harmoniser et baisser considérablement la hausse des loyers, initialement prévue entre 20 % et 60 %. La SAMP obtient une offre finale d’augmentation de loyer uniformisée de 7 %.
Ensuite, la SAMP propose de transférer les maisons de chambres à des organismes à but non lucratif (OBNL) pour accommoder les chambreurs et permettre une continuité dans leur mode de vie. Les sociétés d’habitations nouvellement créées sont pilotées par des conseils d’administration composés de bénévoles. Ainsi, contrairement aux membres des coopératives d’habitations, aucune implication particulière n’est demandée aux résidants des maisons de chambres, qui incluent des personnes vulnérables pour qui des tâches de gestion seraient difficiles. En complément du conseil d’administration qui veille au bon fonctionnement de l’organisme, les OBNL peuvent embaucher des employés tels que des organisateurs communautaires, des concierges ou des gestionnaires d’immeubles, qui offrent des services utiles pour améliorer la qualité de vie des locataires.
Les sociétés d’habitations de Milton Parc
Chambrelles
À la faveur de leurs années de luttes, les citoyens de Milton Parc ont su protéger une partie du parc immobilier des maisons de chambres, un patrimoine en déclin à l’échelle de la ville jusque dans les années 2000. Au-delà de la préservation des bâtiments, ce sont des milieux de vie pour les personnes vulnérables et à faibles revenus qui ont été sauvés grâce à leur travail.
Merci à Richard Phaneuf et à Charlotte Thibault de la Communauté Milton Parc pour leur relecture de cet article.
COMMISSION PERMANENTE SUR LE DÉVELOPPEMENT SOCIAL ET LA DIVERSITÉ MONTRÉALAISE. Les maisons de chambres à Montréal. Rapport et recommandations, Ville de Montréal, 2012, 24 p.
COUSINEAU, Christine. Milton Park : Housing Ownership and Community Control, Massachusetts Institute of Technology, 1980, 198 p.
GAGNÉ, Jean, et Marjolaine DESPARS. « Participation citoyenne et intervention communautaire : la Commission populaire pour la sauvegarde des maisons de chambres », Nouvelles pratiques sociales, vol. 23, no 2, printemps 2011, p. 65-82.
HELMAN, Claire. The Milton-Park Affair. Canada’s Largest Citizen-Developer Confrontation, Montréal, Véhicule Press, 1987, 183 p.
KOWALUK, Lucia, et Carole PICHÉ-BURTON. Communauté Milton-Parc. Sauvegarde et reconstruction d’un quartier de Montréal. L’histoire d’hier et le fonctionnement d’aujourd’hui, Communauté Milton-Parc, 2012, 107 p.