On s’extasie devant les vitrines montréalaises depuis longtemps. La volonté des commerçants de se distinguer et des ouvertures en façade toujours plus grandes ont conduit à un foisonnement décoratif.
Vitrines grands magasins
Rappelons d’abord qu’au début du XIXe siècle, c’est par des vêtements accrochés à sa porte qu’un tailleur de la rue Saint-Paul invite à découvrir ses produits. Les fenêtres des boutiques sont trop petites pour bien présenter la marchandise; les produits sont donc souvent étalés à l’extérieur, explique un voyageur en 1816. Dès les années 1820, l’apparition des maisons-magasins avec des fenêtres à grands carreaux permet des présentations en vitrine plus élaborées. La chronique « Modes montréalaises » du journal La Ruche littéraire et politique rapporte avec enthousiasme en 1854 qu’on peut admirer les nouveautés printanières dans la vitrine de M. Lafond : certains « de ses chapeaux exposés dans sa vitrine sur la rue Lambert ne dépareraient pas la tête des plus fières lionnes parisiennes »!
Les nouveaux et élégants magasins-entrepôts, en nombre croissant à Montréal à partir des années 1850, ouvrent de nouvelles possibilités de présentation de marchandise. Déployant leur offre marchande sur plusieurs étages, ces magasins jouissent de grandes fenêtres en façade qui laissent la lumière du jour entrer tout en créant des espaces d’étalage. Un exemple précoce de ce type de magasin, J. & M. Nichols de la rue Notre-Dame Ouest, près de la rue McGill, présente en 1852 dans ses baies vitrées des tissus, châles et bonnets… Tout pour séduire les dames! Le commerce de détail montréalais profite alors de la croissance d’une clientèle bourgeoise dont l’enrichissement se traduit en un désir accru de consommation.
Abondance du temps de fêtes
Vitrine magasin
L’innovation du magasin à « rayons » new-yorkais Macy’s en 1874 ne semble donc pas d’avoir « inventé » la vitrine de Noël, comme on le suggère parfois, mais bien d’être allé au-delà de la simple présentation de marchandises pour les fêtes. La brève description de ces vitrines mythiques dans le New York Times indique qu’on peut y admirer de nombreuses poupées de porcelaine et autres jouets. On évoque des mises en scène élaborées et composites, comme celle de ces demoiselles aux balcons de maisons de campagne et de ces cavaliers trottant sous le regard de celles-ci. Il s’agit vraisemblablement de l’une des premières manifestations de la « vitrine spectacle » où les éléments de décors jouent un rôle majeur. L’espace de présentation nécessaire à ce type de mise en scène va devenir d’ailleurs la norme pour ces grands magasins.
Comme d’autres villes en Amérique, Montréal s’industrialise de plus en plus, et sa population se densifie. Les nouveaux magasins « à rayons » tentent de séduire la classe moyenne naissante en lui présentant tous ces nouveaux biens produits en série. La vitrine devient un des outils incontournables de commercialisation. Les grandes baies vitrées — au même titre que l’éclairage électrique ou les ascenseurs — font partie des innovations technologiques intégrées dès la conception dans les édifices « modernes » construits pour ces grands détaillants. Plusieurs viendront s’installer sur la rue Sainte-Catherine, qui devient graduellement le nouveau cœur commercial de Montréal. Déjà établi sur cette artère, Dupuis Frères déménage en mars 1882 au coin de la rue Saint-André. L’entreprise se transforme de plus en plus en un « grand magasin ». Son nouvel édifice de quatre étages compte de belles grandes vitrines et — bonne nouvelle — l’éclairage électrique y sera bientôt installé.
Comment réussir sa vitrine
Grand magasin
Pour Noël 1899, le grand magasin Macy’s attire à nouveau l’attention du Tout-New York, cette fois par une grande vitrine de Noël mécanisée. Les grands magasins « à rayons » vont au fil des ans rivaliser d’imagination et déployer des moyens impressionnants pour se démarquer de la concurrence durant cette période de forte consommation. Ce n’est cependant qu’en 1909 que Selfridges de Londres et Au Bon Marché de Paris inaugurent leurs premières grandes vitrines de Noël, étonnantes par leur mise en scène spectaculaire. Chez le détaillant parisien, parents et enfants revivent alors l’exploit récent de l’atteinte du pôle Nord en traineau à chiens. Dans un décor de neige et de glace, peluches et jouets côtoient igloos, oursons mécaniques et autres automates. La grande et flamboyante vitrine devient pour ces géants du commerce de détail une signature, contribuant à maintenir leur image de marque et de prestige.
À Montréal aussi, les commerçants redoublent d’imagination pour charmer le public. En mai 1899, le « Grand magasin de l’ouest » de S.A. Larose, au coin des voies Notre-Dame et Aqueduc, annonce dans ses « grandes vitrines », « de grands étalages ». On pourra y admirer des représentations de Melle Rigodon « célèbre danseuse parisienne […] engagée à grands frais », dit-on dans La Presse. Pour Noël 1900, le magasin « à rayons » Old St George de la rue Notre-Dame ne semble nullement intimidé par la compétition. Ses vitrines de Noël sont si belles, peut-on lire dans son annonce dans La Presse, « qu’il ne s’est jamais rien vu de pareil à Montréal ou sur le continent »! Pour vendre ses jouets, l’entreprise élabore d’ailleurs tout un programme. « Santa Claus » sera dans le magasin pour offrir des bonbons gratuits aux enfants. Les clients pourront écouter l’orchestre « hongrois » et profiter des offres spéciales au « Pays des jouets »! Comme quoi, la commercialisation de la fête ne date pas d’hier!
C’est d’ailleurs toute une industrie autour de l’étalage et des vitrines qui va se développer au XXe siècle en Amérique du Nord. Particulièrement pour le temps des fêtes, la créativité déployée par les nombreux spécialistes des vitrines et décors — concepteurs, artisans, étalagistes — n’aura de cesse de fasciner.
BEAUREGARD, Yves. « Le courrier du temps des Fêtes », Cap-aux-Diamants, no 47 (automne 1996), p. 20-22.
BURGESS, Joanne. La consommation : une passion victorienne, circuit web, Musée McCord.
http://collections.musee-mccord.qc.ca/scripts/printtour.php?tourID=VQ_P2...
LAUZON, Gilles (dir.), et Madeleine FORGET (dir.). L’histoire du Vieux-Montréal à travers son patrimoine, Les publications du Québec, 2005, p. 130 et suiv., p. 159 et suiv.
COMEAU, Michèle. « Les grands magasins de la rue Sainte-Catherine à Montréal : des lieux de modernisation, d’homogénéisation et de différentiation des modes de consommation », Bulletin d’histoire de la culture matérielle, no 41 (printemps 1995), p. 58-68.
https://journals.lib.unb.ca/index.php/MCR/article/view/17638/18913