Malgré une histoire parsemée de conflits et de menaces de destruction, le cinéma Rialto est aujourd’hui un des édifices patrimoniaux phares du Mile End.
Rialto 1936
La construction du Rialto témoigne d’une lutte de territoire entre les deux principaux groupes de cinémas de quartier de Montréal dans la première moitié du XXe siècle. Le numéro un, la United Amusement dirigée par George Ganetakos, a acquis en 1921 un terrain du côté ouest de l’avenue du Parc près de la rue Bernard pour construire un cinéma. Cependant, son projet a pris du retard. Entre-temps, le numéro deux, la famille Lawand, a acquis le terrain en face et a commencé la construction du Rialto. Exploitant déjà le Regent et le Belmont, et étant sur le point d’acquérir le Mount Royal, la United n’a pas apprécié cette incursion dans un territoire qu’elle considérait comme le sien. Elle a exigé et a obtenu la cession du Rialto par les Lawand, en échange d’un accord de non-concurrence dans leur territoire principal, Hochelaga-Maisonneuve.
Une salle de cinéma de prestige
Rialto
Ouvert par la United le 27 décembre 1924, presque quatre ans avant l’arrivée du cinéma parlant à Montréal, le Rialto a été conçu pour le cinéma muet accompagné du pianiste maison, et pour les autres formes de divertissement qui composaient alors un programme. La soirée d’ouverture mettait en scène non seulement le pianiste attitré, Eugene Maynard, mais aussi cinq autres musiciens de cinéma, dont Willie Eckstein, qui était le pianiste habituel du cinéma Strand, sur la rue Sainte-Catherine. La renommée et le talent prodigieux de ce dernier attiraient des mélomanes de partout en Amérique.
Pendant presque 40 ans, le Rialto a servi de cinéma de quartier pour les programmes doubles d’Hollywood, affichés depuis la fin des années 1940 sur la marquise lumineuse encore en place aujourd’hui. Avec l’abandon des cinémas de quartier, le Rialto devient un cinéma grec en 1967.
Déclin et nouvelles vocations
Rialto intérieur
Le Comité des citoyens du Mile End fait alors pression, conjointement avec le YMCA, pour que le cinéma protégé soit transformé en centre communautaire interculturel. Entre-temps, le théâtre est utilisé comme cinéma de répertoire et salle de concert (de 1988 à 1993), tandis que les salles de fêtes sont louées à la compagnie de danse contemporaine La La La Human Steps qui y établit ses ateliers.
En 1999, les sièges du parterre du théâtre sont enlevés, le plancher nivelé et la scène agrandie. Une demande d’autorisation d’y tenir une boite de nuit nommée « Rex Club » soulève un nouveau tollé dans le quartier; elle est néanmoins accordée, mais le permis d’alcool ne sera jamais délivré. Le restaurant Rialto Paradiso ouvre brièvement, de 2005 à 2007, en attendant une fonction viable à long terme.
L’immeuble est enfin vendu en 2010. Le nouveau propriétaire, Ezio Carosielli, répare le toit et installe l’infrastructure technique (son, éclairage) nécessaire pour présenter des spectacles. Il entreprend ensuite une restauration profonde et sensible de l’édifice pour retrouver l’éclat de la façade de Gariépy, des décors de Briffa et des verrières, dont une était cachée depuis des décennies derrière un faux plafond. En même temps, les salles multifonctionnelles servent à une variété de programmes de musique, de théâtre ou de cirque, ainsi qu’à des mariages, des conférences et des réunions communautaires.
Désigné lieu historique national du Canada, classé immeuble patrimonial du Québec et cité comme immeuble patrimonial par la Ville de Montréal, le Rialto fait aujourd’hui le bonheur de tous : la communauté, les défenseurs du patrimoine et son propriétaire.
Cet article est tiré du texte Rialto (cinéma), rédigé par Justin Bur et Yves Desjardins en 2016 et disponible sur le site Internet de Mémoire du Mile End.
DESJARDINS, Yves. Histoire du Mile End, Québec, Septentrion, 2017, 355 p.