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La Commission des liqueurs (1921-1961)

09 septembre 2019

En vigueur dans les années 1920, la prohibition est à l’origine du monopole étatique en matière d’alcool et de l’institution qui deviendra la Société des alcools du Québec.

Carte postale alcool prohibition

Carte postale en noir et rouge montrant un homme qui rencontre ses « amis » les bouteilles d’alcool.
Collection du Centre d’histoire de Montréal. 11993.
Au début du XXe siècle, l’alcool est pointé du doigt car on l’estime responsable de bien des maux, notamment de mettre en péril la moralité publique. Partout aux États-Unis et au Canada sont votées des lois criminalisant la fabrication, la vente et la consommation d’alcool. L’Amérique du Nord se retrouve le gosier sec.

Le Québec ne fait pas exception à la règle. En 1918, le gouvernement Taschereau vote une prohibition totale qui doit prendre effet le 1er mai 1919. Toutefois, un référendum vient contrecarrer les plans du gouvernement. La population refuse la prohibition! La bière, le cidre et le vin seront exclus de la loi sur la prohibition. La Loi sur les boissons alcooliques permettra néanmoins aux municipalités de voter des règlements plus sévères à l’échelle locale. En conséquence, des villes comme Québec et Verdun seront totalement « sèches ».

La prohibition nord-américaine incite les gens à venir au Québec pour avoir du bon temps. C’est le début de l’âge d’or des cabarets et des boîtes de nuit montréalais. Les clubs poussent comme des champignons, les rues résonnent au son du jazz et les soirées sont éclairées par les néons multicolores de la rue Sainte-Catherine et du boulevard Saint-Laurent. Cet afflux touristique pousse, entre autres choses, le gouvernement à légiférer davantage sur le commerce des boissons alcoolisées, auparavant une activité des épiciers et des grossistes importateurs. Adoptée en 1921, la Loi sur les boissons alcooliques entraîne la création de la Commission des liqueurs de Québec.

Rôles et fonctions de la Commission

Commission des liqueurs

Photographie en noir et blanc d’un homme portant un sarrau avec le logo de la Commission des liqueurs et tenant une bouteille. Derrière la grille se tient un client.
BAnQ Vieux-Montréal, Fonds Conrad Poirier, P48, S1, P12252.

Ce tout nouveau monopole étatique installe son siège social dans l’ancienne prison du Pied-du-Courant dans l’est de la ville. La Commission a essentiellement deux rôles : faire la gestion et le commerce du vin et des spiritueux ainsi que délivrer les permis d’alcool aux hôtels et aux restaurants. Elle rachète les fonds de commerce du secteur privé évalués à près de cinq millions de dollars. En 1921, elle compte 64 magasins, vend 383 produits et emploie 415 personnes. En plus des magasins, elle met sur pied un laboratoire de contrôle afin de s’assurer de vendre des alcools de qualité.

Les magasins de la Commission des liqueurs sont singuliers et reconnaissables par les fameuses grilles qui donnent aux comptoirs de service des airs de confessionnaux. En effet, les acheteurs ne peuvent pas circuler dans le magasin comme ils le font aujourd’hui. Ils doivent passer leur commande auprès des employés se trouvant derrière les grilles et se fier à une liste de prix affichée au mur. Leur achat est ensuite emballé dans un papier neutre avant de leur être remis. De plus, les clients ne peuvent se procurer qu’une seule bouteille de spiritueux à la fois. Cette limite ne sera abolie que plusieurs années plus tard, en 1941. Avec un esprit d’entreprise, la Commission inaugure une usine d’embouteillage en 1922. Ce nouveau service crée de l’emploi et permet de diminuer le prix de vente des produits… au plus grand bonheur des consommateurs!

Néanmoins, la Commission essuie plusieurs critiques. On lui reproche de légiférer dans un secteur commercial privé et de faire la promotion de la consommation d’alcool, ce qui va à l’encontre des souhaits et désirs des ligues de tempérance et du clergé. Malgré tout, la Commission, sous la direction de Georges Simard, fait des ventes plus que respectables entre le 1er mai et le 31 décembre 1921 : 15 millions de dollars pour un revenu net de 4 millions de dollars. Au plus fort de la prohibition, en 1930, la Commission fera des ventes de plus de 27 millions de dollars!

La police des liqueurs

Bouteille d’alcool

Bouteille de verre transparent avec une étiquette portant le logo de la Commission des liqueurs.
Société des alcools du Québec, 2-063.
La Commission des liqueurs a le monopole de l’import, du transport, de la vente d’alcool et de la livraison de permis. Ceci nécessite une surveillance constante afin que la loi soit respectée. Il s’agit là du travail de la police des liqueurs, le bras armé de la Commission. Service de police provincial fort de 35 personnes à ses débuts sous la direction du major général Edmond de Bellefeuille Panet, la police des liqueurs est surtout reconnue pour sa collaboration avec d’autres corps policiers dans la recherche et l’arrestation des bootleggers (contrebandier d’alcool) et la fermeture des blind pigs (bars illégaux). Cette collaboration entre les différentes organisations policières est cruciale pour endiguer le commerce illégal transfrontalier. En effet, la frontière canado-américaine est constamment surveillée par des patrouilles afin de capturer les trafiquants, comme Conrad Labelle, acolyte d’Al Capone, qui sera écroué en 1923.

Les policiers vêtus d’un uniforme gris puis bleu foncé sont divisés en deux districts, Montréal et Québec, et évoluent au sein d’une gestion de style paramilitaire. La police des liqueurs d’abord indépendante est annexée à la Sûreté du Québec en 1938 lorsque Maurice Duplessis est élu. Ce sont la Sûreté, la police de la route et la police des liqueurs qui sont regroupées pour devenir la Sûreté provinciale du Québec. Ce nouveau corps policier est de courte durée et, après l’élection d’Adélard Godbout l’année suivante, la police des liqueurs retrouve son indépendance en 1940. Elle ne sera finalement intégrée de façon définitive à la Sûreté du Québec qu’en 1961.

De la Commission des liqueurs à la Régie des alcools

La police des liqueurs devient l’escouade des alcools une fois annexée à la Sûreté au début des années 1960. La perte de ces effectifs policiers signifie également un changement pour la Commission des liqueurs dont la structure est devenue graduellement obsolète. La loi 34 du 13 avril 1961 met fin à la Commission des liqueurs de Québec et crée la Régie des alcools. Le nouvel organisme modernise les installations et le modèle d’affaires. Grande nouveauté : les magasins, le premier à la Place Ville-Marie, sont des semi-libres-services; les clients peuvent donc voir les produits avant de faire un choix. La seconde moitié du XXe siècle voit une multiplication des produits offerts et des magasins, qui deviennent tous des libres-services lorsque la Société des alcools du Québec prend le relais de la Régie en 1971.

Références bibliographiques

CHARLEBOIS, Catherine, et Mathieu LAPOINTE (dir.). Scandale! Le Montréal illicite 1940-1960, Montréal, Cardinal, 2016, 272 p.

CORMIER, Yannick. « La police des liqueurs : 1921-1961 », Les cahiers d’histoire, vol. 3, no 1, mai 2013, 10 p.

HAWRYSH, Michael. Une ville bien arrosée : Montréal durant l’ère de la prohibition (1920-1933), Mémoire (M.A.) (histoire), Université de Montréal, 2014, 115 p.

LAWLOR, Jean-Paul. Le commerce des alcools et la création de la commission des liqueurs en 1921, Mémoire (M.A.) (histoire), Université de Montréal, 1970, 157 p.

PERRON, Michèle. « De la Commission des liqueurs à la Société des alcools », Cap-aux-diamants, no 44, hiver 1996, p. 44-52.