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Accueillir les bordanti : les pensions italiennes au début du XXe siècle

02 juin 2017
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Qu’ils soient ouvriers saisonniers ou permanents, les immigrants italiens du début du XXe siècle ont besoin d’un logement transitoire, le temps de bâtir leurs assises à Montréal.

Carte postale "Immigrants arrivant at Montreal"

Carte postale montrant des immigrants arrivant par bateau dans le port de Montréal au début du XXe siècle
Immigrants arrivant à Montréal. Début du XXe siècle (après 1905). Carte postale, Centre d’histoire de Montréal.
Les pensions, ou boarding houses, sont communes à Montréal depuis le milieu du XIXe siècle. Le développement des industries capitalistes provoque alors un important besoin de main-d’œuvre. Qu’ils viennent des campagnes ou d’outremer, les travailleurs s’agglutinent dans les villes où ils vivent désormais au rythme des fluctuations de l’emploi et du salariat. Cette réalité pousse les ménages montréalais qui ont suffisamment d’espace à tenir pension à même leur logement ou leur maison. Pour les ouvriers spécialisés, les petits commerçants ou les professionnels, il s’agit d’une stratégie d’appoint qui permet de diversifier leurs revenus.

Pour les immigrants, la pension représente plus qu’une entrée d’argent complémentaire ou un logis à bas prix. Elle est un espace transitoire dans le voyage migratoire, entre l’immigration temporaire et l’établissement permanent. Les Italiens arrivés au début du XXe siècle fournissent un bel exemple des multiples significations et usages de ce mode d’hébergement.

Pensions à l’italienne

Hôtel d'Italie

Hôtel d'Italie, rue Craig, en face du Champ-de-Mars
Musée McCord. MP-1983.94.1.
Dès la fin du XIXe siècle, des ouvriers saisonniers italiens convergent par milliers vers Montréal. Recrutés dans leur village pour venir travailler sur les grands chantiers de construction canadiens, ils séjournent dans la métropole, dans l’attente de savoir s’ils seront appelés par leur employeur ou s’ils devront retourner en Italie. Cherchant alors un hébergement temporaire à bon prix, ils trouvent généralement refuge dans des hôtels, des maisons de chambres ou encore dans des pensions à même le foyer d’immigrants italiens établis. À la même époque, les premiers services à saveur italienne sont mis en place, tels que des épiceries, des églises ou des gites.

Pensions familiales

Ces familles qui décident d’accueillir des pensionnaires le font généralement pour parer aux vicissitudes de la vie. Elles offrent ce service à différentes étapes de leur parcours, selon l’espace disponible et les moyens financiers. Les pensionnaires, ou bordanti, recherchent, pour leur part, une chambre temporaire bon marché, mais aussi un lieu où ils se sentent chez eux grâce au partage d’une langue, d’une religion et d’une nourriture familières. Ils prennent également conseil auprès de ces foyers établis pour trouver leurs repères dans cette ville étrangère.

Anna Pozza arrive à Montréal dans les années 1920. Son mari travaille comme journalier. À l’instar de beaucoup d’Italo-Montréalais, les difficultés financières poussent le couple à accueillir des chambreurs :

« Dans toutes les maisons où il y avait de l’espace, on était plus que content de prendre des bordanti. Ça nous aidait à payer notre loyer et en même temps eux ils se trouvaient comme dans une famille. »

Dortoir pour les ouvriers du Canadien Pacifique

Dortoir pour les ouvriers du Canadien Pacifique
Frederick Perry Sherwood / Library and Archives Canada / PA-122114.
Les pensionnaires sont triés sur le volet en fonction de leurs origines et de leur réputation. Madame Pozza, par exemple, choisit des bordanti qui lui sont parents ou qui proviennent de sa région natale. C’est une pratique courante dans toutes les communautés, y compris chez les Canadiens français ou anglais. Grâce aux caractéristiques communes entre l’hôte et le chambreur, une familiarité se crée, une culture se vitalise.

À mesure que l’immigration permanente supplante le voyage saisonnier, les formes d’usage de la pension se diversifient. Certains pensionnaires ne restent que quelques semaines, d’autres y vivent plusieurs années, pendant que de jeunes mariés s’y installent le temps d’amasser le pécule nécessaire pour acquérir leur propre logis. Peu importe le modèle choisi, la pension est un espace de sociabilité qui permet à la fois l’affirmation identitaire et la construction d’une culture italo-montréalaise.

Pensions de femmes

Épicerie italienne

Épicerie italienne sur la rue Saint-Zotique, avec une voiture à cheval devant.
CCPI – Casa d’Italia.
Les femmes italiennes mariées travaillent rarement à l’extérieur de la maison. Tenir une pension leur permet de contribuer à l’économie familiale tout en assurant leur rôle social de mère et de ménagère.

Madame Pozza, qui accueille des chambreurs pendant une dizaine d’années, offre plus qu’un service d’hébergement :

« J’avais beaucoup d’affection pour mes bordanti; je me rendais compte qu’ils n’avaient pas de famille. Mais je tenais à ce qu’ils restent à leur place. On leur faisait payer 7 $ par mois pour le lit, l’entretien et la préparation des repas; mais ils devaient s’acheter la nourriture. Ma journée de travail s’étalait de 5 h 30 du matin […], jusqu’à 9 h du soir, puis je tombais sur le lit, très fatiguée. »

En plus d’implanter les règles de fonctionnement et de garantir un service, la femme doit être accueillante et reproduire l’ambiente (l’ambiance coutumière) recherchée par les chambreurs. Elle est au cœur de cet espace tampon familier qui, pour beaucoup d’Italiens, mène à l’établissement permanent en sol montréalais.

Référence des citations : Témoignage d’Anna Pozza recueilli par Bruno Ramirez. Voir RAMIREZ, Bruno. Les Italiens de Montréal. L’origine de la Petite Italie du Québec, Boréal Express, 1984, p. 135.

L’épicerie italienne

Épicerie italienne - intérieur

Intérieur d'une épicerie italienne
Collection Félix Barrière. Bibliothèque et Archives nationales du Québec. P748,S1,P2697.

La présence des épiceries italiennes au début du XXe siècle et leur multiplication témoignent de la vitalité d’un groupe en croissance. Ces commerces, souvent aménagés à l’avant du logis familial, sont, comme les pensions, des espaces de sociabilité qui contribuent à l’implantation d’une communauté. L’épicier ou l’épicière établit une relation de confiance avec une clientèle à laquelle il fournit des produits de la mère patrie, mais aussi des accommodements ponctuels, comme l’accès au crédit. Avant la prolifération des restaurants, des bars ou des centres communautaires, l’épicerie est un lieu de rencontre où les Italiens d’une même région se rejoignent pour jouer aux cartes et prendre une boisson dans la convivialité. 

Références bibliographiques

BASKERVILLE, Peter. « Familiar Strangers: Urban Families with Boarders, Canada, 1901 », Social Science History, vol. 25, no 3 (automne 2001), p. 321-346.

BRADBURY, Bettina. « Pigs, Cows and Boarders. Non-wage Forms of Survivance among Montreal Families, 1861-1891 », Labour/Le travail, no 14 (automne 1984), p. 9-46.

BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA. « Histoire de l’immigration : groupes ethniques et culturels », [En ligne], Bibliothèque et Archives Canada, 11 janvier 2016.
http://www.bac-lac.gc.ca/fra/decouvrez/immigration/histoire-ethniques-cu... (Consulté le 6 juin 2016).

HARNEY, Robert F. « Boarding and Belonging: Thoughts on Sojourner Institutions », Revue d’histoire urbaine, no 2-78, 1978, p. 8-37.

LINTEAU, Paul-André. Histoire de Montréal depuis la Confédération, 2e édition, Montréal, Boréal, 2000, 627 p.

MALPAS, Nicole. « Destination : Montréal. L’étude de l’émigration en provenance de Casacalenda (Molise) », Cahiers québécois de démographie, vol. 26, no 2, 1997, p. 155-189.

RAMIREZ, Bruno. « Immigrants italiens dans l’espace social et culturel montréalais », dans BERTHIAUME, Guy et al. (dir.), Histoires d’immigrations au Québec, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2012, p. 43-60.

RAMIREZ, Bruno. Les Italiens de Montréal. L’origine de la Petite Italie du Québec, Boréal Express, 1984, 136 p.