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Entre tradition et innovation : vitrines et décors de Noël au XXe siècle

06 décembre 2021
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Innover tout en préservant l’esprit traditionnel du temps des Fêtes, voilà le défi qui se pose aux détaillants montréalais tout au long du XXe siècle.

Tous les ans, défiant la grisaille de novembre, Montréal se couvre de lumières et de paillettes pour célébrer Noël et accueillir les nombreux visiteurs qui affluent. On y vient pour magasiner, mais aussi pour admirer les décors, particulièrement ceux des grands commerces. D’abord conçus comme des outils de mise en marché, les étalages intérieurs, les décorations extérieures et surtout les vitrines — une tradition qui remonte au XIXe siècle — participent à un spectacle constamment renouvelé.

Pour cette période d’affaires cruciale, les détaillants tentent chaque année de se réinventer. Une palette de rouge, vert et doré, ainsi qu’une généreuse quantité de sapins, guirlandes et étoiles constituent une recette sûre pour créer l’ambiance des Fêtes. Mais, désireux de rafraîchir le vocabulaire visuel de la fête, les concepteurs des magasins, et bientôt des centres commerciaux, incorporent dans leurs présentations de nouveaux concepts et de nouvelles technologies. Ainsi, au fil du XXe siècle, les productions montréalaises deviennent de plus en plus ambitieuses.

Dès la fin du XIXe siècle, l’électricité ouvre d’excitantes possibilités pour l’illumination des décors et vitrines de Noël. Ainsi, à New York, un collègue de Thomas Edison, Edward Johnson, assemble en 1882 une guirlande de 80 petites lumières qui servira à décorer un arbre de Noël. À Montréal, le 24 décembre 1899, le journal Les Débats consacre sa « chronique scientifique » aux vitrines de la ville. On s’y extasie devant les « combinaisons artistiques de feux et de reflets électriques » qui, le soir, transforment les grands magasins en de « vrais palais féériques ». On rapporte que les gens envahissent les trottoirs afin d’admirer « les moyens ingénieux dont s’est servi l’électricien pour faire la décoration » des vitrines « incluant des lumières et lampes électriques de toutes formes, grandeurs et couleurs ». L’auteur s’ébahit devant des vitrines panoramiques présentant un impressionnant défilé de marionnettes mu par un petit moteur électrique ou encore devant ce drapeau français constitué de petites lampes électriques de trois couleurs, s’allumant et s’éteignant, « produisant l’effet d’un drapeau français flottant au vent ».

Créer de nouvelles traditions

Noël - 19 décembre 1940

Des dizaines de jeunes et d’adultes circulent dans un grand magasin où l’on voit de nombreuses décorations au-dessus des étalages.
BAnQ Vieux-Montréal. Fonds Conrad Poirier, P48,S1,P4892.
Noël étant la période la plus lucrative de l’année pour la vente des jouets, les détaillants redoublent d’inventivité dans leurs décors, publicités et activités afin d’attirer parents et enfants. Selon La Presse, en 1900, Santa Claus distribue des bonbons aux enfants au « Pays des jouets » du magasin Old Saint-George, puis, en 1915, le magasin Goodwin convie les jeunes à son « paradis des jouets », tandis que le magasin Arsène Lamy se distingue en organisant une « procession ». Petits et grands pourront suivre le bonhomme Noël de la gare du Mile End jusqu’au magasin, situé au coin des voies Saint-Denis et Duluth, où il recevra les enfants dans sa « magnifique grotte » tout près… du département des jouets!

Mais, si on en croit le long article de La Presse du 20 décembre 1915, le magasin Dupuis Frères, un favori de la clientèle francophone, s’est surpassé cette année-là. De l’extérieur, on remarque déjà sa « marquise de houx brillamment illuminée ». Parents et enfants sont attendus au « Royaume des jouets » auquel on accède par… un tout nouvel ascenseur! À nouveau agrandi, le rayon occupe les deux tiers du troisième étage. C’est là qu’il faut aller pour trouver l’extraordinaire poupée qui dit « maman », un jockey mécanique sur son cheval fringant ou une ménagerie complète d’animaux sauvages ou domestiques. D’ailleurs, d’après la publicité dans La Presse du 4 décembre 1915, « le vrai Bonhomme Noël est chez Dupuis »!

En introduisant en 1925 le défilé du père Noël, le grand magasin Eaton s’impose dans le calendrier montréalais. Le nouveau détaillant, qui vient d’emménager au centre-ville, va tenir cet événement annuellement jusqu’en 1969. Son célèbre petit train miniature dans le royaume des jouets, établi en 1936, deviendra lui aussi une tradition pour les familles pendant des décennies. En 1938, près de la vitrine présentant un ange en robe blanche assis à l’orgue, avez-vous été surpris d’entendre des cantiques? C’était bien sûr Eaton qui innovait en diffusant de la musique à l’extérieur d’une vitrine pour la première fois…

Des vitrines de plus en plus spectaculaires

Rue Sainte-Catherine 26 décembre 1946

Sur la façade de la rue Sainte-Catherine, les marquises du magasin Eaton sont en 1946 décorées de grands sapins et d’arcs lumineux. Des passants circulent devant les vitrines, alors qu’un tramway passe.
BAnQ Vieux-Montréal. Fonds Conrad Poirier, P48,S1,P12907.
Après la Deuxième Guerre mondiale, l’engouement pour le magasinage est manifeste. En novembre 1948, La Presse constate une affluence à Montréal « presque inimaginable »! Les vitrines jouent un rôle clé dans cette attraction. Dans leur publicité, les commerces incitent souvent la clientèle à venir les admirer. Créée en 1947, la nouvelle vitrine mécanisée, habitée par de charmants petits animaux de peluche, fait la fierté de la Maison Ogilvy. L’institution opte pour une solution durable, en présentant en alternance, deux décors conçus par une firme allemande. Cette présentation, qui cesse en 2017, s’est imposée comme un « incontournable » du lèche-vitrine montréalais pendant 70 ans.

Dans les années 1950, il n’est pas rare de voir les gens faire la file pour venir admirer les vitrines de Noël des grands magasins. Celles de 1951 sont du « grand art », commente la journaliste Odette Oligny du journal Le Canada, qualifiant celles de Dupuis Frères de féériques. Dans les vitrines de Simpson, le « Bonhomme de Noël » marche sur les toits, accompagné de petits chats de gouttière. Dans une des lucarnes, « une petite fille bien éveillée […] sourit au voyageur nocturne » selon Le Devoir en 1959. À la gare Centrale, le public s’émerveille devant les costumes et décors d’une scène présentant Cendrillon et le Chat botté.

D’impressionnants moyens

Promenade en train - Noël 29 décembre 1947

À l’intérieur d’un grand magasin, enfants et adultes prennent place dans un train miniature de Noël stationné dans une salle décorée.
BAnQ Vieux-Montréal. Fonds Conrad Poirier, P48,S1,P14862
À nouveau en 1959, Dupuis Frères en met plein la vue. Précédée d’un spectacle de Blanche Neige et les sept nains, l’arrivée du père Noël en hélicoptère au parc La Fontaine marque le début d’un défilé dans les rues de l’Est. Un corps de musique et des chars allégoriques conduiront le vieil homme à la barbe blanche jusqu’au magasin, où l’attendront la presse et la radio. Les journalistes du Devoir expliquent que les jeunes pourront visiter la « Cité des jouets » et se balader dans le « Petit train du Nord » qui traverse un décor « rempli de scènes merveilleuses ». Ils pourront ensuite rencontrer la célèbre fée des Étoiles et, bien sûr, le père Noël! Évidemment, on peut aussi admirer la « crèche du petit Jésus » avec ses personnages « recouverts d’or 23 carats »!

La maison Eaton déploie également d’importants moyens pour ses étalages. Maintenir les vitrines et décors déjà réputés pour leur élégance est en 1947 la responsabilité d’Émile Lemieux. Comme décorateur en chef, il dispose « du plus important atelier de ce genre au Canada ». Durant le temps des Fêtes, plus de 150 hommes et femmes y travaillent comme étalagiste, peintre ou menuisier. Il y a des décors à fabriquer, des départements à « redécorer » et des vitrines à refaire. Tout est fait sur place, affirme-t-il fièrement dans le Photo-journal du 18 décembre 1947. Concevoir et réaliser des vitrines de Noël spectaculaires et différentes chaque année devient cependant de plus en plus dispendieux. Ainsi, en 1975, La Presse précise que la grande vitrine de Noël d’Eaton avec ses poupées mécaniques coûte environ 10 000 dollars!

Faut-il oser?

Publicité père Noël 1952

Publicité du 14 novembre 1952 de Dupuis Frères. Des illustrations montrent des jouets, un petit train, la fée des Étoiles ainsi que le père Noël arrivant en soucoupe volante.
BAnQ Numérique
Pendant des mois, les étalagistes des grands magasins du centre-ville conçoivent et préparent « le » nouveau décor de Noël pour les vitrines, la plus importante activité promotionnelle de l’année. Les concepteurs dépouillent les revues d’étalage américaines ou européennes à l’affût des nouvelles tendances ou de l’idée géniale qui les démarquera des autres grands détaillants. La recette requiert une bonne dose de tradition, ce qui n’empêche pas d’innover.

Jouant d’audace, Michèle Armantier, conceptrice des vitrines du Eaton du centre-ville, imagine en 1983 un décor futuriste aux accents métalliques inspiré des jeux vidéo. Le père Noël occupe un vaisseau spatial entouré de robots. Plusieurs passants et passantes applaudissent l’inventivité du concept, mais Radio-Canada rapporte que d’autres disent préférer des représentations plus traditionnelles, « moins artificielles ». Notons que Dupuis Frères avait déjà présenté en 1952 un thème interspatial. Des soucoupes volantes envahissaient ses vitrines, tandis qu’au quatrième étage, les jeunes pouvaient retrouver le père Noël dans sa propre soucoupe. Comme quoi, il est difficile de trouver des concepts absolument inédits.

Les centres commerciaux repoussent les limites du spectacle

Noël - Bal à Versailles

Des étalagistes préparent les personnages et décors du « Bal à Versailles » pour le centre Rockland. À l’arrière-scène, un grand escalier blanc et doré vient d’être assemblé.
Collection privée Johanne Béliveau
Les grands magasins du centre-ville, se disputant la clientèle du temps des Fêtes, font aussi désormais face à la concurrence des grands centres commerciaux, particulièrement évidente dans les années 1980 et 1990. L’échelle des installations y est souvent époustouflante : couronnes gigantesques, sapins immenses, suspensions surdimensionnées et décors particulièrement élaborés. Pour attirer les consommateurs et consommatrices, les grands centres commerciaux peuvent dépenser des centaines de milliers de dollars pour un nouveau décor. Tout est mis en œuvre pour créer l’ambiance des Fêtes : musique, guirlandes, lumières scintillantes, concerts et spectacles d’animation pour les enfants, incluant la fée des Étoiles et des lutins aux costumes exubérants. Qu’il soit château ou sapin géant, le décor est souvent conçu autour de l’aire où les enfants rencontrent le père Noël. Son arrivée doit, elle aussi, être festive et impressionnante. Arrivera-t-il cette fois en parachute? Où se glissera-t-il à travers la très haute verrière du toit pour saluer les enfants avant de réapparaitre « par magie » tout près des petits dans une boite cadeau géante?

Partout dans la ville, les commerces se préparent. Plusieurs rues commerciales sont illuminées. On organise des concours de vitrines. Le charme de Noël envahit les devantures des plus petites boutiques. Tout le monde y participe : l’optométriste, la pharmacie du coin, la bijouterie ou le commerce de vêtements… Dans les années 1990, Jeunes d’ici, un magasin de meubles de l’avenue Laurier devient pour les Fêtes un monde de peluches et de jouets de bois. Chaque année, la vitrine accueille une grande famille d’oursons de peluche qui s’y installe pour deux mois. Des grands-parents oursons au petit dernier, encore en couche, tout le monde est à la fête. À l’intérieur, on mise sur l’atmosphère et l’expérience. Au milieu des guirlandes et étalages ludiques, les enfants sont invités à des ateliers de création de biscuits au gingembre… alors qu’une délicieuse odeur du pain d’épices se répand dans le commerce.

Une nostalgie renouvelée

Noël Eaton 1988

Dans un atelier du magasin Eaton, des étalagistes préparent les sapins de Noël qui seront plus tard placés dans les différents départements et dans les vitrines.
Collection privée Johanne Béliveau
Plusieurs concepts inventés au XXe siècle ont donc enrichi le vocabulaire visuel associé au temps des Fêtes, se greffant à d’autres représentations datant des siècles précédents. La visite du père Noël, le scintillement de milliers de lumières miniatures ou les immenses suspensions flottant dans les espaces commerciaux et publics font désormais partie de notre conception des décors de Noël. Les grandes « vitrines-spectacles » d’autrefois se font cependant plus rares. On se réconforte en pensant qu’au-delà de l’objectif mercantile, des centaines de petites et grandes entreprises, d’artisans, d’artisanes et de designers continuent toujours d’insuffler la magie de Noël dans la ville.

Décorville : une firme montréalaise

Au lieu de créer eux-mêmes leurs décors, plusieurs étalagistes, commerces et grands magasins s’approvisionnent auprès de firmes montréalaises importatrices ou fabricantes de cannes géantes, guirlandes, sapins...

Décorville, l’entreprise fondée en 1943 par les frères Jean et Gilles Desmarais, se démarque dans le domaine pendant plusieurs décennies. D’abord établie sur l’avenue Christophe-Colomb à Montréal, la firme compte 25 à 30 employés en 1960, mais plus encore durant les mois précédant Noël. La fille d’un des patrons, Hélène Desmarais, en devient la directrice à 23 ans en 1965. Visitées à la fin des années 1970, leurs nouvelles salles d’exposition de la rue Henri-Julien s’avérèrent absolument magiques : personnages animés, cristaux scintillants, rideaux de lamé argenté, sapins magnifiques ornés de mille lumières, de boules et de paillettes. Pendant plus de 40 ans, l’entreprise a été une référence pour décorer les commerces montréalais.

Dans les coulisses du magasin Eaton du centre-ville et du centre Rockland

Avant de devenir historienne, Johanne Béliveau, l’auteure de cet article, a travaillé entre 1980 et 2006 comme étalagiste, notamment pour La Baie d’Hudson (Red Deer) et Eaton (vitrines du centre-ville de Montréal), puis comme conceptrice de décor pour sa propre entreprise, Agence d’étalage Johanne Béliveau.

Elle livre ici quelques-uns de ses souvenirs : « Comme étalagiste “sénior” dans les vitrines d’Eaton en 1988, j’ai pu apprécier toute l’énergie que le département de l’étalage y consacrait. Dans l’atelier du neuvième étage, plus d’une trentaine d’étalagistes — certains spécialement embauchés pour la saison des Fêtes — préparent les sapins et guirlandes ou emballent des centaines de cadeaux vides destinés aux vitrines ou étalages. On décore et agrandit le rayon des jouets; on installe des boutiques de cadeaux ou de décorations dans les départements. L’équipe des vitrines travaille pendant des semaines pour achever plus d’une vingtaine de vitrines de mode ou de cadeaux. Celles de la rue Maisonneuve, réservées aux jouets, sont dévoilées dès… la fin septembre! Cette année-là, les prestigieuses vitrines de la rue Sainte-Catherine sont tapissées de trompe-l’œil peints sur d’immenses canevas préparés par des artisans spécialisés. Rien n’est laissé au hasard, chaque objet, vêtement, coiffure ou accessoire est choisi avec grand soin. Derrière les volets fermés, on rectifie l’éclairage, on étend un dernier souffle de paillettes… Vite! Tout doit être prêt pour le début novembre! »

Johanne Béliveau se souvient aussi des grands moyens déployés par un centre commercial : « Notre firme, une des entreprises montréalaises spécialisées dans la conception de vitrines et la fabrication de décor, signait en 1993 le décor de Noël du centre Rockland. Résultat de milliers d’heures d’ouvrage, du talent et de l’inventivité de plus d’une trentaine d’artisanes et artisans, menuisiers et techniciens, « Bal à Versailles » invite alors le public à une fête royale. Le décor compte 18 personnages, dont 12 mécanisés. Sous un éclairage de scène, dames, gentilshommes et enfants vêtus de brocart, de satin et de dentelles déambulent près d’un escalier majestueux. Un sapin immense généreusement décoré et illuminé surplombe la scène. Presque tout s’installe la nuit, parfois à l’aide d’une grue mécanique. Avec sa palette traditionnelle de rouge, blanc et or, et sa thématique à la fois élégante et distincte, la production enchante les visiteurs. »

Références bibliographiques

COMEAU, Michelle. « L’enfant courtisé. Santa Claus entre le commerce et la magie », Cap-aux-Diamants, no 40, 1995.

LEBEL, Jean-Marie. « Mon beau sapin : coutumes et décorations de l’arbre de Noël », Cap-aux-Diamants, no 47, 1996.

MARSH, James H., et Maude-Emmanuelle LAMBERT. « Noël au Canada », L’encyclopédie canadienne, 14 décembre 2011 et 29 avril 2015.