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Le Red Light

17 décembre 2015
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Le Red Light est en transformation dans les années d’après-guerre. Malgré sa réputation sulfureuse, le quartier reste résidentiel et une partie de sa population ne profite pas des activités illégales.

QD - Red Light, avant-après

Montage photographique montrant le quartier avant les démolitions, puis une fois les Habitations Jeanne-Mance construites, à deux époques différentes.
Photos des Archives de la Ville de Montréal. Photomontage Centre d’histoire de Montréal.
Le territoire illustré ici s’étend au nord de la rue Sainte-Catherine jusqu’à la rue Ontario, entre les rues Saint-Dominique et Sanguinet. Il se trouve dans la partie est de l’ancien faubourg Saint-Laurent qui devient le quartier Saint-Louis en 1845, puis le quartier Crémazie en 1921. Ce secteur de la ville n’a pas bonne réputation, car il englobe la célèbre zone des maisons de prostitution (d’où son nom de Red Light) et des établissements de jeu et de paris illégaux — les « barbotes » —, dominés par le crime organisé, qui donnent à Montréal sa réputation de « ville ouverte ». Les maisons de prostitution sont fermées en février 1944, à la suite des pressions de l’armée canadienne, préoccupée par l’incidence des maladies vénériennes parmi les soldats. Les prostituées restent cependant très présentes dans les rues et les logements des alentours. La campagne de moralité des années 1950 maintient la pression en plus d’obtenir la fermeture de nombreuses maisons de jeu.

Ainsi, le quartier est en transformation dans les années d’après-guerre. Malgré sa réputation sulfureuse, il reste essentiellement résidentiel et une bonne partie de sa population ne profite pas des activités illégales qui s’y déroulent. Ce territoire commence à se développer au début du XIXe siècle, avec l’érection de petites maisons de bois, typiques des faubourgs montréalais. Le grand incendie de 1852 vient tout raser. On reconstruit, mais cette fois en brique. La plupart des maisons datent donc de la seconde moitié du XIXe siècle.

Malgré la pauvreté, une vie de quartier intense

Vers 1950, les trois quarts d’entre elles ont plus de 60 ans et plusieurs présentent des signes de délabrement. Elles attirent une population à la recherche de logements à faibles coûts; 90 % des loyers y coûtent moins de 50 $ par mois. Il s’agit surtout de locataires ou de chambreurs peu fortunés, ouvriers sans qualifications ou petits employés dont le salaire mensuel (environ 36,80 $) est inférieur à la moyenne montréalaise. Ils sont majoritairement canadiens-français, mais on y trouve aussi des personnes issues de l’immigration. Proportionnellement à la population, la Ville y débourse trois fois plus qu’ailleurs pour l’aide sociale. Comme en témoignent les photos, les maisons du secteur abritent surtout des logements, mais leur rez-de-chaussée est souvent occupé par un petit commerce ou un service de proximité, autant de lieux de sociabilité témoins d’une vie de quartier intense.

QD - Carte des zones de taudis (v2451-1-03)

Carte des zones de taudis du rapport Dozois montrant plus en détail le secteur du Red Light.
Archives de la Ville de Montréal. V2451-1-03.
Le secteur est au cœur de l’une des 13 zones de taudis identifiées dans le rapport Dozois de 1954. Celui-ci le décrit comme comportant « une des plus fortes concentrations de bâtiments vétustes ». Il souligne que plus du tiers des logements n’a pas de baignoire et que le cinquième est affligé d’une plomberie défectueuse. En outre, le rapport souligne que la criminalité et la délinquance y ont une incidence marquée, puisque le nombre d’arrestations par 1000 habitants est 6 fois plus élevé que dans l’ensemble de la ville. Ce secteur est retenu pour expérimenter la solution de rénovation urbaine la plus radicale qui soit : tous les bâtiments seront rasés pour faire place à un complexe de logements sociaux (les Habitations Jeanne-Mance) répondant aux normes les plus modernes. C’est dans ce contexte que la Ville de Montréal fait photographier, en 1957, tous les bâtiments destinés à disparaître, documentant ainsi une tranche de la vie urbaine. La démolition est faite par étapes, en deux ans, en même temps que s’amorce la construction du nouveau complexe dont les premiers logements sont inaugurés en 1959.

Ce texte de Paul-André Linteau est tiré du livre Quartiers disparus. Red Light, Faubourg à m’lasse, Goose Village, sous la direction de Catherine Charlebois et Paul-André Linteau, Les éditions Cardinal, 2014, p. 48-49.