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L’Empress Theatre, premier cinéma égyptien à Montréal

20 août 2018
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Dès sa construction en 1928, le cinéma Empress Theatre se distingue par son style inspiré de l’Égypte ancienne. Malgré les outrages du temps et son abandon, il se démarque toujours.

Empress Theatre

Façade de l’édifice Empress Theatre en 2018. Malgré les éléments architecturaux néoégyptiens visibles, le délabrement de l’édifice, en arrière d’une grille métallique de protection, est palpable.
Dans l’histoire de la métropole, l’édifice Empress Theatre est un témoin incontournable de l’attirance conjointe des Montréalais, pendant les années 1920, pour l’Égypte ancienne et pour le cinéma naissant. Méconnu et menacé, ce bâtiment est un repère socioculturel important de l’ouest de Montréal.

La première représentation cinématographique au Canada a eu lieu à Montréal, le 27 juin 1896 au Palace Theatre de la rue Saint-Laurent. Les spectateurs ont alors assisté à la projection de quelques « vues animées », des courts métrages réalisés par les frères Lumière. Dès lors, la popularité du cinéma ne cesse de croitre, passant d’une attraction ambulante expérimentale à des salles obscures bien établies. Entre les années 1910 et 1930, une vingtaine de « salles atmosphériques », surnommées movie palaces, sont construites dans la région montréalaise. Ces grands espaces distractifs sont conçus pour proposer des spectacles divertissants à un large public, dans une atmosphère portant l’imagination loin du quotidien.

Une attirance pour l’Égypte ancienne

Empress Theatre

Cette photographie, prise le 30 octobre 1943, montre une file d’enfants devant l’Empress Theatre. Les enseignes lumineuses incitent à soutenir l’effort de guerre canadien par l’achat de bons de guerre.
Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Vieux-Montréal. Fonds Conrad Poirier, P48.S1.P9358.
Quelques palaces montréalais ont survécu aux affres du temps, sans toujours conserver leur vocation originelle ou leur décor exotique. Ainsi, si le Cristal Theatre (1908) est devenu le Club Soda ou le Dominion Theatre (1913) est aujourd’hui le cabaret La Tulipe, perpétuant leur fonction primitive, d’autres comme le Regent Theatre (1915), le Rivoli (1926) et le Château (1931) sont transformés respectivement en librairie, en pharmacie et en église. Malgré les inspirations hétéroclites des architectes pour concevoir les movie palaces (styles néoclassique, impérial, Renaissance italienne, Art déco, etc.), le style néoégyptien reste mineur. Quand l’architecte Alcide Chaussé est retenu par la Confederation Amusements de la famille Lawands pour construire un nouveau cinéma, il décide d’utiliser ce style pharaonique, exotique et inusité, pour distinguer son édifice. Il surfe ainsi sur la vague de la Tutmania, phénomène culturel et artistique inspiré par la découverte de la tombe de Toutankhamon par Howard Carter (1922), et plus largement s’inscrit dans l’égyptomanie, une attirance particulière pour l’Égypte ancienne stimulant autant les artistes, les architectes que les romanciers ou le grand public.

Librement inspiré par deux temples égyptiens de la période ptolémaïque (-323 à -30 avant J.-C.), celui de Philae dédié à la déesse Isis proche d’Assouan et celui d’Edfou consacré au dieu Horus entre Louxor et Assouan, le décor néoégyptien de l’Empress Theatre (« cinéma l’Impératrice ») plonge le visiteur dans l’Égypte magique des années 1920. Construit au 5560 de la rue Sherbrooke Ouest, dans Notre-Dame-de-Grâce, le cinéma comprend une grande salle moderne de 1350 places. Sa façade de pierre réalisée par Pierre-Édouard Galea se compose de colonnes, de corniches, de portraits, d’inscriptions pseudo-hiéroglyphiques et de personnages d’inspiration pharaonique. Le décor intérieur réalisé par Emmanuel Briffa, qui décora également le Rialto (1924), les Théâtres Outremont (1929) et Snowdon (1937), se compose de peintures et de moulures égyptisantes reproduisant, entre autres, dans le hall principal, le kiosque construit par l’empereur romain Trajan au temple de Philae. Unique au Canada, cet ensemble architectural néoégyptien initie le spectateur aux paysages fantasmés d’une Égypte ancienne immuable.

Des difficultés financières à l’abandon

Empress Theatre

Peinture intérieure dans le hall de l’Empress Theatre, devant laquelle posent les employés en 1944. Le décor en arrière-plan représente le kiosque de Trajan au temple de Philae en Égypte.
Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Vieux-Montréal. Fonds Conrad Poirier, P48.S1.10562.
L’Empress ouvre le 19 mai 1928 avec un spectacle mixte présentant un film muet et quelques numéros de vaudeville, deux éléments distractifs très populaires à l’époque. Cependant, le cinéma connait d’importantes difficultés financières, et est notamment touché par la crise économique de 1929 qui diminue gravement la fréquentation des cinémas malgré l’introduction des films parlants en 1928. L’Empress ferme en 1939. Entre 1963 et 1965, il renait sous la forme d’un cabaret, le Royal Follies. La structure interne est réorganisée, divisant en deux l’imposante salle, et la décoration intérieure est remaniée dans un style plus… dénudé. Ce changement de vocation traduit la faible fréquentation des salles obscures après l’introduction massive des télévisions dans les foyers occidentaux. Entre 1968 et 1992, l’Empress devient le Cinema V, dont la décoration rouge et bleu marqua plusieurs générations de spectateurs. La salle rouge présentait des films de répertoire alors que dans la salle bleue passaient des films érotiques. En 1992, un important incendie ravage l’intérieur de l’édifice qui est depuis abandonné.

Malgré les rénovations successives (1963, 1968) et les flammes (1992), l’Empress conserve encore quelques éléments de son décor originel de 1928. Plusieurs projets de restauration ont été proposés sans succès, malgré le soutien de résidants, d’artistes et d’un groupe de bénévoles passionnés. À l’image du Louxor, cinéma néoégyptien parisien au destin longtemps incertain et aujourd’hui rénové, l’Empress pourrait renaitre de ses cendres et reprendre sa place dans la trame urbaine, sociale et culturelle de Notre-Dame-de-Grâce.

Bien plus qu’un simple cinéma de quartier actuellement inoccupé, l’Empress possède une valeur patrimoniale irremplaçable pour Notre-Dame-de-Grâce et plus largement pour Montréal. Les conversions successives de l’enseigne lumineuse de l’édifice rappellent les transformations socio-économiques montréalaises. Intrinsèquement, l’Empress est un témoin indéniable d’une époque flamboyante, durant laquelle l’Orient faisait rêver l’Occident par l’intermédiaire notamment des movie palaces qui offraient au grand public une expérience singulière à un prix compétitif.

Un cinéma égyptien au Cours Mont-Royal

Entre 1987 et 2001, un autre cinéma égyptien fut actif à Montréal, dans le centre commercial des Cours Mont-Royal de la rue Peel. Avec ses trois salles, le Cinéma Égyptien présentait un décor égyptisant flamboyant. Les décorations camouflaient avantageusement les piliers de soutènement, apparaissant dans les salles, en colonnes palmiformes multicolores et intégraient d’autres éléments néoégyptiens.